Ada Lovelace
En cette période victorienne très corsetée où tout ce qui touche aux sciences est réservé aux hommes, la scientifique Ada Lovelace est une curiosité en Angleterre. A 17 ans, la fille du poète Lord Byron et d’une intellectuelle férue de mathématiques Annabella Milbanke rencontre Charles Babbage, éminent mathématicien, professeur à l’université de Cambridge et précurseur des ordinateurs modernes avec sa « machine analytique » dotée de cartes perforées sur le principe du métier à tisser de Jacquard. En 1842, chargée de la traduction d’un article sur ce projet, Ada Lovelace enrichit son travail de sept notes dont l’une d’elles, notamment, inaugure l’histoire du langage informatique. Elle y présente le premier algorithme pouvant être exécuté par une machine. En somme, l’ancêtre du programme informatique.
Alan Mathison Turing
Préférant les matières scientifiques aux enseignements classiques, le jeune Britannique Alan Turing fera de cette inclination une véritable mission après le décès prématuré de son grand ami, Christopher Morcom, passionné de mathématiques. Précurseur de l’intelligence artificielle et spécialiste de la cryptologie (il participa pendant la Seconde Guerre mondiale au déchiffrage des codes secrets de la machine allemande Enigma), c’est en 1935 qu’il apporte une contribution décisive à l’informatique naissante avec sa machine à calculer « universelle » (machine de Turing), qui ouvrit la voie à de nombreux développements de la théorie des algorithmes. Persécuté pour homosexualité, il fut contraint en 1952 à une castration chimique qui l'entraînera au suicide.
John von Neumann
Enfant précoce et chercheur de génie, les travaux du mathématicien et physicien américain d’origine hongroise John von Neumann ont eu un impact déterminant sur de nombreuses disciplines allant de la mécanique quantique à l’analyse fonctionnelle en passant par la théorie des ensembles, les sciences économiques et l’informatique. Dans ce dernier domaine, il est à l’origine de la première description d’un ordinateur dont le programme est stocké dans sa mémoire. Ce modèle d’« ordinateur à programme enregistré » utilisé dans la quasi-totalité des ordinateurs modernes est connu depuis 1948 sous le nom d’ « architecture von Neumann ». En 1958, il est le premier à évoquer le concept de « singularité technologique », à savoir le point de rupture où l’intelligence artificielle verrait l’homme dépassé par la machine.
John Backus
Les jeunes années de l’Américain John Backus ont de quoi rassurer les élèves les plus médiocres. Accumulant les mauvaises notes et les absences au lycée, il s’essaie sans conviction à des études de chimiste puis de médecine. Finalement, c’est par hasard qu’il se découvre une aptitude pour les mathématiques. Son diplôme de Columbia en poche, il se fait embaucher par IBM pour travailler sur le Selective Sequence Electronic Calculator (SSEC), l’un des tout premiers ordinateurs. Il mettra trois ans à concevoir Speedcoding, premier programme permettant d'utiliser un système simple de nombres en virgule flottante. Mais sa contribution la plus décisive consistera à créer le premier véritable langage de programmation, à savoir un système qui permette de se passer de la transcription manuelle des programmes en langage machine, une sorte de traducteur, présenté dans un rapport intitulé « Specifications for The IBM Mathematical Formula Translating System » et qui donna naissance en 1954 à Fortran, premier langage de programmation de haut niveau, plus proches des langues naturelles.
John McCarthy
Célèbre pour avoir énoncé le premier en 1955 le concept d’intelligence artificielle (IA), l’Américain John McCarthy fut le co-fondateur du premier laboratoire d’IA du MIT et le fondateur de celui de l'université de Stanford. Créateur avec l’informaticien Fernando Corbató de la technique du temps partagé permettant à plusieurs personnes d’utiliser simultanément un même ordinateur, il est à l’origine en 1958 du langage de programmation Lisp (pour List Processing) qui deviendra le principal langage utilisé en matière d’intelligence artificielle. Ce langage dit de haut niveau, dans la lignée de Fortran, a inspiré dans divers domaines nombre de dérivés tels que Scheme, Clojure ou Common Lisp. Basé sur des symboles plutôt que des nombres, il a ouvert la voie à une programmation plus qualitative, d’où son succès en intelligence artificielle et son application pour des dialogues pseudo-naturels où certains mots-clés du langage courant sont compris par le système.
Grace Hopper
Docteur en mathématiques et amirale de l’armée américaine, Grace Hopper a profondément contribué à l’évolution des langages de programmation. Elle est la conceptrice en 1951 du premier compilateur, l’A-O System, un programme qui transforme un langage de programmation en un autre langage informatique compréhensible par la machine. Mais c’est chez IBM, qu’elle rejoint en 1957, qu’elle travaille sur la conception d’un programme pouvant être écrit dans un langage proche de l'anglais. S’inspirant largement du langage Flow-Matic qu’elle a mis au point, un comité regroupant six constructeurs dont IBM et trois agences gouvernementales américaines donnèrent naissance en 1959 au langage Cobol (Common Business Oriented Language). C’est grâce à celle qu’on surnommait « la mère du langage Cobol » qu’aujourd’hui les ordinateurs comprennent l’anglais et que des non-mathématiciens et des entreprises se sont lancés dans la programmation.
