Voici trois initiatives passées au crible par Alexandre Liccardi, chargé de mission Innovation numérique et Big Data au sein de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) ; et par Raouf Gnouma, directeur de l’activité Eau au sein du bureau d’études en environnement BURGEAP.
Les nouvelles technologies au service de la lutte contre la pollution des milieux aquatiques et pour favoriser la surveillance des écosystèmes écologiques.
Microscopes et intelligence artificielle, avec la solution d’IBM
Pour aider les scientifiques à collecter et analyser en temps réel les informations relatives aux conditions des océans, lacs et rivières, IBM conçoit un microscope autonome en charge de surveiller et de suivre les mouvements du plancton qui sera opérationnel en 2023. Pourquoi le plancton ? Parce que c’est un détecteur naturel de la santé aquatique : son comportement varie en cas de modification de la qualité de l’eau dans laquelle il vit.
La solution d’IBM permettra d’analyser son comportement au sein de son environnement en fonction des variations de température ou de la composition de l’eau. Par exemple, en cas de marée noire, ou de marée rouge (provoquée par une présence excessive d’un organisme unicellulaire microscopique faisant partie de la catégorie des dinoflagellés), ou encore en fonction des courants et des ruissellements.
Ces mesures permettront ainsi d’appréhender les différentes menaces ayant un impact sur la pollution de l’eau. C’est-à-dire de réagir rapidement et d’envoyer un bateau pour nettoyer les plaques d’hydrocarbures en cas de marée noire par exemple.
Le microscope, qui comporte une puce d’imagerie (comme celles utilisées dans les smartphones), capture l’ombre du plancton, ce qui génère des données, lesquelles, transformées en indicateurs, donneront des informations précieuses sur la qualité de l’eau. IBM prévoit de le doter par la suite d’une intelligence artificielle qui lui permettra d’analyser et d’interpréter les données localement et en temps réel.
Alexandre Liccardi. Ce projet touche à la bio-indication et à l’évaluation environnementale qui représente un poste de dépenses très important des initiatives écologiques aujourd’hui. Des études sur le plancton comme indicateur naturel existent depuis plus de cinquante ans, notamment pour évaluer la qualité des eaux dans le cadre des activités de la pêche. Avec cette innovation, qui combine l’électronique embarquée (si le microscope peut être embarqué sur les bateaux) et la technologie de l’intelligence artificielle, ce projet permettra de réelles avancées scientifiques et surtout techniques, avec la possibilité de disposer plus vite de données plus utiles. Ce type d’innovation sera indispensable pour collecter des données en temps réel, les transmettre et les transformer en indicateurs pertinents.
Raouf Gnouma. Cette technique est très intéressante, car l’acquisition de la donnée fiable, en temps réel, et au bon endroit, est la clé pour déclencher tout dispositif d’alerte et d’action. Mais je m’interroge sur le coût de ce type de dispositif, car il doit être accessible à tous les organismes assurant la surveillance de l’écosystème, notamment les collectivités et les syndicats. En outre, comme c’est une technologie assez pointue, il faudra assurer des formations à son utilisation pour qu’elle soit rapidement exploitable par les experts et leurs équipes.
Les drones aquatiques, avec ADCPro
Surveiller l’environnement aquatique nécessite parfois de se rendre dans des zones dangereuses, polluées ou difficiles d’accès. Depuis quelques années, les scientifiques et les professionnels de l’écologie aquatique se tournent vers l’usage de drones développés spécifiquement pour des milieux aquatiques. Ces drones peuvent être téléopérables, nautiques, aériens ou sous-marins. Ils se servent de caméras, de sondes, de capteurs ou encore de caméras thermiques embarquées. Et ils peuvent analyser, mesurer ou encore observer les écosystèmes.
C’est le cas des drones développés par la société ADCPro, pilotables ou autonomes. Certains, grâce à la technologie embarquée RiverSurveyor, peuvent réaliser des mesures de débit jusqu’à 40 m de profondeur. D’autres effectuent des mesures de bathymétrie pour réaliser des cartographies, ou des prélèvements afin d’analyser l’eau.
