“ Une série d’études préliminaires a permis de tester l’influence de la personnalisation de l’environnement virtuel, l’influence d’une ambiance sonore et celle du photoréalisme sur le sentiment de présence.”
Evaluer l’eXpérience Utilisateur (UX) : en labo ou in situ ?
L’UX correspond aux “perceptions et réponses d’un utilisateur résultants de l’utilisation et/ou de l’utilisation prévue d’un système, d’un produit ou d’un service.” (ISO, 2019). Dans ce domaine, sont pris en compte et étudiés : les émotions, les croyances, les préférences, les perceptions, les réponses physiques et physiologiques, les comportements et actes qui surviennent avant, pendant et après l’utilisation. Cette expérience dépend des caractéristiques du produit et des caractéristiques personnelles de l’utilisateur tels que son état physique, ses expériences passées, son attitude, sa personnalité… De plus, le contexte dans lequel est utilisé le produit, et, par extension, le contexte dans lequel ont lieu les tests en laboratoire, peuvent également influencer la qualité d’expérience.
Cette influence et l’impact de variables dites “parasites” poussent les chercheurs à mener leurs études en laboratoire dans des environnements neutres et similaires pour tous les testeurs. Cela a pour effet d’accroitre la validité interne des tests, c’est-à-dire la puissance des conclusions que l’on peut tirer à partir de l’échantillon testé. Le contrecoup de telles précautions réside dans la diminution de la validité écologique de l’étude, c’est-à-dire la diminution de la capacité à étendre les conclusions tirées de l’étude au-delà du laboratoire. C’est pourquoi les tests sont parfois réalisés in-situ, dans le contexte réel d’utilisation du produit ou service. Dans ce dernier cas, la validité écologique est plus forte mais la validité interne diminue. Ces tests coûtent davantage de temps et d’argent, et sont également plus difficiles à mettre en place. Quoiqu’il en soit, la diminution d’un type de validité peut empêcher une entreprise de prédire efficacement la réception d’un produit sur le marché. L’idéal serait alors de trouver un moyen de combiner l’aspect contrôlé du laboratoire à la forte validité écologique des tests in-situ.
Les environnements immersifs en UX
Les environnements immersifs reproduisent, en laboratoire, des environnements donnés (voir figure 1). Une pièce est aménagée dans le but de la rendre la plus convaincante possible (voir Bangcuyo et al., 2015; Hathaway & Simons, 2017; Sester et al., 2013, pour des exemples). Afin d’accroitre l’immersion des testeurs, les chercheurs ajoutent parfois des écrans et des haut-parleurs jouant du contenu à propos, et diffusent parfois différentes odeurs dans la pièce utilisée, par exemple, une odeur de café ou de cookies dans une cuisine immersive. Toutefois, même si ces reproductions en laboratoire présentent de nets avantages, elles s’accompagnent également de leur lot d’inconvénients. Elles sont très coûteuses : il faut, en effet, acheter le mobilier correspondant à l’environnement d’intérêt, avec un nouveau mobilier à chaque fois que l’on change d’environnement d’intérêt. Enfin, tout cela prend de la place : selon les besoins, une pièce entière peut être réquisitionnée, voire plusieurs. Une solution alternative, tout en restant immersive, se devrait donc d’être compact, mobile, facilement modifiable et personnalisable. L’option de la réalité virtuelle semble s’imposer d’elle-même.
La piste Réalité Virtuelle (VR)
L’immersion est un terme de plus en plus répandu et quelque peu passe partout. Les chercheurs l’emploient pour désigner le niveau de technologie impliqué dans une situation qui a pour but de plonger un individu dans un environnement qui n’est pas la réalité (Slater & Wilbur, 1997). La technologie impliquée est alors décrite selon quatre dimensions. La dimension inclusive fait référence au degré d’occultation de la réalité. La dimension extensive indique l’éventail des modalités sensorielles couvertes par le dispositif se voulant immersif. La troisième dimension, la dimension environnante, décrit l’étendue du champ de vision couvert par la technologie impliquée. Ce champ de vision est-il étroit ou panoramique ? La cinquième et dernière dimension est la dimension d’intensité. Elle englobe les notions de qualité d’affichage, de richesse du contenu de l’environnement virtuel.