Niklaus Wirth
Ne manquant pas d’humour, Nicklaus Wirth avait coutume de dire qu’on l’appelait par son nom en Europe et par sa valeur en Amérique (« nickel’s worth », la valeur du nickel). Ce Suisse, multi-diplômé dans son pays natal ainsi qu’au Canada et aux Etats-Unis, travaille à la fin des années 1960 à la création d’un langage simple et efficace. Baptisé Pascal en 1968, en hommage au philosophe et mathématicien français Blaise Pascal, ce langage de programmation a l’avantage d’être évolué (facilement implantable sur les ordinateurs les plus divers), universel (pour toutes sortes d’applications : sciences, gestion…), structuré (facilitant l’implantation d’algorithmes) et procédural (plus simple et plus naturel). Originellement utilisé dans le monde de l'éducation et de la recherche universitaire, le langage Pascal eut aussi un certain succès dans l'industrie et dans l'édition logicielle. Le compilateur UCSD Pascal, de l'université de Californie à San Diego, fut notamment popularisé par l'Apple II.
Kenneth Thompson
Informaticien prolixe, l’Américain Kenneth Thompson, qui aujourd’hui à 74 ans collabore avec Google, est le concepteur entre autres du langage B, précurseur du C, de l’ordinateur Belle, spécialisé dans le jeu d’échecs, de dbm, moteur de bases de données d’AT&T et du langage Go de Google, réputé pour sa rapidité d’exécution. Mais il est aussi à l’origine du système d'exploitation multitâche et multi-utilisateur Unix en 1969. Très prisé dans le monde universitaire, ce dernier a été utilisé par de nombreuses start-ups des années 1980 qui l’ont décliné dans diverses variantes comme BSB (FreeBSD, NetBSD et OpenBSD), GNU/Linux, iOS et MacOS. Aujourd’hui, la plupart des systèmes PC ou mobile les plus utilisés (à l'exception des Windows NT) sont basés sur le noyau de Unix, y compris ceux commercialisés par Apple.
Brian Kernighan et Denis Ritchie
S’appuyant sur le langage B conçu par Kenneth Thompson, Denis Ritchie, informaticien aux laboratoires Bell, développe une nouvelle version. En 1978, il co-écrit avec Brian Kernighan « The C Programming Language » (« Le langage de programmation C »), un livre d'informatique qui décrit le langage C, un modèle de documentation technique également connu sous le nom du « livre K&R » ou encore « The White Book ». Ce nouveau langage qui doit certes son succès à son ancienneté mais aussi à son format ouvert et à sa simplicité est le précurseur de nombreux autres langages récents comme C++, Java, C# et PHP.
Bjarne Stroustrup
Le Danois Bjarne Stroustrup, actuellement « managing director » chez Morgan Stanley, est le créateur en 1983 de l’un des langages de programmation aujourd’hui les plus populaires : le C++. Employé au laboratoire de recherche Bell d’AT&T au cours des années 1980, il s’appuie sur ces travaux menés lors de sa thèse de doctorat sur une amélioration du langage C pour concevoir une version plus rapide que Simula et plus adaptée au développement de gros logiciels que BCPL, deux langages de référence à l’époque. Standardisé, C++ est aujourd’hui utilisé dans une multitude d'environnements et est particulièrement apprécié pour la réalisation de grands programmes.
Bertrand Meyer
Polytechnicien et diplômé de Stanford, le Français Bertrand Meyer, passé par EDF, est l’architecte du langage Eiffel, en 1986, un langage de programmation orienté objet (paradigme informatique basé sur des briques logicielles appelées « objets » représentant un concept, une idée ou toute entité du monde physique). Doté de fonctionnalités très avancées et novatrices, Eiffel, s’inspirant de la perfection de la célèbre tour, vise à éviter les défauts des autres langages, provoquant bogues et perte de temps. D’abord utilisé comme un outil interne par la société de services informatiques de Bertrand Meyer, Interactive Software Engineering (ISE), Eiffel sera ensuite rendu public et largement promu par son concepteur.
