Faire pousser 1 000 tonnes de concombres et de tomates en Sibérie : c’est le défi remporté par une société japonaise grâce à ses serres connectées.
Pour nourrir les 9 milliards d’humains que comptera la planète à l’horizon 2050, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que la production vivrière mondiale devra augmenter de 60 %. Sachant que l’agriculture est déjà responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, comment nourrira-t-on une population plus nombreuse sans compromettre la biodiversité ?
Des capteurs à profusion
Avec 10 milliards de dollars investis dans les « AgTech », les innovations numériques agricoles, en 2017 (contre à peine 185 millions en 2008), l’agriculture est le deuxième secteur demandeur d’objets connectés après l’industrie. Cela se comprend aisément : parce qu’ils permettent de suivre les cultures en temps réel, les capteurs répondent aux besoins d’une agriculture de précision. Portés par le développement des communications sans fil, ils sont connectés sur des réseaux M2M (machine-to-machine) à bas débit, grâce à des protocoles plus simples, plus économes en énergie et moins chers que le Bluetooth, comme LoRa, une technologie open source basée sur les ondes radio longue portée déployée et utilisée notamment par Orange, ou LTE-M, une évolution de la technologie 4G. Associés à des applications souvent disponibles sur smartphone, les capteurs deviennent ainsi de véritables outils d’aide au pilotage stratégique des cultures. Mais même si les champs voient débarquer des stations météo connectées et des robots bineurs guidés par GPS, c’est dans l’espace confiné des serres que l’IoT offre son meilleur potentiel en permettant de tout contrôler, de l’humidité de l’air jusqu’à la température.
Dépasser les limites du climat
Faire pousser 1 000 tonnes de concombres et de tomates en Sibérie : c’est le défi remporté par la société japonaise JGC Evergreen grâce à ses serres connectées. À 100 km de l’océan Arctique, dans la région canadienne d’Inuvik, les serres hi-tech représentent également un véritable espoir pour améliorer l’autosuffisance alimentaire de toute une communauté. Dans ces terres froides et reculées où l’importation de denrées agricoles coûte très cher, la société Modular Farm développe des modules de 240 tours verticales permettant de cultiver quelque 3 800 plantes sous des lumières LED. La technique utilisée est l’hydroponie, une culture où les plantes reposent sur un substrat irrigué d’une solution qui leur apporte des sels minéraux et des nutriments essentiels. Un système de chauffage, ventilation et climatisation maintient la température, et les murs en acier isolent si bien la serre que la chaleur produite par les LED et le déshumidificateur suffisent souvent à la chauffer. Un système de surveillance sans fil contrôle tous les paramètres utiles, de l’humidité de l’air jusqu’à la composition en nutriments des solutions dans lesquelles sont plongées les racines des plantes. La société surveille ces paramètres depuis ses bureaux de Toronto et contacte ses clients en cas de problème.
Pour ces pionniers de la biométrie, l’enjeu est désormais d’augmenter le nombre de paramètres que les capteurs des serres permettent de monitorer, afin d’agir, par exemple, sur les qualités nutritionnelles des plantes. À l’université McGill de Montréal, des ingénieurs en bioressources étudient ainsi la longueur optimale des ondes de la lumière à envoyer sur les plantes pour en favoriser la croissance ‒ la lumière rouge étant connue, par exemple, pour favoriser la photosynthèse. Pour la même quantité d’énergie dépensée en éclairage, les serres de l’Arctique pourraient ainsi produire plus de nourriture. Et ensuite ? Les capteurs représentent un tel enjeu pour la gestion optimale des cultures que la recherche s’oriente vers l’installation de biomarqueurs au sein même du vivant ‒ comme ces plantes conçues pour produire une protéine fluorescente lorsque le végétal est exposé à des températures stressantes.
Autosuffisance alimentaire pour tous ?
Si les serres connectées peuvent nourrir les populations des régions aux climats extrêmes, elles promettent aussi l’autosuffisance alimentaire pour les familles françaises. Repérée et soutenue par Orange, la serre de la start-up myfood repose sur les principes de la permaculture et de l’aquaponie : dans les bacs où sont plongées les racines des plantes, des poissons filtrent l’eau et leurs déjections offrent les nutriments nécessaires à la croissance du végétal. Dans cette serre autonome en énergie grâce à ses panneaux solaires, les capteurs sont partout : quelque 4 millions de points de mesure se connectent au réseau LoRa d’Orange pour remonter des données sur la température de l’air ou l’acidité de l’eau vers un serveur. Là, ces informations sont analysées par une intelligence artificielle avant d’être renvoyées au jardinier sous la forme de recommandations sur une application qui centralise l’ensemble des paramètres de contrôle et de suivi, de l’aération de la serre jusqu’au calendrier d’entretien des plantations.
Pour une serre connectée qui allie des techniques de permaculture et d’aquaponie, vendue à 8 000 €, livraison et installation comprises, Orange avec myfood promet ainsi jusqu’à 400 kg de légumes biologiques, à haute teneur en nutriments, et 50 kg de poisson par an : de quoi nourrir une famille de quatre personnes.
S’intégrer dans les systèmes naturels
La serre connectée offre ainsi une image du futur où l’homme dépasserait les contraintes du climat et les limites du vivant pour subvenir à ses besoins alimentaires. À ces fins, les AgTech ne sont pas forcément synonymes d’une agriculture hors-sol et coupée de la nature : pour les inscrire dans un paradigme de rapprochement avec les systèmes naturels, la recherche peut compter sur le biomimétisme.
L’Omega Center for Sustainable Living (OCSL) aux États-Unis en est un exemple. Doté de panneaux solaires lui permettant d’être autonome en énergie et même d’en réinjecter dans le réseau, ce bâtiment utilise également l’eau en circuit fermé : pompée dans la nappe phréatique, l’eau est utilisée pour les toilettes, les éviers et les douches des occupants puis elle est conduite dans la serre pour être filtrée par les algues, les bactéries et les champignons et pour arroser les plantes du potager… avant d’être renvoyée dans l’aquifère local. Le bâtiment nourrit ainsi ses occupants et il intègre dans ses fondations sa propre centrale d’épuration. Aucun produit chimique n’est utilisé pour traiter l’eau ; la majeure partie du débit est alimentée par la gravité et le reste, par l’énergie solaire. En améliorant les conditions environnementales, le bâtiment n’est donc plus un objet encombrant mais devient un objet naturel, intégré aux systèmes naturels.
À charge pour les technologies de l’IoT de s’inscrire dans ce paradigme de conception bio-inspirée pour les serres du futur.