Enjeux des systèmes complexes dans les télécoms

Nos systèmes télécoms évoluent massivement et sur la longue durée, depuis des architectures conçues de haut en bas et entièrement maîtrisées par un opérateur unique, vers des systèmes gérés par de multiples acteurs et qui s’auto-organisent de bas en haut. La théorie des systèmes complexes, issue de la physique et de la biologie, devient pertinente pour comprendre le fonctionnement de ces systèmes de systèmes, analyser leurs comportements émergents et tenter de les maîtriser dans de nouvelles approches d’ingénierie.

Qu’est-ce qu’un système complexe ?

Un système complexe est constitué de multiples entités en interaction dynamique, entre elles et avec leur environnement. Il est caractérisé par l’organisation et le comportement collectif de ces entités en tant que phénomènes émergents, non réductibles aux propriétés individuelles des entités constituantes, ni prédictibles analytiquement. Il ne peut qu’être simulé par un modèle de complexité équivalente

Les systèmes complexes sont, depuis une trentaine d’années environ, un domaine de recherche transdisciplinaire très actif. Ils ont d’abord été étudiés dans la physique, la biologie, la sociologie au titre de la compréhension de phénomènes naturels et sociaux. Les automates cellulaires (modèles simples s’il en est…) ont marqué la véritable naissance des sciences de la complexité au début des années 80, puis les modèles basés graphes ont émergé à la fin des années 90 avec les « network sciences ». Ces modèles abstraits ne retiennent que les caractéristiques structurelles de base de systèmes qu’ils représentent, mais permettent d’analyser les propriétés qualitatives communes aux systèmes complexes de différents domaines. Ils ont mis à jour les propriétés universelles qui sont la « signature » des systèmes complexes : les transitions de phase entre périodicité et chaos, les lois en puissance, l’autosimilarité/invariance d’échelle.

Les TICs sont l’outil indispensable pour étudier les systèmes complexes par simulation, mais, plus fondamentalement, les TICs sont le point de rencontre entre les systèmes complexes de différents domaines qui peuvent être modélisés en tant que systèmes informationnels. Enfin et surtout les TICs sont aujourd’hui les premières créatrices de nouveaux systèmes complexes comme le web, les réseaux sociaux ou l’internet des objets, qui peuvent être vus comme purement informationnels ou comme couplant des systèmes informationnels avec des systèmes techniques, physiques ou sociaux.

L’introduction des systèmes complexes dans l’ingénierie est plus récente et va à l’encontre des approches traditionnelles de spécification fonctionnelle « top-down ». L’ingénierie des systèmes complexes suppose d’accepter que, à au moins un niveau d’intégration, un système se crée lui-même par l’assemblage dynamique « bottom-up » de composants individuels plus ou moins autonomes. Le système émergeant ainsi peut être étudié, alors même qu’il est évidemment artificiel, dans une approche relevant des sciences de la nature.

Systèmes « compliqués » et systèmes complexes

Dans l’acception unanimement comprise par la communauté scientifique, qui peut paraître paradoxale pour les ingénieurs, un A380 n’est pas un système complexe, même si il est, à l’évidence, un système (très) « compliqué », tandis qu’un vol d’oies en formation est un système complexe.

Pour parler de systèmes sociaux, une fourmilière est un exemple presque prototypique de système complexe tandis qu’une organisation hiérarchique de type « command and control » (cherchez un exemple…) n’est (certes) pas simple, mais pas complexe non plus, ou alors à son corps défendant…

Dans notre domaine technique, les réseaux télécom « old school » étaient des systèmes compliqués et centralisés, objets d’une ingénierie top-down maîtrisée à 100 %, mais l’internet, vu au niveau de l’interconnexion des AS (Autonomous Systems) comme résultat d’une intégration bottom-up, est effectivement complexe.

De même, un réseau cellulaire à infrastructure fixe et mono-opérateur n‘est pas un système complexe, mais un réseau device to device ou un réseau de type SON pourraient en être un.

