Protéger et valoriser nos propres inventions grâce au dépôt de brevets

La propriété intellectuelle représente un enjeu majeur pour Orange. Les dépôts de brevets permettent de protéger ses technologies, issues de longues années de recherche et d’innovation, et de conserver un avantage compétitif dans un monde très concurrentiel.
La direction de la Propriété Intellectuelle & Licensing (IPL) met en œuvre la valorisation de l’inventivité des femmes et des hommes d’Orange, source de business et de compétitivité pour le groupe.

Jérôme Colombain : On va s’intéresser à un aspect un peu plus abstrait de l’innovation. C’est la question des brevets. Et d’ailleurs, en matière de voitures autonomes, les travaux d’Orange n’exploitent pas moins de six brevets déposés par l’entreprise. Cette question des brevets et de la propriété intellectuelle est donc au cœur des processus d’innovation et on va en parler avec Lyse Brillouet, directrice de la propriété intellectuelle et du licensing.

Et d’abord, une question simple : déposer des brevets à quoi ça sert ?

Lyse Brillouet : Déposer des brevets, déjà, nous permet de protéger nos inventions. Être sûr que ces inventions seront bien reconnues comme nos propres inventions que nous allons pouvoir intégrer dans les produits et services que nous proposons à nos clients. Et puis, d’un point de vue plus général, dans le domaine des télécoms, les brevets sont souvent aussi associés aux standards et aux normes que l’on retrouve dans nos téléphones, dans les réseaux et qui permettent de faire en sorte que tout soit interopérable.

Quelle que soit la marque de votre téléphone ou votre opérateur, on peut téléphoner librement, utiliser les applications, etc.

JC : Quels types de brevets déposez-vous chez Orange ? Quel est le dernier brevet que vous avez enregistré pour le compte de l’entreprise ?

LB : Le dernier est un brevet dans le domaine de la cybersécurité qui est une de nos grandes priorités, comme vous le savez peut-être, au sein du groupe Orange. En fait, on a la chance d’être dans une entreprise qui est très variée, qui adresse des marchés de nature différente : le grand public, l’entreprise, les administrations. On est très présent en Afrique, on est en Europe, ce qui fait que ça nous donne une grande variété de sujets sur lesquels on peut être conduit à protéger des bonnes idées et des inventions.

Alors évidemment, on a nos cœurs de métier autour du réseau, autour des terminaux mobiles, autour de la FinTech aussi, par rapport à Orange Bank ; la cybersécurité du cloud ; on a l’intelligence artificielle et data. On a des grands moteurs au sein du groupe. Mais on a aussi des activités qui sont plus ténues, plus discrètes. On a déposé par exemple des brevets sur les outils qui servent à passer des câbles optiques.

Quand on pose la fibre chez nos clients, voilà donc l’inventivité des salariés. Elle se loge dans toutes nos activités et nous à la propriété intellectuelle. Nous sommes là pour les capter et les transformer en actifs pour l’entreprise.

JC : Ce qui veut dire que, par exemple, si j’étais salarié d’Orange et que j’ai une bonne idée, je peux venir vous voir en disant « Tiens, je pense que ça, il faudrait le breveter ». Et question subsidiaire : est ce que ce serait breveté au nom de l’entreprise ou en mon nom alors ?

LB : C’est une très bonne question. Si nous le brevetons, ce sera au nom de l’entreprise. Voilà, ce qui se passe, c’est que selon le métier que l’on pratique chez Orange, on a ou pas ce que l’on appelle une mission inventive. Dans son contrat de travail, pour toutes les personnes qui ont une mission inventive. C’est le cas des chercheurs inventeurs, de facto ça fait partie de leur métier, de leur mission et donc l’invention est à l’entreprise.