La réalité virtuelle est une technologie fortement inclusive. Elle vient se superposer complètement aux informations visuelles réelles. Les casques de réalité virtuelle sont dotés d’écouteurs et sont accompagnés de manettes. Ils couvrent donc la vue, l’ouïe, le toucher et peuvent être aisément combinés avec la diffusion d’odeur – ce qui les place très haut sur la dimension extensive. Ces casques offrent également un champ de vision panoramique avec un traçage des mouvements de la tête de l’individu pour leur permettre d’explorer l’espace à 360°. Ils sont donc fortement environnants. Enfin, même si la qualité d’affichage est en-dessous de ce que proposent des écrans de télévision par exemple, celle-ci reste correcte. De plus, la dimension d’intensité prend également en compte la richesse de l’environnement en termes de contenu. Cette dernière, même si elle peut être impactée par la puissance de calcul disponible, n’est limitée que par la créativité des développeurs.
Néanmoins, bien que le degré d’immersion relativement optimal qu’offre la réalité virtuelle soit un atout incommensurable, il n’est pas une fin en soi. L’Immersion est liée à une autre notion clef, celle de Présence. C’est ici le sentiment d’exister dans l’environnement virtuel, d’y être. On peut atteindre le plus haut niveau d’immersion possible sans que la personne n’ait le sentiment d’être présente dans l’environnement virtuel (Heeter, 1992). Inversement, le degré de technologie impliqué peut être minime et pourtant l’individu peut se sentir complètement captivé par (et se sentir présent dans) l’environnement. Cette dissociation entre immersion et présence fait la part belle aux caractéristiques individuelles. Pour certains auteurs, le sentiment de présence doit être la marotte de la réalité virtuelle (Cummings & Bailenson, 2016). A quoi bon plonger un individu dans un environnement virtuel par le biais d’une technologie, la plus poussée soit-elle, si malgré tout cet individu reste insensible à, et donc désengagé de, ce qui lui est présenté ?
La contribution d’Orange
Dans le cadre du programme d’anticipation “Immersive Experience”, Orange s’intéresse à la Réalité Virtuelle comme outil de “sketching” des lieux de vie (voir l’outil “Sketch Up Your Place” utilisé dans le cadre de cette étude) ou comme outil de collaboration avec Orange VR Collaboration qui permet d’organiser des réunions collaboratives ou des formations enrichies en Réalité Virtuelle, grâce en particulier à la proposition d’outils qui n’existent pas dans la réalité (https://www.youtube.com/watch?v=17qJ8-PNrN4&feature=youtube). Des travaux en Réalité Augmentée sont également menés dans le cadre du projet de recherche Maori.
Mais c’est dans le cadre de son programme de recherche Augmented Coms and Memories, qu’Orange s’intéresse à la VR comme outil de simulation de contexte pour une évaluation de l’expérience utilisateur combinant à la fois validité interne et validité écologique.
La première phase de ces travaux a pour objectif de comparer des mesures d’UX obtenues en VR, en labo et in-situ. Pour cela, il est nécessaire de déterminer l’environnement virtuel adapté à cette comparaison, en lien avec le produit testé. Pour ce dernier, notre choix s’est rapidement porté sur Djingo, l’assistant vocal développé par Orange. L’interaction se fait par le biais de commandes vocales et serait donc similaire entre les différents contextes de test. Une version virtuelle de Djingo peut également être incorporée dans l’environnement virtuel afin de simuler sa présence. De là, l’option du salon comme contexte de test s’imposait. C’est en effet dans cet espace que Djingo est installé par la plupart des utilisateurs.
Une série d’études préliminaires a permis de tester l’influence de la personnalisation de l’environnement virtuel, l’influence d’une ambiance sonore et celle du photoréalisme sur le sentiment de présence. Ces études visaient également à évaluer l’influence de facteurs individuels tels que la personnalité ou les habitudes vis-à-vis de l’immersion sur l’expérience de présence au sein d’un environnement virtuel. Pour ce faire, une comparaison a notamment été réalisée entre un salon inconnu des participants et un salon virtuel personnalisé pour chaque testeur, recréé à partir de l’outil d’Orange Sketch Up Your Place (Figure 2).
Le sentiment de présence éprouvé au sein du salon virtuel a été évalué avec et sans ambiance sonore. Et, enfin, les sentiments de présence évoqués par un salon avec un faible niveau de photoréalisme et un salon avec un photoréalisme plus élevé ont été comparés (Figure 3). Chaque participant remplissait également un questionnaire de personnalité (Big Five Inventory) et un questionnaire sur ses habitudes vis-à-vis de l’immersion (Immersion Tendencies Questionnaire), le but étant de faire émerger des corrélations entre les dimensions évaluées par ces questionnaires et le sentiment de présence éprouvé.
