Les nouvelles technologies rapprochent. Les individus en général, les amoureux en particulier. Elles multiplient les points de contact et les façons de manifester son affection. Un simple emoji envoyé sur WhatsApp, un lien ou un GIF partagé sur Gtalk, un SMS écrit à la volée, une vidéo postée sur un profil Facebook, un FaceTime entre deux réunions… Autant de marques d’attention distillées tout au long de la journée.
Un espace d’intimité privilégié
Quelle que soit la configuration ‒ un couple récemment formé ou une relation longue durée, des conjoints séparés par des obligations professionnelles pendant 24 h ou par un océan ‒, les nouveaux outils de communication permettent de créer un sens de la proximité et constituent un espace d’intimité privilégié.
Comme le relate Hua Su sur Slate, « certains jeunes couples laissent même la caméra allumée pendant qu’ils cuisinent, mangent, étudient et jouent aux jeux vidéo ». Pour les besoins d’une étude, la chercheuse a interviewé plusieurs étudiants et jeunes professionnels chinois.
Il en ressort que les smartphones et les réseaux sociaux sont un outil pour satisfaire les besoins affectifs (mais aussi logistiques) du couple, et jouent un rôle important dans les interactions quotidiennes des partenaires.
De la « colonisation technologique » au « facestalking »
Mais si le smartphone rapproche, il peut aussi éloigner. On lui reproche souvent de s’immiscer dans la vie du couple, voire d’être un « tue-l’amour » ! Chiara Piazzesi parle d’une « colonisation technologique ». « Un des aspects fondamentaux de l’amour romantique, c’est d’être entièrement présent pour l’autre, affirme cette chercheuse en sociologie de l’UQAM. Or, avec un objet connecté ‒ comme un téléphone intelligent posé sur la table ‒, l’autre est toujours un peu ailleurs. »
« À l’ère du smartphone, on ne supporte pas le silence radio. »
On lui reproche également de menacer la stabilité du couple. L’hyperconnexion peut par exemple amener certaines personnes à penser que leur partenaire est (ou doit être) disponible en permanence, ce qui peut engendrer d’importants conflits. explique Hua Su. À l’ère du smartphone, certains supportent difficilement le silence radio.
Autre source de tension : si les nouveaux outils de communication multiplient les points de contact avec sa moitié, ils multiplient aussi les opportunités de se connecter à des tiers et, le cas échéant, de flirter avec. Or, si certains comportements équivoques sur le Net sont considérés comme autant de trahisons par l’un, ils ne le seront peut-être pas par l’autre.
De la même manière qu’ils mettent au défi nos conceptions de la fidélité, ces outils redéfiniraient la notion d’intimité, rendue plus vague. Selon certains chercheurs, la façon dont les partenaires décrivent l’intimité à l’ère numérique a changé. Les incursions dans la vie privée de son conjoint, peut-être jugées plus anodines, y sont plus nombreuses, tandis que le « facestalking » (l’espionnage ou la surveillance d’un partenaire actuel ou potentiel sur Facebook) est une pratique devenue socialement acceptable.
En dernier ressort, le digital verrait se perpétrer des abus, dans le prolongement d’abus « in real life » ou pas. Une étude publiée par le Center for Innovative Public Health Research et le Data & Society Research Institute révèle que 12 % des internautes américains ont vécu des abus provenant d’un partenaire, allant de la surveillance des activités en ligne au harcèlement, en passant par l’humiliation ou la divulgation d’informations personnelles.
Code de conduite
Que l’on se rassure, (presque) tout le monde s’accorde à dire que la technologie est bénéfique pour un couple… si elle est bien utilisée. Il semblerait que la paix du ménage réside dans la transposition sur le terrain du digital de la bonne distance conjugale, ou de la « ségrégation spatiale », pour citer Hua Su.
Se dessine alors l’idée d’un code de conduite qui, à l’image de la « nétiquette » amoureuse qui régirait les rencontres online, permettrait aux partenaires de poser un certain nombre de limites et de règles. À la différence près que ces « Tables de la Loi » comporteraient une grande part d’individualisation. Les partenaires se mettraient d’accord, plus ou moins explicitement, sur certains points afin d’identifier les comportements susceptibles d’être ambigus ou abusifs, de « contextualiser le silence » ou d’éviter que de « mauvaises interprétations » dégénèrent en disputes.
À ce titre, l’un des commandements qui revient souvent pourrait être : « tu ne commenceras pas, ou essaieras de régler, un conflit par SMS ou sur Internet » !