Pour les personnes qui sont plus loin du domaine de l’invention, et bien là, on discute avec eux et on voit si leurs bonnes idées, d’abord, mérite de poser un brevet, puisque ça a un coût de poser un brevet. Il y a le dépôt initial donc on est sur plusieurs milliers d’euros. Et puis aussi on a le brevet dans le temps. Le brevet, c’est un peu comme un médicament. En fait, un brevet, c’est valable 20 ans. Il faut 5 à 7 ans pour qu’il soit délivré dans le pays. On le pose et il peut être valable cinq ans après son extinction. Si on est capable de montrer qu’il a été utilisé frauduleusement pendant sa période de vie.

Donc voyez un brevet, sa vie très très très longtemps. Et donc si on cumule tous les coûts inhérents à toutes ces années-là, on a des actifs qui ont vraiment une forte valeur pour l’entreprise, mais ce n’est pas le cas de tous les brevets. Certains peuvent être cédés, certains peuvent être abandonnés. Tous n’auront pas 35 ans de longévité.

JC : Alors vous le dites évidemment, ça fait partie des acquis, ce sont des « assets », comme on dit. Ça fait partie vraiment du patrimoine de l’entreprise. Ce sont également des choses qui se commercialisent ?

LB : Oui, c’est important de savoir que les inventions que nous protégeons, nous avons aussi la possibilité de les valoriser auprès de tiers ; et ça, c’est important parce que ça veut dire que l’entreprise investit, mais a aussi la possibilité de capter des revenus. Mais encore une fois, des revenus qui sont justes, parce qu’ils viennent récompenser un effort de longue haleine sur la mise au point de ces standards et de ces normes qui ont pris des années, parfois des dizaines d’années.

Donc du coup, à un moment, on va avoir la chance de pouvoir collecter des royalties sur ces brevets. Mais encore une fois, il faut vraiment le voir et le comprendre comme un retour sur un investissement, fait finalement presque gracieusement sur le moment, pour aboutir à des normes et des standards qui soient ouverts et accessibles à tous et qui rendent vraiment l’innovation la plus partageable possible.

JC : Il y a une forte concurrence des brevets au niveau mondial. Les GAFAM, comme les géants américains déposent des milliers de brevets. Comment est-ce que vous vous situez par rapport à ça ?

LB : C’est vrai que les GAFAM, comme les constructeurs et notamment les constructeurs asiatiques, déposent énormément de brevets parce que c’est aussi une façon de faire une démonstration de force, par rapport à la maîtrise ou la légitimité sur telle ou telle technologie. Et ça, c’est vrai que les opérateurs européens ont quand même du mal à se mettre au niveau de ce foisonnement de dépôts de brevets déposés – quand Huawei, dans les meilleures années avait un portefeuille de plus de 45 000 brevets déposés, plus de dix 20 brevets par jour. Évidemment, ça n’a pas de sens pour nous. Il faut qu’on ait une activité proportionnée en regard de où notre intérêt stratégique, de est-ce qu’on aura la possibilité de créer des revenus aussi sur ces brevets ? Et est-ce que ça a un sens ? Est-ce que ces brevets sont très forts, ont une forte valeur ? Puisque le marché de la propriété intellectuelle s’est beaucoup judiciarisé, donc il faut aussi avoir des brevets qui soient très robustes. C’est vrai que dans les téléphones, parfois, on retrouve certains acteurs industriels qui protègent tout, la moindre petite vis. Enfin vraiment, cette guerre des brevets, elle se loge dans des détails industriels qu’on n’imaginerait pas.

JC : Et après ça débouche sur des procès qui n’en finissent pas.

LB : Oui, alors c’est vrai que ça peut arriver. Il y a énormément de procès dans le monde. Particulièrement, ça a beaucoup démarré aux États-Unis. C’est en train d’aller crescendo en Europe. On est, il est vrai, des cibles intéressantes pour  les procès, parce que nous sommes de grands acteurs, en prise avec le public. Donc du coup, ça, ça représente un risque supplémentaire dans cette guerre des brevets. Je ne sais pas si c’est vraiment une guerre des brevets en tant que telle. En tout cas, c’est très compétitif. C’est aussi une façon d’asseoir son emprise sur les écosystèmes industriels et donc c’est important pour nous, opérateurs, qu’on soit capables de protéger un minimum de nos inventions, parce que ça fait aussi partie de nos de nos atouts pour conserver une certaine forme de souveraineté, de décision et de continuer de faire partie de cet écosystème hyper compétitif à l’échelle mondiale.

