Transformer la santé par le numérique

Ou comment Big Data, Internet des Objets et Intelligence artificielle peuvent développer le bien- être et façonner une médecine augmentée. L’analyse de Patrice Slupowski, directeur Digital Innovation d’Orange.

« La capacité du numérique à capter, transmettre et analyser des données en temps réel porte en elle des modifications profondes dans l’approche structurelle de la santé. »

L’homme de 1 000 ans sera-t-il bientôt parmi nous ? Le transhumanisme est-il à portée de main ? A en croire certains, la prochaine génération pourrait être la première à être quasi-immortelle. Le progrès continu du software et des biotechnologies se chargerait bientôt de réparer l’Homme, de l’améliorer physiquement et intellectuellement, le faisant quitter le genre Homo Sapiens à la recherche d’un Homo Augmentatus

Le nombre d’objets connectés explose, avec des prévisions de l’ordre de 50 à 100 milliards d’objets dans 10 ans (soit une dizaine par être humain). Parmi eux, des légions d’objets portatifs, des clips et capteurs qui s’affichent ou se cachent, qui s’accrochent partout sur le corps, s’infiltrent dans les vêtements, s’insinuent sous la peau … L’Homme deviendrait-il bionique ? Ces révolutions annoncées cachent en réalité de nombreux freins pour que l’humanité dans son ensemble accède au bien-être. En Europe par exemple, alors que l’espérance de vie croît de trois mois par an, l’espérance de vie en bonne santé semble quant à elle stagner…

L’objet connecté, un coach de santé

Bien avant d’envisager le déploiement de la médecine augmentée et des biotechnologies, il est frappant de constater que certaines conseils de santé simples et anciens ne sont pas appliquées. Les pays développés font par exemple face à une obésité croissante, qui obère leur espérance de vie. Les médecins ont beau répéter que pour se maintenir en bonne santé, il est d’usage de respecter quelques règles, comme celles de se tenir à l’écart des addictions, marcher 8 000 à 10 000 pas par jour, dormir 7 à 9 heures par nuit et se contenter de 2 000 à 2 500 calories par jour : peu de personnes y parviennent.

Ce constat donne une raison d’être à  de nombreuxobjets connectés. Avec un petit bracelet qui compte les pas et mesure le sommeil, qui incite à bouger  quand on a passé trop de temps assis, on peut aider nombre d’individus à changer de comportement, pour peu qu’il y ait, au-delà du gadget électronique, un vrai service qui vienne rappeler l’utilité du dispositif au quotidien.

Ce changement de comportement « coaché » motive, à lui tout seul, les investissements qui devraient être faits pour s’équiper. L’adage « je me mesure donc je me connais, je me connais donc je m’améliore » fonctionne dans le monde du sport depuis toujours. Il mérite d’être dorénavant enseigné à tous, de façon progressive et répétitive.

De la prévention à la prédiction individuelle

La santé de l’Homme dépend également de facteurs environnementaux. Le triangle nutrition-santé-environnement est un secteur émergent dans lequel le Big Data apporte, de la même manière, des améliorations significatives. Les gigantesques gisements de données produits par l’internet des objets sont en passe d’être systématiquement anonymisés pour la recherche de schémas récurrents (« patterns »), cette démarche combinatoire mathématique où les data scientists reçoivent, comme la pomme de Newton sur la tête, la « révélation » de la corrélation entre plusieurs facteurs.

Le suivi médical de demain se bâtira également sur ces données. Leur forme nominative devra être conservée pour permettre à chacun un diagnostic et une analyse personnalisés : une sorte de patrimoine numérique individuel, disponible à tout instant pour les spécialistes. Ce dernier doit être scrupuleusement protégé et son caractère verrouillé reconnu, sous le contrôle de l’individu et des autorités de santé. Dans ce contexte, la mise en place d’un règlement européen sur la protection des données personnelles (GDPR ou RGPD) est réjouissante. Ce texte reconnait à l’utilisateur le droit au contrôle de ses données personnelles, avec un principe de consentement explicite systématique, un droit à l’oubli, une portabilité des données entre les fournisseurs, et des sanctions jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial en cas de manquement. Cerise sur le gâteau : de par son application extraterritoriale, le texte concerne l’ensemble des citoyens européens, que leurs données soient conservées par des entreprises résidentes ou étrangères.

La santé de demain

La capacité du numérique à capter, transmettre et analyser des données en temps réel porte en elle des modifications profondes dans l’approche structurelle de la santé. Imaginons : demain, la formation des médecins intégrera les technologies et logiciels d’analyse autant que l’anatomie et ou la pharmacopée. Le numérique créera des relations directes et immédiates entre prescripteur, payeur et bénéficiaire, sans attendre jusqu’au prochain rendez-vous pour discuter de nos inquiétudes. Les laboratoires modifieront le développement de leurs nouveaux traitements par des retours statistiques directs, appuyés par l’intelligence artificielle, le deep learning et le crowdsourcing. Le format des tests cliniques sera revu. Le corps du patient sera connecté à son médecin, à des algorithmes et probablement à des laboratoires qui pourront ainsi le suivre dans une relation du quotidien.

La création de cette relation quotidienne est également source d’espoir pour les assureurs de santé et mutuelles. Plutôt qu’estimer statistiquement les risques de couverture d’un client avec un certain retard, ils auront accès à une masse de données en temps réel. Même si les assureurs mutualistes rechigneront à l’individualisation de l’estimation du risque et le calcul de primes « sur mesure », ils pourraient être poussés par des nouveaux entrants, prêts à la rupture, qui voudront réinventer l’approche et proposer des économies budgétaires aux adhérents se montrant les plus ouverts au partage de leurs données. Cette évolution fortement envisagée du monde de l’assurance vaut aussi bien pour les personnes que pour les biens, que l’avènement de la maison intelligente et celle de la voiture connectée vont fortement influencer.

A n’en pas douter, la rupture innovante sera majoritairement portée par des start-ups, grâce aux gigantesques fonds qui se constituent notamment aux USA ou en Israël. Elles vont remuer les idées et tenter « d’Uberiser » la santé, pour une approche prédictive, de nature à rééquilibrer les comptes et faire progresser les comportements.

Cela suppose donc que les pouvoirs publics comprennent le rôle prépondérant qu’ils peuvent jouer en assouplissant ce cadre législatif, en libérant les énergies créatives dès lors qu’elles se montrent respectueuses des cadres éthiques. C’est à ce prix que l’homme de 1 000 ans pourra, dans un premier temps, fêter ses 100 ans en bonne santé…

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