- L’essor des outils d’intelligence artificielle pourrait faire disparaître certaines professions juridiques, notamment dans les cabinets d’avocats.
- Les outils actuels, dont Jarvis, Doctrine ou ceux développés par LexisNexis, visent à simplifier les travaux de recherche, de synthèse, d’analyse ou de rédaction de documents.
- Ils permettent aux avocats de se concentrer sur la stratégie et le contentieux, tout en gagnant du temps sur des tâches quotidiennes, et en restant à jour sur les textes de loi.
Les professionnels du droit ont remarqué cette opération : le 17 août 2023, Thomson Reuters a acquis pour 650 millions de dollars Casetext. CoCounsel, l’assistant juridique édité par cette start-up, utilise l’IA de GPT-4 pour produire des analyses des documents, réaliser des mémos de recherche juridique, rédiger des dépositions ou encore décortiquer des contrats. Ce type de technologie soulève aux États-Unis d’importantes questions sur l’avenir des professions paralégales : une étude réalisée par des chercheurs de Princeton, de l’Université de Pennsylvanie et de la New York University concluait en mars 2023 que les services juridiques seront les secteurs les plus touchés par les modèles de langue comme ChatGPT. Cependant, les grands modèles de langue généralistes de ce type étant multilingues, ils risquent de mélanger des sources de droits issus de plusieurs pays, ce qui rendrait l’outil inefficace. Les besoins des avocats américains sont par ailleurs bien spécifiques : l’intelligence artificielle promet d’alléger le travail nécessaire aux procédures de « discovery », une caractéristique du droit étasunien, qui exige l’analyse d’un volume important de documents. Quel que soit le pays, l’IA promet de faire gagner du temps aux avocats et leur permettre de se concentrer sur la défense et le conseil de leurs clients et la stratégie.
Chez Doctrine, place au « Legalgraph »
« L’informatique permet de libérer le droit de son support, et la quantité de droit que l’on peut éditer aujourd’hui est illimitée », souligne Philippe Laurence, le directeur des affaires publiques de Doctrine. Se définissant comme une plateforme d’intelligence juridique, Doctrine permet aux avocats et professionnels du droit d’assimiler une quantité de sources de droit toujours plus importante. « Notre premier enjeu était de centraliser le plus grand nombre de sources de droit, soit 10 millions de décisions de justice, 90 000 articles de loi, et autres commentaires de professeurs ou d’avocats, etc. » Doctrine a ensuite créé un « Legalgraph » : « Grâce au traitement automatisé du langage, on a pu faire des liens entre des décisions, des commentaires qui les citent, les textes de loi, etc. » L’outil permet d’envoyer des alertes sur des recherches, de créer une veille personnalisée ou encore d’analyser des documents. « En analysant un document, Doctrine pointe vers les sources citées, les nouvelles décisions ou articles de loi, et permet d’appréhender les différences dans le temps pour renforcer son argumentaire juridique ou attaquer l’argumentaire adverse. » L’IA générative n’est cependant pas encore intégrée pleinement au système, même si elle permet d’annoter et d’identifier plus facilement les données, comme le nom des textes de lois, des décisions ou des personnes cités.
L’IA promet également d’être très utile pour l’analyse des documents dans le cadre d’opérations financières (due diligence), ou sur l’analyse de contrat et l’audit juridique.
LexisNexis : de la synthèse à l’analyse, en passant par la rédaction
Pour d’autres éditeurs comme LexisNexis, l’IA générative semble être un projet d’avenir. La société va lancer Lexis+AI aux États-Unis, avant de l’étendre à d’autres pays. « On ne se contente pas de l’information brute, on fait de la contextualisation, explique Sébastien Bardou, VP Strategy for Continental Europe Middle-East and Africa chez LexisNexis. Nous sommes ainsi capables de dire si une décision de justice est atypique, surtout quand elle émane d’une institution suprême, ou encore s’il y a des biais d’interprétation de textes de loi dans une décision. »
Pourtant, tous les éditeurs s’accordent à dire que les moteurs de recherche restent plus pertinents pour la recherche qu’un modèle de langue. Mais les LLM permettent pour LexisNexis de proposer des outils capables de rédiger des brouillons d’actes à partir d’une base de modèles d’actes, ou encore de rédiger des textes non juridiques. « L’IA peut apporter des enrichissements à un mail de réponse à un client. » Les modèles de langues permettent également de réaliser des résumés ou des synthèses de documents pertinents : « On peut également analyser les documents ou encore trouver les références juridiques pour aller plus loin dans les synthèses. L’IA promet également d’être très utile pour l’analyse des documents dans le cadre d’opérations financières (due diligence), ou sur l’analyse de contrat et l’audit juridique. »
Jarvis, le super-assistant des avocats
« Notre objectif est de créer l’assistant virtuel et personnel de l’avocat pour que ce dernier puisse déléguer les tâches chronophages, répétitives, etc. L’idée est de lui permettre de se décupler, de retrouver la maîtrise du temps », souligne Alexandre Yérémian, le dirigeant de Jarvis, dont le nom a été emprunté directement à l’assistant d’Iron Man. Depuis 2013, la startup a développé une solution de gestion de cabinet en SaaS qui permet de réaliser la facturation, de suivre le temps passé, de gérer les documents, tout en étant intégré à Office365. « Le développement récent de notre assistant intelligent Tony repose sur l’idée qu’un avocat peut dialoguer avec un outil comme avec un collaborateur, par exemple pour lui déléguer certaines tâches. » Ainsi l’avocat peut-il interroger son assistant intelligent sur des documents qu’il a mis en ligne, trouver des idées d’articles à rédiger pour son blog ou son compte LinkedIn, ou obtenir des analyses et synthèses de décisions de justice. « L’IA générative présente un champ des possibles colossal pour les professions juridiques. Un avocat peut désormais interroger son outil sur le fonctionnement de sa propre activité, comme la facturation. »
En savoir plus :
Paralegals Race to Stay Relevant as AI Threatens Their Future (en anglais)