JC : Mais est ce que tous les brevets sont vraiment utiles ? Est-ce qu’il n’y a pas un peu des brevets, parfois pour l’esbroufe ?

LB : Alors écoutez, c’est une très très bonne question. J’ai envie de dire que chez Orange, tous les brevets sont utiles. Mais avant de revenir à notre cas particulier, j’aimerais dire qu’effectivement dans la pratique du métier, il existe certaines pratiques qui sont un peu « abusives » où on a des entreprises qui ont déposé énormément de brevets, parce que ça va les mettre en tête d’affiche parfois de certains classements, etc. et qui par la suite ne vont pas forcément conserver tous ces brevets.

On revient à la question tout à l’heure sur les coûts : les coûts sont relatifs. Qu’est-ce qu’on fait finalement du titre plus tard ? Ça, c’est une pratique que nous n’avons pas du tout. Nous sommes extrêmement rigoureux sur les brevets que nous déposons et notamment sur est-ce que ce sont des brevets qui ont trait à un sujet où il y a un peu d’antériorité ? Ou est-ce qu’il y aurait eu déjà des publications de recherche ? Nous sommes vraiment intransigeants et ne brevetons que ce qui est vraiment totalement nouveau de chez nous. Et lors de ces procès, ce qui vaut, c’est l’analyse sur le fond, c’est à dire vraiment la rationalité. Là, on est vraiment dans une guerre de brevets sur la technique en tant que telle et le fait d’avoir eu tout ce travail d’écriture sur les brevets nous permet, au côté de nos avocats dans ces procès, d’avoir une défense extrêmement solide.

JC : Il y a une tendance, notamment dans le numérique, qui est à l’open source. Donc ça, c’est l’anti-brevet. C’est plutôt « partageons toutes nos connaissances ».

LB : Ce n’est pas forcément anti-brevet. Au contraire, les choses peuvent tout à fait être combinées. C’est vrai que l’Open Source est une démarche très intéressante, puisque sur des initiatives qui n’étaient pas forcément, justement soutenues par un écosystème industriel un peu fort, on a la possibilité, en s’associant et en se mettant en communauté, de créer des taille critique et donc d’ouvrir des marchés, d’ouvrir des industries ou d’aller plus vite et de et de joindre nos efforts et c’est vrai qu’on sait à quel point les chercheurs sont soucieux de ce travail en collaboration, en coopération ouvert avec d’autres types d’intervenants. Par contre, et c’est ce que les GAFA savent particulièrement bien faire, on peut avoir des socles qui sont travaillés en commun et qui sont mis en open source. Et puis après on peut avoir, relatif à ces socles, des spécificités, des applications, des détails, des fonctionnalités complémentaires qui, elles, n’ont pas forcément la nécessité d’être mises en commun pour avoir un sens et qui, à ce moment-là, peuvent être protégées par brevets et permettre à celui qui est à la fois contributeur en open source et à la fois dépositaire du brevet, et bien de bénéficier des deux tableaux : de la création de cet écosystème en open source, en contribuant bien évidemment et en même temps d’avoir un retour supplémentaire, par rapport à une touche d’inventivité que lui seul aurait eu sur telle ou telle fonctionnalité. Et ça, c’est très important de le comprendre, parce que du coup, ça rend beaucoup plus confortable notre façon d’aller chercher des alliances ou de travailler avec des tiers.

Mais ça nous permet aussi d’être quand même attentifs à ce qui ferait la différence et qui, sans remettre en cause la contribution en Open source, peut aussi servir les intérêts de l’entreprise puisque quelque part, on est aussi là pour valoriser notre expertise et faire en sorte qu’on puisse longtemps continuer à contribuer sur ce type de creuset de recherche.

JC : Eh bien, merci beaucoup, c’est passionnant. Lyse Brillouet est directrice de la propriété intellectuelle et du licensing chez Orange.

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