Ce que l’IA perçoit de l’être humain à travers sa voix

Apparue dans les années 50, l’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui incontournable avec de nombreux usages.
La reconnaissance des émotions d’une personne avec ses intonations dans la voix est un exemple d’usage utilisé dans certains centres d’appels.
L’IA pourrait se définir comme étant un ensemble de sciences et de technologies qui tentent de reproduire, par des machines, des compétences cognitives qui sont le propre de l'être humain : la capacité de voir, de percevoir, d’entendre, d’écouter, de parler, de comprendre le langage naturel, de raisonner, d’apprendre et enfin de s’émouvoir.

L’IA n’est finalement qu’au début de son histoire et progresse vite mais reste très loin de l’intelligence humaine.
Elle est utilisée pour aider, accompagner, assister, soulager l’intelligence humaine et non la remplacer.

Jérôme Colombain : Nous allons donc parler d’Intelligence Artificielle avec Fayçal Boujemaa. Bonjour.

Fayçal Boujemaa : Oui, bonjour.

JC : Vous êtes stratège techno du département Données et Intelligence Artificielle chez Orange. L’IA, on sait qu’elle est partout aujourd’hui, mais on a besoin d’y voir clair. Revenons un peu aux sources, Fayçal Boujemaa, si vous voulez bien. Qu’est-ce que c’est que l’Intelligence Artificielle en fait ?

FB : L’intelligence artificielle, on peut la définir comme étant une tentative de reproduire par des machines des compétences cognitives, qui sont le propre de l’être humain. Donc ces compétences, nous, êtres humains, nous les connaissons bien : la capacité de voir, de percevoir, d’entendre, d’écouter, de parler, de comprendre le langage naturel, de raisonner, d’apprendre – c’est un point extrêmement important -, et s’émouvoir. Et en fait, l’intelligence artificielle est un ensemble de sciences et technologies qui essayent de reproduire ces capacités que nous avons tous, d’une manière innée.

Un pilier parmi les piliers de l’IA, c’est la vision par ordinateur. Pour parler ou écouter, on a tout ce qui est reconnaissance ou synthèse de la parole. Pour l’apprentissage, c’est l’apprentissage automatique, les fameux « Machine Learning » ou « Deep Learning ».

Donc il y a effectivement un pilier important, plus récent celui-là, de l’intelligence artificielle qui essaye à la fois d’interpréter des émotions, sur par exemple, un visage humain à travers les rides du visage, à travers la gestuelle aussi de la personne, les mouvements de la tête, les bras, etc., le corps. Et puis la synthèse aussi des émotions. Par exemple, des robots humanoïdes qui peuvent avoir aussi la capacité de synthétiser des émotions.

 

JC : L’IA est une discipline ancienne qui date des années 50. Et on sait que derrière tout ça, ce sont des mathématiques. C’est quand même assez éloigné de l’intelligence humaine, l’intelligence au sens auquel on l’entend habituellement. Non ?

 

FB : L’IA c’est relativement ancien, mais effectivement, je pense que dans les années 50, 60 ou même 70, on a manqué de puissance de calcul, on a manqué de données aussi. En fait ce qui explique la renaissance de l’IA, même si les fondements datent des années 50, c’est justement le fait qu’on a beaucoup plus de données pour permettre à la machine d’apprendre. C’est aussi la capacité de calcul qui a beaucoup évolué depuis les années 60-70. Et puis des progrès aussi intrinsèques, liés à la discipline elle-même finalement, que sont les techniques d’apprentissage, et notamment l’apprentissage profond qu’on appelle en anglais « Deep Learning », qui ont aussi permis à l’IA de faire ce bond à partir des années 2010 à peu près.

On est qu’au tout début d’une histoire. L’IA va progresser encore, même si aujourd’hui les gens sont parfois effectivement étonnés de ce qu’elle est capable de faire. On n’est qu’au tout début d’un long chemin.

 

JC : Et alors, qu’est-ce qu’on peut faire avec ? On a l’impression aujourd’hui que le champ des possibles est infini. Vous parliez tout à l’heure d’émotion ?

