C’est un fait : les jeunes sont davantage victimes de fraudes
En 2024, 13% des Français ont été victimes de fraudes, mais ce chiffre grimpe à 18% chez les 18-24 ans et atteint même 26 % chez les 25-34 ans [1]. Cette surreprésentation des jeunes parmi les victimes de fraudes se vérifie en France et plus largement en Europe (cf. les enquêtes en Belgique, Espagne et Roumanie [2, 3, 4]), et soulève des interrogations. Bien que ces derniers soient nés à l’ère du numérique, réputés technophiles [5] et souvent prescripteurs au sein de leur foyer, ils semblent proportionnellement plus exposés et vulnérables aux arnaques que leurs aînés. Cet article décrit comment les jeunes considèrent ces risques numériques, les raisons probables de leur vulnérabilité, et leurs pratiques d’adaptation à ces risques.
« Bon, l’arnaque, franchement, c’est le fruit d’une circonstance… C’est là que tu vois que… Tout le monde peut se faire avoir. »
Un sentiment d’invulnérabilité
Lors d’entretiens réalisés auprès de jeunes adultes de 2022 à 2025 (pour la méthodologie voir l’article « Tout est allé très vite ! » : les victimes de fraudes en ligne nous racontent (lien)), la majorité des jeunes rencontrés ne se considère pas comme les cibles potentielles des fraudeurs, ils possèdent peu d’argent, et considèrent qu’ils maîtrisent le numérique. Ils expriment un faible niveau de stress et ne semblent pas particulièrement inquiets. Ils estiment par ailleurs que les personnes âgées ou les enfants sont davantage susceptibles de se faire piéger en raison de leur moindre aisance avec le numérique.
C’est ce qu’exprime Adrien un enquêté de 22 ans :
« Ma génération, on a plus de connaissances liées à Internet. […] Moi, je sais que par exemple, j’ai vu différents reportages sur les arnaques, la fraude […] même quand on est au lycée, on a différents cours numériques qui expliquent les arnaques et tout. Et on est quand même assez sensibilisés là-dessus, alors que les anciennes générations qui ne comprennent pas forcément trop Internet […] Et voilà, ils ont plus de chances de se faire avoir, parce que, pas qu’ils sont plus crédules, mais qu’ils ne s’imaginent pas qu’on puisse se faire arnaquer aussi bêtement sur des choses de la vie de tous les jours. »
Les jeunes ont souvent une vision caricaturale des risques et selon eux, étant nés avec le numérique, ils seraient capables de détecter les fausses annonces, les faux mails, et autres arnaques plus facilement. Il est vrai que la majorité des enquêtés a eu très tôt accès à un ordinateur, et certains ont également reçu plus jeunes des formations (programme PIX du ministère de l’Éducation nationale) pour les prévenir des risques en ligne.
Pourquoi les jeunes sont-ils surreprésentés parmi les victimes ?
Certains éléments permettent de comprendre pourquoi les jeunes peuvent être victimes de fraudes pourtant perçues comme faciles à éviter. Les fraudes arrivent parfois dans un contexte particulier : la réception d’un message concernant un colis alors qu’on en attend justement un, un mail lié à un organisme déjà contacté, etc. Le témoignage de Timothée, 28 ans, ci-dessous illustre la vulnérabilité de certains jeunes face aux arnaques. Il raconte comment il a été piégé par un SMS frauduleux prétendant provenir de la CAF. Sa confiance et son enthousiasme à l’idée d’une rentrée d’argent l’ont conduit à divulguer ses informations bancaires.
« Bon, l’arnaque, franchement, c’est le fruit d’une circonstance […] C’est là que tu vois que… Tout le monde peut se faire avoir. Je ne me prétends pas plus… mais je ne sais pas, j’ai l’impression que je n’allais jamais me faire avoir. Mais en gros, j’avais eu ce truc avec la CAF pendant des mois, je sais qu’ils devaient me rembourser 500 balles environ. Et ça faisait des mois que je parlementais avec eux jusqu’au jour où je reçois un SMS me disant que la CAF me rembourse 500 et quelques. Et puis moi, dans une jubilation de l’instant, je n’ai aucune remise en question de ça, je clique sur le lien, j’arrive sur un site fake mais bien fait, et je mets tout de suite mes coordonnées bancaires […]. Et donc, tout de suite je me suis rendu compte, je me suis dit « mais qu’est-ce que t’as fait », mais j’étais tellement en fait content et dans le feu de… Enfin j’ai tout de suite connecté avec ça, donc j’ai pas pensé une seconde que c’était une arnaque. Et j’ai jamais été remboursé par ma banque parce que j’ai validé le paiement moi-même. »
Dans un contexte où il est désormais usuel d’avoir des relations virtuelles avec les institutions accompagnées de procédures dématérialisées, fournir ses coordonnées bancaires peut paraître normal. De plus, les fraudes sont désormais bien construites. Les escrocs se basent souvent sur des informations personnelles recueillies par hameçonnage (recueillies sur les réseaux sociaux), et les mails, appels ou messages sont ainsi personnalisés, et donc bien plus crédibles. Ils ont donc plus de chances d’arnaquer les jeunes, ces derniers ayant moins d’expérience dans les interactions avec ces institutions officielles. Être victime ne semble donc pas être uniquement une question de compétences numériques, mais peut également être lié à l’expérience de la vie.
