Les capteurs quantiques sortent des laboratoires

Proposant des mesures d’une infinie précision, les capteurs quantiques offrent un grand nombre de cas d’usage dans les domaines de la géophysique, du génie civil, de la défense ou des télécommunications.

“Les capteurs quantiques permettraient d’anticiper des catastrophes naturelles comme une éruption volcanique ou une inondation.”

Les apports des propriétés de la physique quantique ne se limitent pas au calculateur quantique, à la cryptographie ou aux systèmes de communication. À l’avenir, il faudra aussi compter sur des capteurs quantiques qui se servent de l’extrême sensibilité des états quantiques d’un photon, d’un électron ou d’un atome pour réaliser des mesures infiniment précises. Grâce à cette précision unique, ils peuvent détecter les plus petites cavités dans nos sous-sols ou cartographier l’activité de notre cerveau dans les moindres détails.

De la métrologie à la médecine en passant par la prospection géologique, le génie civil ou les télécommunications, le spectre des cas d’usage est large. Jusqu’alors cantonnés à la recherche fondamentale, ces capteurs quantiques commencent à sortir des laboratoires et même à être commercialisés.

Pour accompagner la maturation de ces technologies et leur mise sur le marché, l’État français prévoit d’y consacrer 258 millions d’euros sur les 1,8 milliard d’euros prévus dans le cadre de la stratégie nationale sur les technologies quantiques présentée le 21 janvier 2021.

Pour les instruments de métrologie

Le premier cas d’usage est celui de la métrologie. Les capteurs quantiques s’appellent alors des interféromètres à atomes. Une fois refroidi à une température proche du zéro absolu (-273,15 °C), un nuage d’atomes se déplace si lentement qu’il devient possible de mesurer avec une très grande précision les forces d’accélération ou de rotation auxquelles ils sont soumis.

Encore baptisés gravimètres atomiques, ces instruments mesurent plus particulièrement l’accélération de la pesanteur. Des atomes chutant sous l’effet de la gravité sont soumis “à une série d’impulsions laser qui place chacune d’entre elles dans une superposition quantique – entre un état où elle n’a pas absorbé de photon laser et un autre où elle a reçu une vitesse en absorbant un photon – avant de faire interférer ces deux états”, détaille un article du CNRS.

L’accélération de la pesanteur (g) est calculée à partir de ce signal d’interférence qui trahit une différence de parcours entre les deux états. Créée en 2011, la société française Muquans vend déjà ce type de senseurs à des instituts de métrologie, comme l’explique Bruno Desruelle, son cofondateur, au site Techniques de l’ingénieur.

Pour la gestion des ressources naturelles

L’infinie précision des capteurs quantiques peut aussi fournir de précieuses informations sur la composition de la couche terrestre. Une masse de granite, une nappe de pétrole ou un réservoir d’eau souterraine ont des densités différentes et donc des valeurs de g légèrement différentes en surface. Les capteurs quantiques s’appliquent ainsi à la prospection géophysique et à la gestion des ressources naturelles.

Ils peuvent également prévenir les catastrophes naturelles. “En plaçant un gravimètre sur le flanc d’un volcan, les géophysiciens pourraient mieux comprendre son activité, d’après le même article du CNRS. Si des poches de magma apparaissent ou disparaissent près de la surface, g sera modifié.” Le dispositif peut être appliqué pour surveiller le mouvement des plaques tectoniques dans des zones d’activité sismique.

La stratégie du gouvernement français sur les technologies quantiques envisage d’embarquer des accéléromètres à atomes froids dans des satellites en orbite basse afin de mesurer les variations de champ de gravité par la variation de répartition de masses au sol. Cette mesure permettrait d’anticiper des crises environnementales comme le chargement des nappes phréatiques, signes avant-coureurs d’inondation ou de sècheresse.

Pour le génie civil et la construction

Les gradiomètres sont d’autres capteurs qui mesurent des grandeurs physiques telles que le champ gravitationnel ou le champ magnétique. La mesure de gradients de cavité ferait gagner du temps et de l’argent aux entreprises de génie civil et de construction, qui mènent des études longues et coûteuses pour repérer anciennes mines ou cavités enfouies et creusent le sous-sol des villes pour localiser canalisations et câbles.

Pour les systèmes de navigation

Les interféromètres atomiques peuvent embarquer dans un système de navigation, lui permettant ainsi de continuer de fonctionner même en l’absence de signal GPS. D’après le CNRS, un tel dispositif autonome associant un accéléromètre – qui mesure l’accélération d’un véhicule – et un gyromètre – qui mesure sa rotation – existe déjà. Cette combinaison permet de déterminer en permanence la direction et la vitesse de déplacement, et d’en déduire la position du véhicule.

Ces instruments dérivent toutefois avec le temps, entraînant des erreurs de position indiquée. Des accéléromètres et les gyromètres à atomes offriraient un guidage bien plus précis. Ils permettraient de se positionner dans l’espace sans le recours aux services de géolocalisation et navigation par un système de satellites (GNSS), la constellation de satellites utilisée par le GPS ou Galileo.

Des centrales inertielles atomiques fonctionnent en laboratoire, précise l’article du CNRS, mais leur taille importante ne leur permet pas d’être embarquées à bord de véhicules et elles ne sont pas assez robustes face aux vibrations. Ces technologies de navigation inertielle quantique pourraient, selon le gouvernement français, atteindre une maturité opérationnelle dans un délai de cinq à dix ans.

Pour l’imagerie médicale

Autres capteurs quantiques prometteurs : les centres NV (pour Nitrogen-Vacancy). Ils exploitent les propriétés quantiques de défauts microscopiques logés à l’intérieur de diamants de synthèse. Ces impuretés formées d’un atome d’azote et d’un défaut – et non de deux atomes de carbone – se comportent comme des atomes uniques. Excitées par un laser vert, elles émettent de la lumière rouge, dont l’intensité dépend de l’état de “spin”. Moment magnétique quantique, le “spin” peut être représenté comme un petit aimant sensible à un champ magnétique.

Ces centres NV peuvent être exploités pour concevoir un magnétomètre ultrasensible et de taille atomique et mesurer la résonance magnétique nucléaire. Des applications sont envisagées dans le domaine médical et pharmaceutique. Des “microscopes” de la taille d’un atome permettraient d’observer en détail l’activité du cerveau ou d’analyser la structure d’une protéine entrant dans la composition d’un nouveau médicament.

Pour la défense et les télécommunications

Plutôt que d’utiliser les centres NV pour détecter un champ magnétique, il est possible de faire l’inverse : appliquer un champ magnétique sur le diamant de synthèse afin d’identifier les fréquences micro-ondes présentes dans l’environnement. L’expert de Thales cité dans la publication précise que le capteur devient alors “un analyseur de spectre, capable de reconnaître simultanément et en temps réel des centaines de fréquences différentes dans le domaine des ondes radar.”

Appliqué au domaine militaire, ce type d’outil pourrait être utilisé pour intercepter des communications ou identifier une menace via la signature d’un radar ou d’un missile. Dans le domaine civil, il permettrait d’améliorer les télécommunications mobiles. “En analysant en permanence les bandes de fréquences utilisées, on pourrait les réallouer en temps réel à tel ou tel opérateur en fonction du besoin”, poursuit le CNRS.

Thales a mis au point un prototype de laboratoire démontrant l’intérêt de cette technique. Le groupe français travaille désormais à réduire sa taille et augmenter sa sensibilité avec pour objectif de proposer un capteur d’ici cinq ans environ.

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