« Grâce aux objets connectés, la pratique médicale, qui, jusqu’ici, était essentiellement curative, évolue vers plus de dépistage précoce, de préventif et de prédictif. »
Montres, bracelets, brassards, vêtements, pansements, implants… Les wearables ou objets connectés liés à la santé foisonnent. Commercialisés depuis quatre ou cinq ans, ils étaient considérés jusqu’à encore récemment comme des gadgets. Mais avec le développement des Medical Devices (MD), ils gagnent peu à peu leur légitimité, laissant augurer une véritable transformation du secteur de la santé. Ces objets connectés encouragent non seulement les utilisateurs et patients à se préoccuper davantage de leur santé et à gérer leurs maladies chroniques, mais ils impactent aussi la façon de travailler de tous les professionnels de santé : médecins, laboratoires d’analyses, hôpitaux, cliniques, professions paramédicales, infirmiers, Sécurité sociale, etc. Ainsi, la pratique médicale, qui, jusqu’ici, était essentiellement curative, évolue vers plus de dépistage précoce, de préventif et de prédictif. Ces objets connectés d’e-santé incitent également l’ensemble des praticiens à une plus grande coordination et collaboration et au développement d’un suivi à distance. Enfin, ces technologies autonomisent les patients et les placent au cœur du processus médical.
Glycémie, tension artérielle, infections… : les objets connectés révèlent certains dysfonctionnements du corps
Dotés de toutes sortes de capteurs, de nombreux objets médicaux connectés sont aujourd’hui capables de repérer une grande variété de dysfonctionnements dans le corps humain : dérèglement de la glycémie, variation de la tension artérielle, fibrillation auriculaire, infections… Ainsi, le CardioNexion de la société @-Health, intégré aux vêtements, repère les AVC grâce à un dispositif de captation et d’analyse en temps réel de signaux biomédicaux ; l’Apple Watch Series 4 ou les montres connectées Move et Move ECG de Withings présentées dernièrement au CES de Las Vegas sont, quant à elles, capables de produire un électrocardiogramme en quelques minutes grâce à l’intégration d’un stéthoscope digital ; le tensiomètre BPM Core de Withings détecte des valvulopathies (dysfonctionnement des valves cardiaques). Le marché propose également des pansements connectés capables d’identifier des infections et des patchs intelligents mesurant le taux de glucose dans le sang et injectant les bonnes doses d’insuline.
Lorsque ces objets connectés sont reliés au réseau médical, les professionnels sont informés en temps réel des anomalies et peuvent alors intervenir à distance.
Les objets médicaux connectés au secours des déserts médicaux
Les déserts médicaux ou les lieux reculés sont propices à l’utilisation de ce type d’outils. Grâce à eux, les professionnels de santé peuvent surveiller les personnes âgées, les patients atteints de maladies chroniques, ou assurer à distance le suivi postopératoire. Une alternative intéressante à deux niveaux. D’un côté, ces outils connectés permettent aux patients d’être maintenus chez eux en toute sécurité, et de l’autre, ils réduisent les coûts d’hospitalisation et désengorgent les hôpitaux et les cliniques.
À noter également que des outils de partage de données et de visioconférence permettent aux professionnels de santé de recueillir à distance l’avis d’un collègue sur un diagnostic ou sur un protocole. Les médecins sont épaulés et « augmentés » dans leurs actions et les patients sont mieux soignés.
De nombreux freins restent à lever
Mais si les bénéfices de santé de ces objets sont réels, le marché peine à percer. Selon Philippe Marcel, directeur interrégional Sud-Est et responsable du programme CAP’TRONIC*, plusieurs éléments sont à l’origine de cette situation. « Parmi les raisons majeures : la difficulté à évaluer les bénéfices de ces technologies. Ainsi, la création de valeur des objets médicaux connectés n’est pas toujours prouvée. Non seulement les utilisateurs peuvent s’interroger sur la fiabilité des données collectées, mais également sur les conditions dans lesquelles elles sont recueillies. Car, sorties de leurs contextes, les données sont parfois inexploitables par le personnel médical. Ces objets prendront donc toutes leurs dimensions s’ils simplifient les actions des professionnels de santé et répondent à leurs besoins », insiste-t-il. Autre frein, le manque d’interopérabilité entre les objets et les plateformes de collecte et de traitement des données, et les infrastructures réseaux insuffisantes dans certaines régions.
