Aujourd’hui, le moindre objet de l’IoT (Internet of Things), de votre balance à votre compteur électrique, est prétendument intelligent. Mais pourquoi le sont-ils et le sont-ils tous vraiment ? Cet article d’une série de trois approfondit la notion d’intelligence évoquée brièvement dans le premier article de la « Maison communicante à la maison intelligente ».
L’intelligence…
Rappelons trois notions :
- Si vous achetez des objets simplement communicants comme un bouton poussoir et une lampe dans une technologie M2M (Machine to Machine)* (voir article par Gilles Privat), que lorsque vous appuyer sur le bouton, la lampe s’allume sans box additionnelle intermédiaire, cela s’appelle du contrôle/commande. Les technologies telles ZigBee, Zwave ou EnOcean sont à la base pensées pour cela.
- Si vous avez le contrôle sur ces objets grâce à Internet, cela s’appelle simplement du « remote control » ou contrôle à distance.
- Enfin, si vos objets ou votre maison (grâce à une Home Automation Box (HAB) réelle, virtualisée ou les deux) est capable d’apprendre de vos comportements et s’adapter à des situations (autrement dit à votre contexte) en fonction de règles qui vous sont propres, c’est seulement là que l’on pourra parler d’objets intelligents ou de maison intelligente. C’est là que l’IoT prend tout son sens et vous apporte le plus grand bénéfice.
En réalité, vous l’aurez compris, le terme « intelligence » est très souvent usurpé.
Quels sont les prés requis à l’expression de l’intelligence ? Si vous n’aviez pas de sens (vision, audition, etc…) et pas de mains, pas de bras, pas de jambe, etc… vous seriez bien limité pour comprendre et agir. C’est la même chose pour votre domicile.
Plus il y aura d’informations provenant de toutes sources (et en premier lieu des capteurs de votre domicile), plus la détermination du contexte pourra être établi de façon précise et contribuera à plus de services, potentiellement à plus d’intelligence et donc plus de valeur pour les occupants ou les propriétaires du logement.
Soyons un peu plus concrets au travers d’un petit exemple pour illustrer les bénéfices d’une vraie maison intelligente.
Le matin, vous quittez votre domicile enchaînant généralement les mêmes actions. La maison reconnait cette séquence (parce qu’elle l’aura apprise ou que vous lui aurait édicté une ou des règles) prenant en compte les capteurs / actionneurs ainsi que le jour et l’heure et toutes autres informations additionnelles pour établir une probabilité de départ (si vous n’indiquez pas explicitement celui-ci).
Vous éloignant de votre domicile ou arrivé au travail, vous ne vous soucierez plus, de l’alarme enclenchée, de votre chauffage optimisé, des lumières oubliées, d’une fuite silencieuse, du fer à repasser ou de la cafetière allumé(e), de vos volets bien gérés, etc… tout cela sera fait pour vous. Bien sûr si vous pourriez être notifié mais le souhaitez-vous vraiment (et dans tous les cas) ?
La détermination de présence puis plus finement, du nombre de personne et encore plus précisément des différents individus et de leurs activités est primordiale pour la détermination du contexte. C’est aussi un challenge que de trouver des solutions abordables, fiables et qu’elle soit invasives.
Les avantages
La révolution de l’IoT reste cependant pour beaucoup encore vague et appliqué à la maison (Home Automation). Les futurs usagers ont une vision très partielle de ce que cela pourrait leur apporter. Souvent à la question « qu’aimeriez-vous faire avec des objets intelligents, une maison intelligente ? », ils répondent : « j’aimerais contrôler mon chauffage à distance », « j’aimerais contrôler des volets roulants électriques à distance », « j’aimerais faire ceci ou cela à distance »…
Finalement, on pourrait en conclure un peu rapidement que pour satisfaire immédiatement cette demande, il faudrait leur fournir une application ressemblant à une super télécommande au travers de leur smartphone. Une de plus me direz-vous ! Au travers de ce désir, le client intéressé par ce domaine recherche souvent une sensation de puissance grâce au pouvoir de contrôle de son environnement domestique du bout des doigts mais également plus de sécurité. Les marketeurs d’où qu’ils soient, font leur travail en exploitant principalement le désir de contrôle au travers de la publicité mais si on se limitait à cela, l’expérience client serait-elle satisfaisante ? Est-ce vraiment cela la maison intelligente ? Assurément non.