Alexandre Liccardi. ADCPro propose des outils très performants. Nous faisons appel à des bureaux d’études qui utilisent leur matériel pour réaliser des bathymétries (mesure des profondeurs marines) de précision et des mesures de débit. Mais ils n’intègrent pas l’innovation de la modularité et de l’interopérabilité. Par exemple, l’AFB a conçu et confié la réalisation à l’ESIPE (École supérieure d’ingénieurs de l’université Paris-Est) de l’Aquadrone, un drone sous-marin open source, pour l’exploration et la surveillance des lacs et des rivières en temps réel. Leurs sondes sont moins précises que celles d’ADCPro, mais on peut y ajouter des fonctionnalités. Ce drone possède un socle de base qui peut intégrer une dizaine de modules différents en fonction d’usages très spécifiques (mesure de température, de pression, de l’ADN environnemental, de chimie, de bathymétrie, etc.).
Raouf Gnouma. Les drones sont de très bons outils d’acquisition rapide des données. Ils se développent de plus en plus pour les actions de suivi des écosystèmes. Ils permettent des gains de temps importants, et des suivis très précis grâce au croisement des données. D’un point de vue de la sécurité, cette technique est aussi très utile. Car de nombreux écosystèmes ne sont pas accessibles à l’homme, par exemple, à cause de la pollution chimique ou radioactive.
Néanmoins, l’utilisation des drones est encore restreinte en raison, d’une part, des contraintes règlementaires qui ne permettent pas de survoler toutes les zones ; et, d’autre part, de l’expertise requise pour les piloter et les manipuler.
Il reste aussi à étudier l’impact des drones sur leur environnement, notamment sur les comportements de la faune. Les premières observations montrent en effet que certains animaux seraient stressés par leur présence, ce qui pourrait perturber leurs rythmes.
Un algorithme d’apprentissage automatique, avec l’université de Genève
Une découverte récente permet aux scientifiques de surveiller l’état de santé des environnements des écosystèmes, notamment aquatiques, grâce à l’observation de leur diversité microbienne. Des chercheurs de l’université de Genève (UNIGE) ont développé en 2018 une méthode qui allie la génomique et les outils d’apprentissage automatique pour identifier les micro-organismes et leur diversité. Ces derniers étant particulièrement sensibles aux variations dans leur milieu, ils ont été utilisés comme bio-indicateurs.
Mais puisque l’identification des micro-organismes nécessite beaucoup de temps et d’expertise, les chercheurs n’ont collecté les données que sur quelques-uns d’entre eux. Puis ils leur ont appliqué un algorithme d’apprentissage automatique et un modèle prédictif, afin de constituer un système de référence complet et d’établir un indice de la qualité de l’eau.
Cette nouvelle méthode va permettre de considérablement améliorer la performance des systèmes d’observation des écosystèmes, mais aussi de diminuer les temps d’analyse.
Alexandre Liccardi. Identifier l’ADN des protéines propres à certaines espèces nécessite des budgets importants. L’université de Genève n’est pas le seul organisme de recherche à mener des travaux pour faciliter ces identifications. L’université Savoie Mont Blanc et l’université de Pennsylvanie, par exemple, y travaillent aussi. L’intelligence artificielle est une technologie très intéressante pour étudier l’ADN environnemental. Elle permet d’ajouter une couche d’analyse pertinente si les algorithmes sont correctement calibrés. En général, pour toutes les innovations utilisant les nouvelles technologies, les méthodes, pratiques et modèles d’évaluation existent déjà, il s’agit, comme ici, de les optimiser et de les améliorer. Ces nouvelles méthodes sont très prometteuses, tant à propos des collaborations scientifiques (constructions de bases de savoirs), que pour faciliter l’action sur le terrain.
Raouf Gnouma. Ces bio-indicateurs sont pertinents et complémentaires des analyses physico-chimiques utilisées pour évaluer l’état écologique des écosystèmes. Ils se développent de plus en plus et leurs premiers résultats sont encourageants. Mais comment transpose-t-on ces éléments d’information d’un territoire à un autre ? Comme la diversité microbienne y est différente, je me demande en effet s’il est nécessaire de recalibrer le système chaque fois, ce qui nécessiterait un certain temps et un certain coût de recherche.