Typiquement un système compliqué peut être rendu robuste par la redondance de composants identiques et grâce à un ensemble de mécanismes programmés à l’avance et mis en œuvre de manière centralisée. Un système complexe est intrinsèquement robuste par la capacité de chacun de ses composants à s’adapter entre eux, voire à changer de rôle de manière dynamique, sans commande centralisée

Enjeux des systèmes complexes dans les télécoms

De nombreux systèmes télécoms sont de fait des systèmes complexes, sans forcément avoir été conçus comme tels, parce qu‘ils ont cru de manière organique à partir d’un principe de composition ouverte d’entités élémentaires. Le web en tant que système informationnel est l’exemple le plus évident, mais l’internet, au niveau très différent d’un système technique et à l’échelle de l’intégration inter-AS, en est également un.

De manière moins évidente, des problématiques de type systèmes complexes apparaissent là où de nouvelles interactions entre entités élémentaires d’un système, ou entre le système et son environnement, qui n’avaient pas été intégrées dans la conception du système au départ, vont faire changer le système de nature, faisant émerger des comportements potentiellement négatifs, voire catastrophiques, qui n’avaient pas été prévus.

Au-delà de cette première approche défensive, il est indispensable de s’intéresser aux systèmes complexes parce que tous les systèmes que nous concevons peuvent devenir complexes dès lors qu’ils s’intègrent à des « systèmes de systèmes » ouverts qui ne sont plus maîtrisés à 100 % par un seul acteur.

Ceci concerne potentiellement tous les systèmes que nous concevons, sauf ceux qui seraient totalement et définitivement fermés. C’est la principale raison pour laquelle on ne peut pas ne pas s’intéresser aux systèmes complexes !

Approches « systèmes complexes » dans l’ingénierie des télécoms

Utilisation circonscrite d’algorithmes d’optimisation issus des systèmes complexes

Ici on reste dans une ingénierie traditionnelle, mais on utilise de manière très circonscrite des algorithmes directement inspirés des systèmes complexes comme par exemple les algorithmes de colonies de fourmis (Ant Colony Optimization), ou les algorithmes génétiques. Ces algorithmes sont utilisés uniquement pour de l’optimisation à la conception, pas pendant le fonctionnement du système, et ne modifient donc pas le principe d’organisation des composants dans lesquels ils sont intégrés, ni a fortiori celui du système global.

Conception de systèmes intégrant des composants complexes

Il s’agit ici de concevoir des éléments d’un système qui peut rester conçu de manière traditionnelle en intégrant au niveau des composants des principes d’adaptation, de régulation, voire de conception issus des systèmes complexes, par exemple avec des niveaux d’adaptation pair à pair ou de commande décentralisée (p.ex. par systèmes multi-agents). Ceci doit aller au delà de mécanismes d’auto-configuration basiques (type plug & play), ou de simple régulation en boucle fermée, qui sont déjà intégrés au moins à bas niveau dans nos systèmes.

Évolution de systèmes classiques qui deviennent complexes par effets de bords

Dans ce cas déjà mentionné, très important parce qu’il concerne potentiellement tous les systèmes télécoms ouverts, il faut d’abord mettre à jour et analyser les phénomènes émergents potentiels, puis intégrer l’approche système complexe de manière d’abord défensive pour évoluer peut-être progressivement vers l’approche proposée au paragraphe suivant.

Conception de systèmes intrinsèquement complexes au plus haut niveau

Dans cette approche, un système télécom est spécifié seulement au niveau de ses entités élémentaires et du principe de base de leur connexion et intégration, la composition et la croissance éventuelle du système dans son ensemble étant le résultat d’un processus bottom-up qui n’est ni planifié ni dirigé. Le fonctionnement d’un tel système n’est pas, non plus, commandé de manière centralisée, mais résulte au moins partiellement de la mise en œuvre de mécanismes « pair à pair » au niveau d’intégration le plus élevé du système. C’est un véritable changement des cadres conceptuels de l’ingénierie qu’il faut accepter pour cela…

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