C’est cette sensation de contrôle qui souvent donne l’envie de s’équiper mais une fois possédée/ satisfaite/ assouvie, on s’aperçoit que ce n’est pas suffisant car avec elle, survient des contraintes. Posez-vous la question de ce que vous voulez pour votre domicile : voulez-vous sans arrêt être préoccupé par ce qui s’y passe en votre absence ? Préoccupé par les actions que vous devriez faire à travers votre Smartphone/télécommande sur votre résidence principale ? Pour quelques bénéfices et finalement trop de contraintes. Ne voudriez-vous pas seulement avoir l’esprit tranquille et savoir que quoi qu’il arrive, les aspects sécurité, économie d’énergie et confort sont gérés contextuellement, de façon optimum en fonction de vos choix personnels ? Dis comme cela, cela semble peut être un peu pompeux mais vous allez voir que derrière ces mots il y a une ambition.
Le bon sens suffit pour comprendre que, au-delà de son coût et des contraintes de son déploiement, toute nouvelle technologie devrait apporter un maximum de bénéfices et un minimum de contraintes pour être adoptée. Si ce n’est pas suffisamment le cas et que finalement les contraintes sont telles que les bénéfices deviennent secondaires, la technologie et les nouveaux services qui lui seront associés seront rejetés.
La recherche du contrôle, la sensation de pouvoir et de toute puissance qu’ils procurent pourraient rapidement devenir un fardeau si on se contente de l’aspect contrôle à distance, cela pourrait conduire à se dire que « décidément, c’est bien trop compliqué » et à délaisser ces nouveaux services dès lors que la nouveauté s’estompe et que l’aspect ludique s’essouffle. En l’absence de retour d’image statutaire, la technologie doit rester discrète pour s’imposer sur la durée.
Concrètement, imaginez que pour le chauffage ou les volets, on vous mette au creux de la main une application sur votre smartphone, ce qui ne serait finalement qu’un programmateur sexy et déporté. Passé la première semaine, après avoir bénéficié de ces supers pouvoirs et après avoir montré à votre famille, vos amis et vos collègues que… « waou, vous commandez des équipements à distance », votre super application de super télécommande ne sera pas plus utilisée que le programmateur de chauffage fixé au mur de votre maison et vous n’y toucherez qu’à de très rare occasions. L’effet « waou » est une chose importante mais il faut penser à l’après, aux usages quotidiens pour ne pas décevoir. De fait, sur cet exemple de chauffage, vous ne réaliserez aucune économie parce que simplement vous n’aurez pas envie de toucher x fois par jour à votre super application télécommande même si elle est à portée de main, d’autant plus si vous avez de nombreux équipements à gérer. Cela parait évident une fois exprimé mais la spontanéité des demandes et des discours fait plutôt apparaître de prime abord l’aspect contrôle à distance que l’aspect automatisé. Le contrôle à distance ou la simple fonctionnalité de programmation horaire ne vous suffiront donc pas et il ne suffit pas de penser qu’il faudrait de l’apprentissage et de la contextualisation pour que cela soit fait. Aujourd’hui, combien de produits ou de packs mettent en œuvre réellement ces deux notions qui font que « intelligent » n’est pas qu’une notion marketing contrairement à tous ces objets simplement communicants mais qui se prétendent « intelligent » ?
Le contrôle à distance continue à faire rêver encore et toujours. Bien entendu, il reste bien utile (pour résidence secondaire par exemple) mais ce n’est pas cela qui au quotidien vous apportera de réels bénéfices. Le vrai super pouvoir, c’est la tranquillité d’esprit, c’est le pouvoir d’oublier… oublier la technologie et de profiter de ses bénéfices.
La finalité : la maison intelligente
Considérons que tous les petits détails techniques barbares d’ontologies, de méta-modèles ou de sémantiques (qui constituent la spécification du langage commun que nous appelons de nos vœux et à laquelle nous contribuons) sont réglés ou en passe de l’être et revenons-en à notre maison intelligente. Comment faire maintenant ?