 

FB : J’ai donné l’exemple de robots, mais aujourd’hui, en fait, c’est déjà utilisé. Par exemple, dans les centres d’appels, on est capable, ne serait-ce qu’avec la voix, sans à la limite voir un visage ou les mimiques d’un visage ou des gestuelles. Mais à travers juste la voix. Notre voix véhicule effectivement ce que nous disons comme parole strictement. Mais elle peut aussi, avec les intonations, avec le niveau de la voix, véhiculer des situations. On peut à travers ça sentir que la personne est contente, heureuse, indisposée, fatiguée, ou énervée…

Donc rien qu’à travers la voix, on est capable, et c’est utilisé aujourd’hui dans les call centers les plus avancés qui utilisent des IA, de comprendre des choses au-delà de ce qui est dit, mais reconnaître aussi des émotions dans la voix.

Par exemple, quand un bot, dans un centre d’appels, ne sait pas ou atteint ses limites – parce qu’il y a aussi des limites -, il peut, par exemple, basculer l’appel sur une intelligence humaine qui va peut-être mettre de l’affectif, etc. dans cet échange, qui va permettre de régler la situation ou de calmer un peu la situation.

 

JC : Alors ça, c’est un exemple qui est effectivement très parlant. Est-ce qu’il y a d’autres applications aujourd’hui ? Et dans le futur, qu’est-ce qu’on peut imaginer comme autre utilisation de l’IA, Fayçal Boujemaa ?

 

FB : Comme je le dis souvent, là où finalement l’intelligence humaine s’exprime, l’IA peut venir aider. Je dis bien aider, pas remplacer. L’IA, malgré tous les aspects un peu spectaculaires qu’on voit, est encore très loin de l’intelligence humaine. C’est peut-être un peu paradoxal. C’est pour ça qu’il ne faut pas faire peur aux gens.

L’IA est là pour aider, pour assister l’être humain, pour l’aider à mieux décider, à décider plus vite, le soulager aussi. Soulager le cerveau humain d’un certain nombre de tâches simples ou simplistes que les l’IA ou la machine peut faire. Mais l’IA progresse, mais elle est loin. Il faut vraiment la considérer aujourd’hui, comme étant une aide à l’intelligence humaine, une aide à la personne et pas plus.

 

JC : Alors, Fayçal Boujemaa, il y a des questions qui se posent. Ce sont toutes les questions éthiques. Par exemple, dans les chatbots, vous parlez de reconnaissance des émotions. Là, il y a ce qu’on appelle les fameux risques de biais.

 

FB : Absolument. En fait, ça fait partie des challenges de l’IA. Quand on fait de l’apprentissage, quand on apprend des choses à la machine, il faut éviter effectivement de lui donner des choses qui font que son apprentissage ne se passe pas bien. Parce que finalement, encore une fois, la machine n’invente rien. La machine s’alimente des données qu’on lui donne.

Dans les présentations que je fais habituellement, je compare toujours l’IA à un enfant en bas âge. Un enfant en bas âge, si ses parents lui donnent une « bonne éducation », donc les bons conseils, etc., s’ils l’informent bien, s’ils appellent bien les choses par leur nom, l’enfant est « formaté » convenablement. Donc si effectivement on ne lui donne pas les bonnes infos ou si on se laisse aller, en termes d’éducation, effectivement il peut tourner mal.

L’IA c’est pareil, c’est l’homme qui lui donne, qui sélectionne les données qui servent à l’apprentissage de l’IA. Donc si l’IA a mal appris des choses, ce n’est pas de la faute de l’IA et de la machine.

Même s’il y a des choses qui sont relatives aux aspects mathématiques et informatiques – j’y reviendrai plus tard -, à la base, les données qui servent pour l’apprentissage de l’IA sont fournies, sont sélectionnées par l’expert humain. Donc si effectivement cet expert humain sélectionne mal le jeu de données nécessaires ; si ce jeu de données intègre des biais sociaux, sexistes, racistes aussi – c’est déjà arrivé, même récemment, mais heureusement on a corrigé tout ça – ; l’IA va reproduire ce qu’elle a appris.

Donc le fait de choisir les bonnes données permet d’avoir un bon apprentissage.

