Laser, protocole et matériel dédiés : l’avenir des télécoms spatiales

Les télécommunications jouent un rôle essentiel dans l’exploration spatiale. Dépendant de technologies conçues pour fonctionner dans un environnement extrême, elles reposeront bientôt sur un protocole de communication interplanétaire, pensé pour couvrir des distances astronomiques et adapté à des conditions bien différentes de celles de la Terre. Si la station spatiale internationale (ISS) utilise actuellement un réseau de satellites de télécommunications, c’est un véritable réseau 4G qui devrait voir le jour d’ici quelques années sur la Lune.

“Le protocole Internet utilisé sur Terre ne fonctionne pas très bien dans l’espace, où les distances astronomiques impliquent une latence importante et plusieurs phénomènes peuvent perturber la transmission des données.”

Le rôle des télécommunications spatiales est d’établir le contact entre les astronautes et les centres de contrôle de mission, et de récupérer les données issues des recherches scientifiques menées dans l’espace ou recueillies par les différents véhicules spatiaux (équipés d’appareils de mesure, de caméras, etc.). Dans le cadre d’une présence qui se pérennise et s’intensifie, il s’agit aussi de fournir aux équipages des fonctionnalités grand public : diffuser en continu des vidéos haute définition de l’espace, communiquer avec des proches et utiliser les réseaux sociaux pour partager le quotidien en apesanteur.

En 2010, l’équipage de la Station spatiale internationale (ISS) reçoit un accès personnel et direct à Internet. L’ingénieur américain Timothy Creamer envoie un premier tweet depuis l’ISS. En 2016, des millions d’internautes savourent l’interprétation de la chanson Space Oddity par l’astronaute canadien Chris Hadfield enregistrée à bord de l’ISS.

L’ISS communique avec la Terre par radiofréquence en s’appuyant sur une constellation de satellites placés en orbite géosynchrone (c’est-à-dire qui se déplacent dans le même sens que la Terre) appelés “Tracking and Data Relay Satellite” (TDRS), et des antennes au sol situées aux Etats-Unis, au Nouveau-Mexique et à Guam, une île de l’océan Pacifique. L’Europe, la Russie et la Chine possèdent des systèmes assurant la même fonction respectivement baptisés “European Data Relay System” (EDRS), Loutch et Tianlian. La modernisation des équipements et logiciels de la station spatiale et des stations au sol permet à l’agence étatsunienne d’augmenter progressivement la quantité de données pouvant être échangées, jusqu’à atteindre un débit de données, reçues et envoyées, de 600 mégabits par seconde en 2019, soit un débit supérieur à celui offert par la fibre optique dans la plupart des foyers.

Des ondes radio aux lasers infrarouges

Les projets spatiaux envisagés et initiés actuellement concernent l’orbite terrestre à partir de laquelle évolue l’ISS (408km), ainsi que des zones mille fois (Lune) voire des centaines de milliers de fois (Mars) plus éloignées. Les missions génèrent et collectent des données en volumes là aussi beaucoup plus grands. Ces facteurs entraînent une augmentation des besoins de capacités de communication dans et avec l’espace, qui reposent aujourd’hui principalement sur les ondes radio.

Les agences spatiales expérimentent la communication par laser, censée passer de 10 à 100 les débits de données tout en réduisant la taille et le poids des outils de communication et la puissance électrique nécessaire pour les faire fonctionner. La mission Opals (Optical Payload for Lasercomm Science) de la Nasa démontre en 2014, la faisabilité de l’échange de données entre véhicules spatiaux et stations terriennes par le biais de systèmes de communication optique.

Le prochain démonstrateur de la Nasa, nommé “Laser Communications Relay Demonstration” (LCRD), doit permettre de tester les capacités de ces systèmes pour des cas d’usage similaires à ceux du système TDRS. Dans un premier temps, il doit “s’entraîner” en relayant des données entre deux stations au sol, situées en Californie et à Hawaï. A partir de juin 2021, embarqué sur un satellite expérimental de l’US Air Force, mis en orbite par le lanceur Atlas V 551, il doit relayer des données entre les missions spatiales et la Terre. La première utilisation opérationnelle prévue consiste à transmettre à une station au sol les données reçues via l’Illuma-T. Ce dernier, un terminal optique hébergé sur l’ISS, reçoit des données scientifiques à haute résolution recueillies dans le cadre d’expériences et par des instruments à bord du laboratoire.