Après une première petite révolution en 2008 grâce au succès du magasin d’application d’Apple, par ricochet, nombres d’acteurs et notamment les opérateurs télécoms ont pensé que les services et surtout l’ouverture aux tiers pour des services (ouverture sensée apporter l’abondance de l’offre de service) serait la garantie du succès. Pourtant est ce que ce seul principe d’ouverture serait la solution pour que la maison intelligente porte bien son nom ? Assurément non…
Qu’est-ce qui est donc si différent entre un Smart Phone et une Box domotique ? Un téléphone tient dans la main et s’il ne fond pas (dans votre main)*, les conséquences de ce qui va se passer de bien ou de mal dans votre Smart Phone lorsque vous lancez un bouquets d’applications seront limités à votre Smart Phone : au pire, il « plantera » et vous devrez forcer son redémarrage (reboot). En tout état de cause aucune incidence significative à l’heure actuelle sur votre environnement physique n’est à craindre. C’est tout l’inverse dans une maison.
L’ouverture aux tiers (sans prise en compte de la nécessité de coordination entre applications tierces et donc sans nécessité d’inventer des solutions) additionnée au besoin de sécurité logiciel se traduit actuellement par une volonté d’isoler ces applications tierces les unes des autres grâce aux conteneurs logiciels (par crainte de problème : bugs, malware…). Or cette étanchéification va à l’encontre de la réalité de l’environnement physique du client qui voit et qui veut sa maison comme une unité cohérente qui ne peut être « découpée en rondelles » au grès des tiers invités à sa concrétisation.
L’univers domestique du client est sans frontière, les différents services dans différents domaines se chevauchent en se partageant l’utilisation des équipements (capteurs, actionneurs, objets connectés,…) dispersés et intégrés dans son domicile. Pour autant, l’ouverture aux tiers (producteurs de services) qui s’ignorent (puisque que concurrents) sans précaution, conduirait à la génération de conflit de logique de fonctionnement entre les services et détruirait la cohérence attendue par le client sans apporter l’intelligence requise du fait du morcellement applicatif.
Imaginez le cerveau de notre robot (maison) fragmenté et chaque fragment (programme) agirait indépendamment les uns des autres sur les différents organes du robot (de la maison). Exprimé d’une autre manière, c’est comme s’il s’agissait d’un robot avec plusieurs têtes avec dans chaque tête une application de services avec sa propre logique. Chaque tête ayant le contrôle sur le corps. Si tel n’était pas le cas, cela signifierait alors qu’il y a un verrouillage exclusif des ressources mais quel serait l’intérêt d’avoir un magasin d’applications si une seule a la main sur tel ou tel équipement ? A-t-on déjà vu qu’une entité pouvait bien fonctionner avec plusieurs cerveaux ayant le contrôle et non coordonnés ?
A l’inverse, une application d’un tiers A peut fonctionner en apparence normalement (par exemple faire une consommation raisonnable de ressource : ne consommer presque rien en CPU), avoir sa logique applicative et être contrée, contredite, contrariée par une application d’un tiers B qui a une autre logique ou d’autres usages. La qualité de services ressentie par le client en serait gravement affectée.
Pour éviter des incohérences, la surveillance des processus informatique au travers d’indicateurs externes (consommation CPU, usage mémoire, usage de service au sens logiciel, bandes passantes…) n’est pas suffisante et permet seulement potentiellement de détecter de bug purement logiciel (boucle infinie, etc) avec une certaine incertitude mais n’est pas suffisant pour détecter avec certitude un conflit de logique. Par exemple une application peut consommer beaucoup de CPU et cela ne signifie pas pour autant qu’elle dysfonctionne mécaniquement ou fonctionnement/logiquement.
Il faut donc trouver des solutions pour que le client n’ait pas le sentiment d’une maison hors de contrôle et hantée du fait de comportements erratiques pouvant aller jusqu’au « bagotement » : oscillations produites par des applications de tiers qui s’ignorent et que l’on n’a pas pris soin de coordonner. L’exemple ci-dessous montre le fournisseur de services qui couvre le domaine de la sécurité en agissant notamment sur les volets roulants alors que le fournisseur B propose un service d’économie d’énergie (Energy Saving). Le service de sécurité détecte une présence suspecte en périphérie et actionne le volet roulant vers le bas en l’absence des occupants. Ne tenant pas compte de cette information, le service d’économies d’énergie va quelques minutes après détecter que l’apport énergétique solaire pourrait contribuer à chauffer la maison au travers de cette fenêtre et ouvrir le volet roulant en contradiction avec l’application de sécurité.
