“Les robots ne sont pas capables d’avoir des émotions, mais ce travail de recherche démontre qu’il est possible de travailler sur leur expressivité.”
Un autre modèle de robot est possible. Loin des humanoïdes à la Pepper ou des fantasmes de science-fiction, le XD Lab d’Orange Innovation développe un projet innovant, en rupture avec la doxa robotique. Yōkobo est ce qu’on appelle un robjet : un objet de la vie de tous les jours qui a été robotisé. Placé à l’entrée de la maison, sas entre le monde de l’extérieur et celui de l’intimité, ce robjet est d’abord un vide-poches, un bel objet en céramique, qui recueille les clés des membres de la famille. Pensé pour accompagner un couple de jeunes retraités, à cet âge charnière où le rythme de la vie bascule et les liens peuvent se distendre, le robot cherche modestement à resserrer ces liens.
Un objet à comportement
Yōkobo n’ambitionne pas d’être une superpuissance technologique mais d’abord une superpuissance sensible. Le robot s’éveille quand quelqu’un pénètre dans la pièce. Ses mouvements et son expression vont alors exprimer l’ambiance de la maison, grâce à des capteurs de température, d’humidité ou de qualité de l’air. Du fait de l’extrême variabilité de ces données, le robot n’aura jamais la même gestuelle. “C’est un objet à comportement, souligne Dominique Deuff, chercheuse au sein d’Orange Innovation et doctorante au LS2N et à Strate Research – Strate École de Design. L’humain doit avoir l’impression que l’objet a une intention, du fait de son côté imprévisible dans ses comportements.” L’information n’est pas directe, transparente : il faut chercher à la décoder, et c’est dans cette ambiguïté que se crée l’interaction entre l’homme et la machine. Yōkobo va également essayer de communiquer avec la personne, en mimant ses mouvements et en répondant à certains gestes, comme le salut de la main ou le salut japonais.
Les clés de la maison au cœur du projet
Le robot n’oublie pas sa fonction première de vide-poches et fonde sa technologie sur les jeux de clés de la famille. “Chaque membre de la famille a son propre porte-clé, on peut donc les utiliser pour reconnaitre la personne qui entre dans la maison, sans avoir besoin de recourir à la reconnaissance faciale. Grâce à une puce RFID, Yōkobo comprend à qui appartient le jeu de clés et va agir en conséquence. En quelque sorte, ces clés ouvrent la porte à des fonctionnalités soft du robot”, détaille Gentiane Venture, professeure à l’Université d’agriculture et de technologie de Tokyo, qui collabore avec Orange Innovation sur ce projet. C’est ainsi que les membres du couple, en mettant ou en prenant leurs clés, vont avoir la trace du dernier passage de leur conjoint. Une trace, c’est-à-dire le dernier enregistrement par Yōkobo des mouvements de l’autre, que le robjet va tenter d’interpréter.
Une étude approfondie sur le terrain
Tout est parti d’un minutieux travail de terrain. Dix familles de jeunes retraités, en France et au Japon, ont été suivies en longueur, pour comprendre leur mode de vie, leurs besoins et appréhender les limites de la présence d’un robot dans le foyer. “Nous avons appris énormément de choses en observant Pepper dans ces familles, narre Gentiane Venture. Il était vendu comme un nouveau membre de la famille mais, en fait, il n’était pas accepté socialement : trop massif, trop visible, pouvant difficilement se déplacer, trébuchant entre les meubles et les pots de fleurs…”
C’est un fait technologique : l’intelligence artificielle forte, celle qui serait dotée de conscience, n’existe pas. Les robots ne sont pas capables d’avoir des émotions, mais ce travail de recherche démontre qu’il est possible de travailler sur leur expressivité. Sa simplicité et sa personnalité ont valu à Yōkobo le prix d’excellence du Kawaii Kansei Design Award. Après les honneurs, le robot va maintenant se frotter au terrain, en remplaçant Pepper dans les familles tests suivies par Orange Innovation.