Ces travaux de recherche ont été primés par la faculté de médecine de Grenoble lors de la Journée de la Recherche Médicale 2018.
« Dites-moi comment vous téléphonez et je vous dirai comment vous allez ». Cette injonction, détournée d’un proverbe bien connu, se fait exactement l’écho d’Alloscope, le projet de recherche mené par une équipe de scientifiques d’Orange. A destination des professionnels du secteur médico-social, ce projet a pour objectif d’analyser les traces de télécommunications de personnes en situation de fragilité qui reflètent l’évolution de leur comportement. Une animation illustrative est présentée au Salon de la Recherche 2019.
Le téléphone, premier capteur
En France, il existe une grille appelée AGGIR pour mesurer le degré de perte d’autonomie d’une personne. Parmi les activités évaluées, la perte de la capacité à utiliser un téléphone (et donc à alerter en cas de besoin) est le signe d’une importante perte d’autonomie. C’est précisément ce qui a mis la puce à l’oreille de l’équipe d’Hervé Provost, chef de projet chez Orange : « nous nous sommes aperçus que l’usage du téléphone s’avérait un excellent baromètre de la variation de l’état de forme d’une personne (lien social, état psychologique, forme physique par exemple). De plus, il présente l’avantage d’être déployé à grande échelle dans quasiment tous les milieux et secteurs géographiques. Alors que des capteurs portés ou environnementaux sont à l’étude pour suivre, entre autres, des personnes âgées, nos chercheurs se sont alors rendus compte que le système d’information d’Orange constituait déjà en lui-même une formidable source d’information ».
Indicateurs télécoms
En observant les comptes rendus d’appel (CRA), autrement dit la facturation détaillée, ils ont pu constater que leur analyse livrait des données comportementales très précieuses. Les traces issues des 3 types de réseau (RTC, ToIP et mobile) comportent des éléments d’ordre temporel (heures et durées d’appels), social (sens des appels et nombre de numéros différents composés ou reçus), et spatial (les différentes antennes utilisées lors des appels par mobile). Ainsi, par exemple, les numéros de téléphone entrants ou sortants témoignent de l’évolution de l’intensité et de la diversité du lien social de l’individu. « Il s’agit bien sûr uniquement de données opérateur ! Elles ne contiennent aucun contenu. Et toutes les personnes qui souhaiteront bénéficier de ce dispositif doivent exprimer leur consentement », précise Hervé Provost. Grâce à ces informations, les professionnels pourraient mieux suivre au long cours les personnes fragiles, ainsi que par exemple les effets de certains traitements.
Du suivi individuel au suivi populationnel ?
Autre constat : la corrélation entre rythme circadien et usage du téléphone. Dans une étude primée par la faculté de médecine de Grenoble lors de la Journée de la Recherche Médicale 2018, Timothée Aubourg, doctorant chez Orange, a observé qu’étudier le rythme d’activité téléphonique sur une durée de 24h se révélait pertinent. Une asymétrie d’appels entre les appels entrants et sortants à l’échelle d’une journée apporte un indicateur supplémentaire sur l’état psychologique d’une personne (plus particulièrement la dépression). Une fois l’ensemble des indicateurs analysés, « un algorithme d’intelligence artificielle peut être mis en place », explique le mathématicien, et pourrait venir enrichir le “phénotype digital” de la personne suivie.
Si le projet en est encore au stade de la recherche, sa déclinaison est déjà envisagée à grande échelle. En effet, en élargissant le procédé aux habitants d’une ville, par exemple, les indicateurs recueillis pourraient jouer à leur tour le rôle de baromètre. Une autre façon de sonder le fameux moral des Français. Avec la technologie du Big data, pas besoin d’identification ni de consentement, l’analyse serait de fait complètement anonyme.