Le client veut-il une maison « pleine » d’applications faites par des tiers (peut être votre voisin geek/passionné) qui font tout et n’importe quoi, se chevauchent, « marchotent » mais ne coopèrent pas (ou très mal) ou une maison qui réagit de manière intelligente, anticipe, parle (pourquoi pas), sait s’adapter en toute situation et tout changement de contexte et, par-dessus tout, présente un comportement stable et cohérent ? Le client qui aura un problème technique à cause de bug ou d’un manque de fiabilité se retournera en premier vers celui qui lui a vendu son offre de maison intelligente et non pas nécessairement vers les fournisseurs de services à l’origine des dysfonctionnements constatés.
En outre, il faut bien avoir à l’esprit que chaque client est différent, qu’il n’a pas forcement les même équipements, ni les mêmes envies ou les même choix que ses voisins. De ce point de vue, une application classique a forcément des limites dans sa configurabilité et dans son adaptabilité.
Pour les opérateurs la solution pour offrir de l’intelligence à la maison ne passe pas nécessairement par une ouverture aux tiers mais d’abord par une offre totalement maîtrisée de service (un peu comme un système d’exploitation qui vous offre des applications prés-installées) pour ensuite peut n’être envisager dans une seconde étape une ouverture aux tiers, quand les bons choix techniques et architecturaux sont en place.
Il existe une autre voie que celle par nature limitée qui consiste à proposer des applications classiques au sens informatique du terme (sans possibilité de priorisations fines entre leurs différentes logiques et partie de logiques applicatives se partageant une même infrastructure en toute ignorance des unes par rapport aux autres) ; pour repousser les frontières d’une offre de services de base intégrés à l’offre de l’opérateur domestique. Cette autre voie peut constituer un nouveau métier pour l’opérateur ainsi qu’une nouvelle offre de service : un service véritablement intelligent (dans le cloud opérateur) capable de « fabriquer » du service sur mesure en combinant, en adaptant des règles (sur la base d’un bouquet standard de règles) ou en créant (par identification de patterns grâce à l’analyse des données, par un mode apprentissage volontaire et/ou explicitement de façon manuelle via une interface) de nouvelles règles de services adaptées à un environnement matériel à un instant t et s’adaptant à ses évolutions dans le temps ainsi qu’aux souhaits du client. Le tout s’appuyant bien entendu techniquement sur les proxys (représentants logiciels) d’objets communicants (synonymes : devices ou nœuds au sens réseau) physiques et logiques de la couche dite d’abstraction par définition rendue agnostique d’un point vue technologique grâce à la normalisation (tout en conservant la possibilité d’accéder aux proxys non agnostiques et donc marqués technologiquement lorsque la normalisation ne permet pas d’accéder à une spécificité ou à une nouveauté) ainsi que sur les proxys d’objets/entités non communicants (ex : une pièce). La possibilité de combiner des logiques de tiers aux logiques de base (stables et fiables) fournis en standard seraient l’étape suivante mais pas forcément obligatoire car on peut penser que l’apport de valeur par des tiers viendrait plus de l’exploitation des gisements de données individuelles et globales pour nourrir le système d’informations pertinentes que par la fourniture de services simples de commande…
Plus d’intelligence chez le client, c’est donc aussi et surtout plus d’intelligence ailleurs et en premier lieu coté opérateur pour « fabriquer » l’intelligence adaptée à chacun de ses clients tous différents.
Quand l’on parle de règle et de moteur de règles, il faut bien distinguer le concept du point de vu utilisateur et sa concrétisation dans le monde informatique. La mode du IFTTT « If This Then That » (SI condition(s) ALORS action(s)) (sans notion de priorisation, d’ordonnance entre les règles supposées stockées en vrac dans un « sac ») poussée par de sympathiques interfaces web offertes aux utilisateurs, n’est que le déport d’un concept aussi vieux que l’informatique et n’est pas un moteur de règles du point du vu informatique.
Remerciements à Sébastien Bolle, Jacques Pulou pour leur corrections
* Clin d’œil à la publicité d’une friandise écrite avant que cela ne devienne une exceptionnelle réalité pour un modèle de Smart Phone.