La législation : « Au regard du droit français, les données de santé, reconnues comme sensibles, bénéficient d’une protection accrue. Collecter les données issues de ces objets connectés impose le consentement des utilisateurs. Les craintes de certains professionnels de santé de voir les utilisateurs et/ou patients s’affranchir de leurs services persistent. Ainsi, dès lors que les données délivrent certaines conclusions, les patients peuvent par exemple contacter directement un spécialiste sans en référer à leur médecin traitant. Une crainte qui se manifeste aussi dans les laboratoires d’analyses : certains objets connectés de santé étant capables d’effectuer quelques-unes de leurs prestations », ajoute Philippe Marcel. Enfin, d’autres technologies, comme l’IA ou le machine learning, risquent fort de révolutionner tout l’écosystème de santé. Rappelons que Watson, l’IA d’IBM, aurait non seulement réussi à diagnostiquer un cancer du poumon avec un taux de succès de 90 %, contre 50 % pour un médecin, mais aurait également proposé des traitements à un patient après avoir calculé leur degré de pertinence.
L’assurance maladie et les assurances professionnelles contraintes d’évoluer
Toutes ces technologies ne vont pas non plus se diffuser sans soulever de nombreuses interrogations. « Qui paie ces MD (medical devices) connectés ? Sont-ils remboursés par la Sécurité sociale ? À quelle hauteur ? Et quid de la responsabilité ?, interroge Philippe Marcel. À qui revient l’imputation d’une erreur lorsque le médecin s’appuie sur une IA pour établir un diagnostic ? Qui de l’IA ou du médecin est responsable ? Toutes les assurances des professionnels de santé se penchent aujourd’hui sur ce type de sujet. Et les mutuelles ne sont pas en reste ». C’est ainsi que depuis deux ans, Generali propose à ses entreprises adhérentes un programme d’assurance comportementale. Baptisé Vitality, ce programme permet aux salariés volontaires de recevoir des bons d’achat en contrepartie du respect de certaines règles d’alimentation et d’un certain mode de vie. De leur côté, Axa et Harmonie Mutuelle remboursent certains objets connectés d’e-santé pour inciter leurs adhérents à adopter une meilleure hygiène de vie. Toutefois, en France, les assureurs ne peuvent accéder aux données de santé de leurs adhérents et donc les utiliser pour tarifer ou résilier un contrat.
L’utilisation de ces objets connectés soulève bien évidemment le problème de leur sécurité : comment s’assurer qu’ils ne seront pas la cible d’un piratage ou d’un vol de données, voire d’un dysfonctionnement par intrusion. Toutefois, même si l’absence de risque n’existe pas, quelques bonnes pratiques peuvent aider à se prémunir contre ces malversations : choisir des marques reconnues, faire des mises à jour logicielles régulières, changer les mots de passe, vérifier la sécurisation de la connexion Internet, etc.
Si tous ces éléments ralentissent le déploiement de ces objets d’e-santé, ils pourraient rapidement disparaître face aux bénéfices et à l’enthousiasme de tous les acteurs engagés dans ce secteur. Apple, Amazon, Google, mais aussi Samsung, Sony, Philips, Panasonic ou LG ; sans compter tous les industriels pharmaceutiques historiques comme Sanofi, Novartis, Roche, Johnson & Johnson, ou Merck ; les fabricants de dispositifs médicaux ; les marques comme Nike ou Adidas ; et bien sûr les start-up (Visiomed, Withings, Voluntis, Bluelinea, iHealth, etc.), tous investissent aujourd’hui massivement sur ce marché. Enfin, versées au DMP (dossier médical partagé), les données issues de ces objets connectés ont, depuis novembre 2018, enrichi la connaissance médicale de tous les patients.
* Programme CAP’TRONIC : Aider les start-up et PME françaises à améliorer leur compétitivité grâce à l’intégration de solutions électroniques et de logiciels embarqués dans leurs produits.