Les résultats ont montré que le salon personnalisé n’engendrait pas un sentiment de présence plus élevé que le salon inconnu des testeurs. L’ambiance sonore et le photoréalisme, quant à eux, améliorent bel et bien le sentiment de présence. Il semblait donc justifié de conserver le salon photo-réaliste accompagné d’une ambiance sonore pour la suite de nos travaux.
Forts de ses premiers travaux portant uniquement sur l’environnement virtuel, le cœur du projet a pu être abordé : la comparaison d’évaluations UX réalisées en laboratoire, en réalité virtuelle et à domicile. Pour cela, trois groupes de testeurs, chacun dans un des trois contextes d’intérêt, réalisaient un test de qualité audio (test de jugement hédonique) et interagissaient avec Djingo (test utilisateur) avant de remplir des questionnaires leur permettant d’exprimer leur ressenti vis-à-vis de cette interaction.
Les résultats ont montré, tout d’abord, que la qualité objective de l’interaction avec Djingo (obtenue à partir du taux de réussite des requêtes faites à Djingo) ne variait pas en fonction du contexte. Les questionnaires UX n’ont pas montré de différence majeure entre les contextes. Seules quatre questions de chaque questionnaire (qui en comprennent 28 et 34) ont révélé des différences. Celle-ci tendent à montrer que les testeurs du groupe VR se montreraient plus positifs dans leurs ressentis. Ces différences tendent aussi à montrer que les testeurs des groupes invités à venir dans nos locaux (laboratoire et VR) ont jugé Djingo comme plus innovant que ceux restés à domicile. Ainsi, les testeurs, en venant dans les locaux d’une entreprise innovante du domaine des technologies de l’information et de la communication comme Orange, auraient tendance à surestimer le caractère innovant des produits et services à tester, en comparaison avec une première utilisation à leur domicile. Ces interprétations sont tout de même à nuancer car elles reposent sur quelques questions seulement.
En ce qui concerne le test de qualité audio, les résultats montrent que les testeurs du groupe VR semblent moins capables de discriminer les extraits musicaux présentés les uns des autres, notant plus favorablement les qualités audio intermédiaires (Figure 4).
Deux interprétations sont possibles. La première repose sur un effet wow de la réalité virtuelle qui tendrait à rendre plus positifs les jugements des testeurs de ce groupe, excepté pour les qualités extrêmes qui restent insensibles à cet effet. La seconde interprétation repose sur l’ambiance sonore diffusée dans les écouteurs du casque de VR : bien que le volume ait été réglé de façon à permettre aux testeurs d’entendre les extraits musicaux diffusés sur une enceinte proche d’eux, il se peut que l’ambiance sonore artificielle de la condition VR ait interféré dans l’évaluation des qualités intermédiaires en perturbant la focalisation de l’attention auditive sur la tâche de jugement hédonique.
En conclusion
Les résultats de cette première session de test sont très encourageants dans le sens où ils montrent que la VR n’introduit pas de biais majeur dans l’expérience utilisateur et dans son évaluation. Il faut néanmoins rester prudent, l’utilisation de la VR elle-même a pu biaiser les réponses des testeurs dans le cadre du test audio notamment.
Afin de valider la pertinence de la VR dans le cadre de l’évaluation de l’UX, il faut également s’assurer de la fidélité des mesures recueillies. Typiquement, la fidélité est plus forte en laboratoire qu’à domicile et l’idéal, afin que la VR constitue une alternative viable à ces deux méthodes, serait que la fidélité des réponses en VR soit meilleure qu’à domicile, voire aussi bonne qu’en laboratoire. Pour mesurer cette fidélité, il est nécessaire de réaliser une seconde session de test lors de laquelle les testeurs réaliseront les mêmes tâches (test de jugement hédonique audio et test utilisateur avec Djingo).
Par ailleurs, si la fidélité de la VR est établie, l’étape suivante serait de tenter de répliquer en VR des effets de contexte décrits dans la littérature et connus pour influencer les processus de jugement et de prise de décision. Cela permettrait d’asseoir la crédibilité de la VR en tant que simulateur de contexte lors de test utilisateurs.