● Des drones ont été équipés d’un système de détection de signaux à très haute fréquence (VHF) pour améliorer la localisation des cachalots équipés de balises.
● Ces données, couplées à celles des microphones sous l’eau, ont permis de prédire où les cachalots refont surface et d’observer ainsi leur comportement de socialisation.
Comprendre l’impact de l’activité humaine sur la faune requiert, dans un premier temps, de modéliser le comportement des animaux, tâche parfois fastidieuse. Dans le domaine de l’étude de la faune marine, le projet CETI (Cetacean Translation Initiative) a pour objectif de traduire les modes de communication des cachalots. Il vise à comprendre le comportement de ces cétacés en étudiant leur langage et leur mode de socialisation, sans pour autant les déranger. Les chercheurs ont marqué certains cachalots avec une balise radio et des balises recueillant des données sur la pression et la température de l’eau. Cependant, les cachalots changent de langage quand ils sont hors de l’eau – leur moment de socialisation. Observer leur comportement à ce moment suppose de savoir où et quand ils vont faire surface.
Cette étude a permis la facilitation et la compréhension du langage et des interactions physiques des baleines, et de réduire les déplacements en bateau qui demandent beaucoup de temps et d’efforts.
« Une équipe de biologistes nous a fourni un modèle qui nous permet de comprendre leur comportement. L’objectif est de pouvoir envoyer un drone à l’endroit où elles font surface, au bon moment, pour les écouter. Si on loupe cette fenêtre du ‘rendez-vous’, il nous faut attendre encore une heure », précise Sushmita Bhattacharya, chercheuse à Harvard et membre du projet CETI. « Notre objectif est de trouver une solution pour automatiser la collecte de données audiovisuelles afin de faciliter la compréhension du langage et des interactions physiques des baleines, et de réduire les déplacements en bateau qui demandent beaucoup de temps et d’efforts. »
Différentes sources de données
Dans un nouvel article publié dans ScienceRobotics, les chercheurs expliquent avoir développé un algorithme basé sur l’apprentissage par renforcement pour prédire où et quand les cachalots remontent à la surface, afin d’envoyer des drones de manière automatique prendre des mesures et réaliser des observations. Plusieurs sources d’informations sont utilisées pour entraîner le modèle, à commencer par des hydrophones (des microphones sous l’eau attachée à un bateau) et les balises des cachalots émettant en très haute fréquence (VHF). Des drones ont été envoyés pour capter les signaux des cachalots et améliorer la précision des données enregistrées. Pour comprendre le langage des cachalots hors de l’eau, les chercheurs ont également entraîné leur modèle avec les données recueillies sous l’eau, quand ils communiquent pour chasser.
Des défis technologiques singuliers
Si l’objectif de ce projet de recherche paraît simple sur le papier, les chercheurs ont fait face à différents challenges technologiques. « Le premier porte sur la manière dont les drones et les bateaux peuvent collecter les informations, puisqu’il faut être certain d’envoyer un drone collecter des informations à l’endroit exact où les cachalots vont refaire surface pour socialiser », explique Ninad Jadhav doctorant au laboratoire REACT de Stephanie Gil (Robotics, Embedded Autonomy & Communication Theory) à Harvard. « Il faut également construire un système avec des robots autonomes suffisamment robustes pour fonctionner sur des îles tropicales », ajoute-t-il. De fait, les expériences menées par les chercheurs ont été réalisées en Dominique (une île des Caraïbes située entre la Martinique et la Guadeloupe). « Les signaux acoustiques sous-marins sont très bruyants et les signaux audio ne permettent pas une localisation suffisamment précise », précise Sushmita Bhattacharya. Pour mieux localiser les cachalots avant d’envoyer un drone, les chercheurs se sont appuyés sur la phase (la position d’une forme d’onde par rapport à un temps zéro ou une autre onde) des signaux des balises, et non sur l’intensité du signal. « Cela apporte plus de précision pour savoir où en est le signal sur la phase d’émission afin de capturer les différences si le cachalot se déplace. »
Des résultats probants
Cette expérience a pour objectif de ne pas manquer les points de rendez-vous lorsque les cachalots refont surface. Elle y parvient dans 69% des cas avec l’utilisation de deux drones dans un rayon de 1000 mètres et le post-traitement des données collectées sur le terrain, en l’occurrence les seuls signaux acoustiques. Quand on ajoute l’exploitation des signaux des balises, une expérience avec une baleine artificielle (un bateau rapide équipé d’une balise émettant en VHF, émulant cinq trajectoires distinctes de baleines, avec différents mouvements) réussit à prédire correctement les rendez-vous dans 80% des cas.