“Le déploiement de la fibre multicœur dans le cadre de la 5G est envisageable, mais pas avant longtemps. À court terme, cette technologie semble plus adaptée aux datacenters ou aux câbles sous-marins.”
Hausse du télétravail, recours croissant au e-commerce, partage de photos et de vidéos, streaming, etc. Avec l’explosion du trafic numérique et le nombre sans cesse grandissant d’applications consommant toujours plus de bande passante, les réseaux de transport optique sont soumis à une forte pression. Cette tendance de fond, qui s’est accentuée avec la pandémie, oblige les opérateurs de réseaux à explorer de nouvelles pistes pour augmenter la capacité de transmission des fibres optiques. “Jusqu’à présent, le recours à des technologies WDM toujours plus avancées permettait d’augmenter le débit par canal, et donc d’atténuer la forte pression sur les réseaux, souligne Erwan Pincemin, Ingénieur Recherche et Anticipation chez Orange. Mais avec une croissance capacitaire de 25% à 30 % par an, voire 40 % sur certains réseaux d’opérateurs, les limites sont vite atteintes.”
La fibre, un vaste terrain d’investigation
Depuis plusieurs décennies, les chercheurs travaillent sur des nouvelles générations de fibre optique pour accroitre le débit de transmission. Après les fibres traditionnelles composées d’un seul cœur en silice (monomode ou multimodes), la recherche est de nouveau très active sur les fibres multicœurs, une technologie apparue il y a plusieurs décennies déjà. Le principe ? Une fibre optique qui possède plusieurs cœurs dans lesquels on peut transmettre de l’information en parallèle, permettant ainsi d’augmenter ses capacités de transmission. “L’un des premiers exemples date des années 1990, souligne Noëlla Evanno, en charge des études sur les fibres et câbles optiques chez Orange. Il était doté de quatre cœurs et en forme de trèfle à quatre feuilles. Il avait été conçu par le Cnet à Lannion. Cette fibre avait permis d’augmenter le débit de transmission. Depuis, la technologie a progressé : des publications mentionnent des fibres jusqu’à 19 cœurs.”
Un grand pas en avant
En août dernier, Orange Pologne a réalisé des tests sur une fibre à sept cœurs à cristaux photoniques (trous d’air dans la gaine) d’une longueur de 1.5-km développée par InPhoTech, en s’appuyant sur la technologie de transmission de données optiques ICE6 800G conçue par Infinera. Utilisant deux canaux envoyant des données à une vitesse de 1,6 Tb/s dans chacun des sept cœurs simultanément, ces tests ont révélé plusieurs résultats intéressants : une transmission totale de 11,2 Tb/s contre 1.6 Tb/s sur un seul coeur. C’est donc une réelle avancée pour les clients , qui pourraient bénéficier de plus de débit et de services, mais aussi pour les opérateurs de réseaux. Reste à vérifier si ces résultats obtenus dans des conditions de laboratoire peuvent être atteints dans la réalité.
Une faisabilité encore à prouver
Il faudra encore franchir de nombreuses étapes pour passer du laboratoire à un déploiement sur le terrain. “Ce type d’expérimentation est nécessaire pour connaître les performances d’une nouvelle technologie, note Noëlla Evanno. Mais pour en faire une vraie rupture technologique, il convient de valider sa faisabilité technico-économique.” Nous n’en sommes qu’aux prémices, l’expérience polonaise ayant été réalisée sur une distance de seulement 1,5 kilomètres. L’un des principaux enjeux, c’est d’étendre la portée de cette fibre multi-cœurs sur des centaines de kilomètres. Pour Erwan Pincemin, “une piste intéressante serait de commencer par doper la fibre multi-cœurs avec des terres rares (erbium/ytterbium) afin de la rendre active et ainsi réaliser des amplificateurs optiques multicœurs à consommation énergétique réduite très utile pour les futurs câbles optiques sous-marins ”
Prometteuse, mais pas pour tous les usages
Chercheurs et opérateurs doivent maintenant poursuivre leur travail pour étudier les domaines d’application les plus pertinents du multicœur. “Les fibres monocœur continuent de progresser et sont encore très performantes pour les réseaux terrestres longues distances, analyse Noëlla Evanno. L’utilisation de cette nouvelle technologie dans le cadre de la 5G reste envisageable, mais pas avant des années. A court terme, la fibre multicœur semble plus adaptée à un déploiement dans les datacenters car les distances en jeu sont courtes, ce qui limite les problèmes d’interférences.” Un autre domaine d’application offre des perspectives intéressantes à la fibre multicœurs, celui des câbles sous-marins, épine dorsale de l’internet mondial. “Ces câbles sous-marins ont une capacité limitée pour des raisons de contraintes énergétiques, explique Erwan Pincemin. Une fibre multicœurs dotée d’amplificateurs, qui sont bien moins énergivores, permettrait d’adresser cette dimension énergétique mais aussi de répondre aux contraintes d’encombrement de ces câbles.”