Surévaluation des compétences
Au cours des entretiens, les jeunes expriment une forme de résignation face à la menace croissante et ne souhaitent pas restreindre leurs usages numériques. Ils adoptent alors des stratégies d’évitement, souvent de manière automatique ou inconsciente, telles que l’utilisation exclusive de cartes bancaires virtuelles, le maintien d’un solde faible sur leur compte courant, la consultation régulière de leur application bancaire, et ils évitent de cliquer sur des mails suspects.
Malheureusement, ces précautions s’avèrent souvent insuffisantes. Éviter les fraudes nécessite une vigilance accrue, mais leurs connaissances en matière de sécurité numérique sont parfois limitées et peuvent reposer sur ce que leurs proches leur ont conseillé, ou sur des idées préconçues. Par exemple, un enquêté, qui paie la majorité de ses achats avec son mobile, explique préférer utiliser sa carte bancaire pour des gros montants « Parce que je préfère. Mettre mon code et tout, je trouve ça plus sécurisé » (Simon, 18 ans).
Des pratiques fluctuantes, qui exposent plus mais deviennent sources d’expérience
Pour comprendre ces surexpositions aux vulnérabilités, il est essentiel d’examiner les pratiques en ligne. La probabilité d’être victime de fraude semble davantage liée aux pratiques en ligne, notamment celles associées aux transactions financières plus qu’à l’âge.
Selon l’INSEE, 75% des jeunes déclarent que les craintes en matière de sécurité sur internet ne les empêchent pas de commander ou d’acheter des produits sur internet. Ce chiffre baisse à 67% pour l’ensemble de la population, et même à 63% pour les 50-64 ans. [6]
À pratiques et profils socio-démographiques équivalents, les jeunes sont autant susceptibles d’être victimes de fraude que les plus âgés. Si les jeunes sont réputés technophiles, ils sont également situés entre l’enfance, marquée par une dépendance financière des parents, et l’âge adulte. Ils connaissent alors de forts changements de ressources et de dépenses. Leurs pratiques ne sont pas stabilisées, et ils sont amenés à essayer divers dispositifs, qui peuvent les exposer à plusieurs risques. Les jeunes effectuent davantage d’achats en ligne, de ventes de produits, d’envois d’argent, de recherches d’emploi, de jeux en ligne et de démarches administratives. Ceci peut expliquer la surreprésentation parmi les victimes de fraude. Ainsi, les jeunes se retrouvent en première ligne. Ils découvrent, ont des pratiques de débrouille, testent certaines applications conseillées par l’entourage et par des influenceurs et commettent parfois des erreurs. Leurs comportements numériques évoluent avec leur expérience des risques, soulignant la nécessité d’une éducation continue en matière de cybersécurité.
Un besoin de renforcer l’éducation du jeune public
De nombreux facteurs jouent donc dans la surreprésentation des jeunes parmi les victimes de fraudes en ligne. Elle s’explique en partie par leur plus grande variété et fréquence d’usage du numérique impliquant des moyens de paiement, ainsi que par leur sentiment de maîtrise, qui est bien souvent surévaluée. Celle-ci n’entraîne pas d’auto-censure protectrice, contrairement aux autres catégories de la population.
Il est par conséquent important de renforcer et d’actualiser l’éducation à la cybersécurité pour tout le monde, mais surtout les jeunes publics, bien que leur familiarité avec les outils numériques soit un atout, une formation continue sur les risques et les mesures de protection est nécessaire pour les jeunes.
Sources :
[1] Etude Opinionway pour Orange (2024). « Les Français face aux risques numériques ». Etude réalisée auprès de 2012 Français âgés de 18 à 75 ans.
[2] Etude Opinionway pour Orange (2024). « Les Belges face aux risques numériques ». Etude réalisée auprès de 1006 Belges de plus de 18 ans.
[3] Etude Opinionway pour Orange (2025). « Romanians’ perception of the digital risk ». Etude réalisée auprès de 1000 Roumains de plus de 18 ans.
[4] Etude Opinionway pour Orange (2025). « Spaniards’ perception of the digital risk ». Etude réalisée auprès de 1000 Espagnols de plus de 18 ans.
[5] Galland, O. (2022). Sociologie de la jeunesse. (7e éd.). Armand Colin. https://shs-cairn-info.extranet.enpc.fr/sociologie-de-la-jeunesse–9782200631352?lang=fr.
[6] Institut National de la Statistique et des Études Économiques. (2019). Enquête sur les technologies de l’information et de la communication—2019 [jeu de données]. Progedo-Adisp. https://doi.org/10.13144/LIL-1407
En savoir plus :
Pour en savoir plus sur la cybersécurité du grand public, voir « « Tout est allé très vite ! » : les victimes de fraude en ligne nous racontent ». (lien vers article « Tout est allé très vite ! » : les victimes de fraudes en ligne nous racontent)