Un protocole dédié aux télécommunications spatiales

Depuis 1998, Vint Cerf, co-inventeur du protocole TCP/IP, et la Nasa travaillent sur un projet “d’Internet interplanétaire”, qui vise à définir une nouvelle suite de protocoles adaptés à l’environnement spatial, permettant l’échange de données entre différentes régions du système solaire.
En effet, le protocole Internet utilisé sur Terre n’est pas tout à fait adapté aux conditions rencontrées dans l’espace. Les distances astronomiques, d’abord, rendent inévitables les latences (jusqu’à 24 minutes pour Mars). De plus, les corps célestes ne sont pas toujours alignés. Plusieurs autres phénomènes, comme le rayonnement solaire ou le mouvement de rotation des planètes, peuvent potentiellement détériorer la qualité des transmissions.

Vint Cerf et son équipe ont choisi de travailler sur un réseau DTN, pour “Delay/Disruption Tolerant Networking”. Au cœur de ce réseau tolérant aux délais et perturbations réside le “Bundle Protocol”, qui repose sur la commutation par paquets permettant de regrouper les données pour les faire voyager de la source à la destination par stockage et retransmission (“store-and-forward”).

Avec cette technique, les informations sont envoyées à une station intermédiaire, ou “nœud”, où elles sont conservées et transmises ultérieurement à la destination finale (ou à un autre nœud). Un paquet de données voyageant de la Terre à Jupiter pourrait, par exemple, passer par un relais sur Mars. Une fois arrivées sur Mars, si les deux planètes ne sont pas alignées, les données sont stockées en attendant que leur transmission soit possible.

La 4G sur la Lune

“Des réseaux de communication fiables, résilients et à haute capacité seront essentiels pour soutenir une présence humaine durable sur la surface de la Lune,” affirme Marcus Weldon, Chief Technology Officer chez Nokia et président de Nokia Bell Labs dans un communiqué de presse en octobre 2020. L’équipementier de télécommunications finlandais annonce alors avoir été sélectionné par la Nasa pour développer et déployer un réseau mobile 4G/LTE sur la surface de la Lune d’ici fin 2022.

Le réseau imaginé comprend une station de base LTE dotée d’un réseau cœur EPC (“Evolved Packet Core”), de terminaux LTE (“user equipment”), d’antennes RF et d’un logiciel de contrôle d’exploitation et de maintenance (O&M) haute fiabilité. La solution, somme toute assez similaire aux réseaux terrestres, doit toutefois répondre à des contraintes très strictes de taille, de poids et de puissance afin de pouvoir être livrée par l’atterrisseur lunaire développé par l’entreprise américaine Intuitive Machines. Elle a été conçue pour résister aux phases de décollage et d’alunissage et pour fonctionner dans les conditions extrêmes de l’espace. La Lune, en l’occurrence, subit d’énormes variations de température et est sujette aux séismes lunaires.

Une fois placé sur la Lune, le réseau doit s’auto-configurer pour fournir les capacités de communication nécessaires pour mener un certain nombre d’activités essentielles, telles que l’utilisation de systèmes de contrôle-commande, la navigation en temps réel et la télémétrie, le contrôle à distance des rovers lunaires et le déploiement de capteurs, et le streaming de vidéo haute définition. Il pourrait évoluer par la suite vers la 5G.

Et sur Terre ?

Les technologies développées pour le contexte spatial donnent lieu à des applications terrestres. Au cours de son histoire, l’ISS a été un lieu d’expérimentation pour diverses technologies de communication, utilisées notamment pour l’Internet par satellite. Ainsi, les réseaux DTN pourraient être déployés sur Terre, là où la connexion est intermittente en raison d’un environnement difficile.

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