Constats et pistes pour ralentir l’accumulation des déchets électroniques

Si l’on parle désormais beaucoup de la consommation d’énergie des réseaux, un autre impact environnemental du numérique mérite plus d’attention : le destin des appareils électroniques en fin de vie, qui plaide pour la mise en œuvre rapide d’une économie circulaire plus vertueuse.

“Une simple extension d’un an de la durée de vie des smartphones dans l’Union européenne équivaudrait à retirer des routes un million de voitures”

Plus de 50 millions de tonnes. L’équivalent de 5 300 tours Eiffel. C’est, d’après un rapport de l’ONU, la quantité mondiale de déchets électroniques qui a rejoint en 2019 le volume déjà existant et appelé à grossir à un rythme encore plus soutenu dans les prochaines années. D’après une estimation, en 2030, l’humanité mettra chaque année à la poubelle 74 millions de tonnes d’objets électroniques. Aujourd’hui, “seuls 20% des téléphones jetés sont remis à neuf et recyclés pour être repris. La plupart d’entre eux sont dans vos tiroirs ou jetés. C’est un énorme gaspillage”, comme a pu le déplorer un conseiller de la Commission européenne s’exprimant sur le sujet lors de la conférence EuroDIG 2020.

Si l’impact environnemental du numérique est devenu un sujet d’intérêt public, les discussions se sont focalisées autour de l’utilisation de la data, et notamment du streaming vidéo. Pourtant, ce ne sont pas les centres de données qui ont le plus fort impact sur la planète : d’après un rapport publié en 2019 par le site spécialisé GreenIT.fr, les appareils électroniques sont la principale source d’impacts des nouvelles technologies. “Leur fabrication concentre systématiquement le plus d’impacts avec 39% du bilan énergétique global [du numérique], 39% des émissions de gaz à effet de serre, 74% de la consommation d’eau et 76% de la contribution à l’épuisement des ressources abiotiques [minérais, métaux rares].”

280 grammes d’or par tonne de déchets électroniques

Les déchets électroniques posent des problèmes spécifiques en matière de recyclage: “C’est une matière plus problématique que d’autres. Nous sommes confrontés à la non-recyclabilité de certains métaux utilisés : une dizaine de ceux-ci ne pourront être recyclés qu’à hauteur de 1%”, explique Bela Loto, directrice de la Maison de l’Informatique + Responsable. D’après l’ONU, plus de 69 éléments issus de la table périodique peuvent être utilisés dans les objets électroniques, dont de nombreux métaux précieux (or, argent, cuivre, platine, palladium ou iridium) et matières premières critiques (cobalt, palladium, indium ou germanium). Cela pose d’énormes défis pour le recyclage : “la récupération de certains matériaux comme le germanium et l’indium est difficile en raison de leur utilisation dispersée dans les produits, d’autant que ceux-ci ne sont ni conçus ni assemblés en prenant en compte la problématique du recyclage”, note le rapport de l’ONU. En revanche, d’autres métaux précieux comme l’or, peuvent rendre économiquement viable le recyclage : on trouve ainsi 280 grammes d’or par tonne de déchets électroniques.

La problématique du recyclage et du retraitement des objets électroniques est rendue encore plus complexe par le développement de réseaux d’exportation illégale. “On estime que 70% des déchets se retrouvent dans les poubelles électroniques du monde (Ghana, Nigéria, Bénin, etc.)”, déplore Bela Loto. “Un tel désastre est possible car une véritable mafia du déchet électronique s’est mise en place. Les déchetteries ne sont malheureusement pas assez surveillées. Il y a également une irresponsabilité des personnes qui laissent leur ordinateur dans la rue – même pour les objets encombrants. Avant que les encombrants passent, l’ordinateur aura souvent déjà disparu ou aura été dépecé pour prendre les composants intéressants”. L’exportation des objets électroniques est pourtant interdite depuis la convention de Bâle entrée en vigueur en 1992.

Un “passeport numérique” pour les objets électroniques

L’Europe apparaît comme le mauvais élève, se plaçant au premier rang mondial en termes de déchets électroniques, avec 16,2 kg par habitant et par an. Consciente de ces enjeux, la Commission européenne a présenté un plan d’action en faveur d’une économie circulaire. Cette initiative, prévue à l’horizon 2022, vise notamment à promouvoir l’extension de la durée de vie des produits électroniques en consacrant un droit à la réparation des objets électroniques. La Commission souhaite également mettre sur pied un “passeport numérique”, qui indiquera pour chaque objet électronique sa provenance, son empreinte carbone et sa réparabilité. Les Européens changent leur smartphone en moyenne tous les 21 mois, explique-t-on à la Commission européenne. Une augmentation de ce temps d’utilisation aurait des conséquences notables. Une analyse réalisée par le Bureau européen de l’environnement, une ONG bruxelloise, estime qu’une simple extension d’un an de la durée de vie des smartphones dans l’Union européenne équivaudrait à retirer des routes un million de voitures !

En France, selon une étude de l’Ademe, seules 40 % des pannes des produits électriques et électroniques donnent lieu à une réparation. Pour le dire autrement, 60% des objets qui ne fonctionnent plus terminent aussitôt à la poubelle… Le gouvernement français a fait voter en janvier 2020 une loi contre le gaspillage et pour l’économie circulaire. A partir du 1er janvier 2021, un nouveau logo apparaîtra sur les emballages des smartphones et des ordinateurs portables : l’indice de réparabilité. Cet indice compris entre 0 et 10 sera calculé à partir de plusieurs critères : la “démontabilité”, la disponibilité de la documentation de réparation, le prix et la disponibilité des pièces de remplacement. Autre mesure annoncée : à partir de 2021, les fabricants devront indiquer la durée pendant laquelle les ordinateurs et smartphones supporteront les mises à jour logicielles. Ces mises à jour constituent un motif fréquent de renouvellement des appareils, car elles peuvent les ralentir ou les rendre obsolètes, estime le gouvernement français.

Une très grande marge de progression…

“Nous ferons des progrès dans ce dossier uniquement si les pouvoirs publics, les entreprises et les citoyens font tous les trois des efforts”, estime Bela Loto. Du côté de l’industrie, des approches innovantes émergent. La marque néerlandaise Fairphone s’est donné pour défi de fabriquer des smartphones durables et éthiques. L’entreprise a mis en place des filières équitables pour huit métaux utilisés dans la fabrication, dont l’or, le cobalt, le tungstène, le néodyme et le cuivre. Le Fairphone 3, commercialisé par Orange, promet également une réparation plus simple et moins onéreuse que pour les autres smartphones. La disponibilité des pièces est assurée pour 5 ans, garantit le fabricant.

Le succès de cette marque équitable dépend largement de la prise de conscience du problème par les consommateurs. “Le citoyen n’est pas assez bien informé sur ces problématiques, déplore Bela Loto. S’abstenir un soir de regarder un film sur Netflix pour des raisons écologiques, c’est bien, mais si on ne s’interroge pas aussi sur la durée de vie de l’ordinateur ou du smartphone sur lequel on le regarde, cela n’a que peu d’intérêt. On constate le même défaut de conscience du problème du côté des entreprises : seule un quart d’entre elles connaissent la réglementation liée aux déchets électroniques. La marge de progression est très grande.”

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