 

JC : Alors autre volet, et non des moindres, Fayçal Boujemaa, c’est l’aspect environnemental. L’IA, vous l’avez dit, c’est de la puissance de calcul donc ce sont des machines, donc c’est de la consommation énergétique, donc c’est du bilan carbone. Comment est-ce que vous prenez en compte cette dimension aujourd’hui ?

 

FB : Alors je dois souligner d’abord que l’IA fait beaucoup pour la verdure, donc pour le green. Il y a énormément d’applications effectivement qui permettent d’optimiser le transport, la circulation par exemple, qui permettent de réduire la consommation énergétique dans d’autres domaines, dans l’agriculture. En revanche, effectivement, l’IA, elle, ne s’est pas préoccupée en quelque sorte d’elle-même, de sa propre consommation.

Et donc du coup, ça, c’est une discipline : « Green AI », comme on l’appelle en anglais. Donc « l’IA verte ». C’est une discipline qui est née d’un article fondateur qui a été publié en juillet 2019. Donc ce n’est pas si lointain que ça. Et l’idée ici, c’est vraiment de savoir comment produire des IA avec la même qualité si possible, mais tout en consommant beaucoup moins d’énergie.

Et donc là, en s’appuyant sur des techniques mathématiques et informatiques, aujourd’hui, on est en train de voir qu’il y a certainement une possibilité d’avoir des IA qui peuvent donner une qualité de service d’un très bon niveau tout en consommant beaucoup moins. C’est à dire nécessitant, au niveau de l’apprentissage principalement, beaucoup moins d’itérations, pour que cet apprentissage se fasse dans les meilleures conditions.

 

JC : Donc comment vous faites ? C’est au niveau véritablement de la conception des algorithmes d’IA ?

 

FB : Absolument c’est essentiellement mathématique. Mais effectivement jusqu’à maintenant, on va dire qu’on a progressé pour que l’IA soit viable, qu’elle existe, pour qu’on montre ce qu’on sait faire avec. Mais maintenant on commence effectivement à se dire il faut peut-être regarder un peu les techniques mathématiques et informatiques que nous utilisons jusqu’ici, pour les optimiser, pour que cet apprentissage se fasse plus rapidement.

Il y a quelques astuces mathématiques et informatiques pour qu’on aille plus vite : beaucoup moins de calculs et donc moins de consommation d’énergie.

 

JC : Bon, pour résumer, Fayçal Boujemaa, l’IA est déjà dans de nombreux domaines et demain il y aura de l’IA partout ?

 

FB : Oui, absolument. Là où l’intelligence humaine s’exprime, l’IA peut venir aider. Et d’ailleurs, aujourd’hui, au sein d’Orange, nous avons l’IA sur la partie technique, sur le réseau, sur la sécurité, sur le système d’information. L’IA, sur le terrain commercial, le business, donc l’IA pour la relation client, l’IA pour le marketing et quelques autres usages en termes de marketing et de commerce.

Il y a un troisième terrain où l’IA peut s’exprimer au sein d’une entreprise au-delà du cadre d’Orange : ce sont les fonctions supports. C’est l’IA pour les financiers, pour les services RH. Elle peut servir à l’analyse de CV, à l’identification sur les réseaux sociaux des « pépites » à recruter, etc. Elle peut aussi servir pour les RH, pour les orientations des carrières ou conseils d’évolution de carrière, ou conseils de formation, pour le service juridique, pour la gestion des risques.

Pour nous autres, employés de l’entreprise ; c’est-à-dire avoir des IA sur nos PC. Nous avons aujourd’hui déjà des IA qui peuvent nous aider à traduire des textes mais qui vont enregistrer des réunions, faire du scripting de réunions, générer quasi automatiquement des comptes rendus de réunions, gérer nos agendas aussi. Donc avoir finalement un assistant ou une assistante virtuelle. L’IA peut venir effectivement nous aider à gérer tout ça.

Et puis pour terminer, un quatrième terrain important pour l’entreprise, c’est l’IA pour l’innovation de service. L’IA, c’est plus un outil qui nous permet d’aller beaucoup plus vite, de travailler mieux, mais ce n’est pas pour supprimer l’importance de l’homme.

 

JC : Merci beaucoup Fayçal Boujemaa. Je rappelle que vous êtes stratège techno du département Données et Intelligence Artificielle chez Orange.

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