Guido van Rossum
Python, c’est l’histoire d’un jeune informaticien néerlandais qui, pour occuper ses congés de Noël, se plonge dans son ordinateur pour écrire un nouveau langage de script. L’objet était de résoudre un problème d’interfaçage sur le système d’exploitation Amoebia sur lequel il planchait à l’époque au Centrum voor Wiskunde en Informatica (CWI) d'Amsterdam. Fan de la série Monthy Python’s Flying Circus, Guido van Rossum décide de baptiser ce projet Python. Inspiré du langage de programmation ABC, également développé au CWI, la première version publique de Python, que Guido van Rossum développera à ses heures perdues, sera disponible en 1991. Depuis 2001, toute modification apportée au langage est supervisé en open source par la Python Software Foundation (PSF), une association sans but lucratif qui a intronisé Guido van Rossum, actuellement chez Dropbox, « Benevolent Dictator for Life » (« dictateur bienveillant à vie »).
Linus Torvalds
Etudiant à l’université d’Helsinki au début des années 1990, le Finlandais Linus Torvalds y dévore la documentation du nouveau processeur Intel 80386. S’appuyant sur le système d’exploitation Minix, version simplifiée d’Unix conçue par l’enseignant américain Andrew Tanenbaum, il développe un noyau de système d’exploitation pour booster les fonctionnalités de son ordinateur personnel. Ce qui donnera naissance au système GNU/Linux, plus connu sous le nom de Linux (GNU étant un système conçu par le programmateur américain Richard Stellman et qui resta jusqu’en 1991 au stade expérimental). La spécificité de Linux est d’être un système d’exploitation libre, ouvrant à tous son utilisation, son étude, sa modification et sa duplication en vue de sa diffusion.
Yukihiro Matsumoto
« Programmateur autodidacte », selon ses dires, Yukihiro Matsumoto, dit Matz, est un fervent adepte des logiciels libres. S’inspirant des langages Smalltalk et Lisp mais aussi d’Ada, Eiffel et Perl, il développe au début des années 1990 Ruby, un nouveau langage de programmation sous licence libre qui privilégie la simplicité et la productivité. Facile d’accès, Ruby se prête à un travail d’équipe et s’avère être un langage tout terrain. Depuis une dizaine d’années, il est devenu très populaire et est animé par une communauté de plus en plus importante avec même des méthodes d’apprentissage pour les enfants comme Ruby for Kids.
James Gosling et Patrick Naughton
Une nouvelle fois, tout a démarré par une insatisfaction, celle en l’occurrence de l’ingénieur américain de Sun Microsystems, Patrick Naughton, face à l’utilisation du langage C++. Epaulé notamment par l’informaticien canadien James Gosling, il abandonne rapidement l’idée de simplement améliorer C++. L’équipe décide plutôt de développer un nouveau langage et le recentre vite sur le web. L’un des atouts de Java est d’être très facilement portable sur plusieurs systèmes d’exploitation tels que Unix, Windows, Mac OS ou GNU/Linux. Pour l’anecdote, le nom « Java » vient du café (« java » en argot américain), boisson abondamment consommée par les concepteurs du nouveau langage. Son logo n’est autre qu’une tasse de café fumant.
Ross Ihaka et Robert Gentleman
R n’est pas que la 18e lettre de l’alphabet, c’est aussi depuis 2000 « le » langage de programmation de la communauté des statisticiens, ingénieurs et autres data analysts. Ses utilisateurs ont souvent coutume de dire que « R rend facile les choses compliquées, et complique les choses simples ». Mais sa puissance, sa polyvalence et son coté « open-source » en ont fait un logiciel très populaire, aujourd’hui utilisé par les plus grandes entreprises : Google l’emploie pour calculer le retour sur investissement des campagnes publicitaires et Ford pour améliorer la conception de ses véhicules. Le projet a été initié en 1993 à l’université d’Auckland (Nouvelle-Zélande) par deux statisticiens, le Néo-Zélandais Ross Ihaka et le Canadien Robert Gentleman afin de faciliter le travail d’analyse de données de leurs étudiants de première année. Un outil qu’ils baptiseront R, en référence aux initiales de leurs prénoms, et qu’ils rendront libre d’accès pour que « chacun apporte sa pierre à l’édifice ».
Chris Lattner
Après des études d’informatique dans l’Oregon puis l’Illinois, l’Américain Chris Lattner rejoint Apple en 2005 à l’âge de 27 ans pour développer le projet LLVM (une infrastructure de compilateur). En 2010, il lance le développement d’un langage de programmation compilé qui prendra le nom de Swift, dont la première version publique sera disponible en 2014. Passé en open source en 2015, Swift est très vite adopté par les développeurs notamment pour sa simplicité. Il est entré en 2017 dans le Figurant au « Top 10 » des langages les plus populaires selon le classement Tiobe, il confirme ainsi son statut de successeur d’Objective-C, le langage qui avait jusque-là assuré le développement d’applications iOS et MacOS. Quant à l’expérience de Chris Lattner chez Tesla qu’il avait rejoint en janvier 2017 pour diriger Autopilot, le système de pilotage automatique du constructeur automobile, elle aura été de courte durée : en juin, il quittait déjà la société.