“Face à la pandémie de Covid-19, les individus et les organisations puisent dans des ressources mondiales pour répondre à des besoins locaux.
Depuis le début de la crise du Covid-19, des milliers de projets open source émergent à travers le monde pour modéliser la pandémie et développer des solutions pour pallier les pénuries de matériel. Sur GitHub, on compte par exemple plus de 25.000 répertoires associés au Covid-19. En parallèle, la recherche scientifique connaît une ouverture sans précédent. Des institutions comme l’université Johns-Hopkins aux États-Unis partagent librement leurs données, des revues prestigieuses comme The Lancet ou Science, leurs publications, et des laboratoires, leurs résultats de recherche.
Modéliser le Covid-19
La modélisation des données relatives à la pandémie aide à comprendre l’ampleur, la progression et les impacts du virus, et contribue à la prise de décision. C’est la raison pour laquelle de nombreux pays et institutions permettent au grand public de consulter et utiliser librement leurs données. Le jeu de données le plus exploité par les autorités de santé, les chercheurs, les data scientists et les journalistes est aujourd’hui celui du Center for Systems Science and Engineering (CSSE) de l’université Johns-Hopkins. Ce dernier a publié fin janvier 2020 un tableau de bord interactif basé sur plusieurs sources, en particulier la plateforme communautaire chinoise DXY. Ce tableau permet de suivre en quasi-temps réel les cas de Covid-19 confirmés, guéris et décédés dans le monde. Les données collectées, mises à jour quotidiennement, disponibles sur un répertoire GitHub, ont déjà été réutilisées pour alimenter de nombreuses visualisations et modèles algorithmiques.
De son côté, l’équipe Predictive Healthcare du Penn Medicine, célèbre CHU de Pennsylvanie, a développé un outil open source pour assister les hôpitaux dans la planification de leurs capacités. CHIME leur fournit des estimations du nombre d’hospitalisations, d’admissions en soins intensifs et de patients nécessitant une assistance respiratoire basées sur le modèle épidémiologique SIR.
Pallier les pénuries de matériel
Des pénuries nationales d’équipements de protection et de matériel médical étant survenues, des communautés de makers se sont rapidement mobilisées pour répondre aux besoins des hôpitaux, des Ehpad et des professions placées en première ligne face au coronavirus, prototypant des masques, des écrans de protection, des kits de détection, des accessoires pour appareils d’assistance respiratoire, et même des ventilateurs.
Le YouTubeur Monsieur Bidouille explique ainsi comment des makers français ont mis en place une “usine distribuée” de visières de protection. Pour coordonner la production et la distribution de milliers de visières par des personnes dispersées dans tout le pays, les makers se sont structurés en groupes locaux, qui ont pris contact avec les personnels soignants de leur région pour connaître leurs besoins et organiser une chaîne logistique. Les bricoleurs et les FabLabs reçoivent des commandes via des groupes Facebook. Ils produisent les visières chez eux. Ces visières sont ensuite regroupées, désinfectées, assemblées puis livrées avec un manuel d’utilisation. Étant en open source, les plans ont pu faire l’objet d’itérations très rapides et être déclinés selon des usages différents. Validés par plusieurs hôpitaux, ces modèles inspirent aujourd’hui les industriels.
En France, mais aussi en Espagne, en Pologne et dans plusieurs pays d’Afrique et du Moyen-Orient (Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal, Tunisie, etc.), une cinquantaine de FabLabs Solidaires, soutenus par la Fondation Orange, s’engagent dans la production de plus de 200.000 visières en coopération avec les centres hospitaliers.
Des makers sont allés jusqu’à concevoir des prototypes de respirateurs plus ou moins aboutis. Les nombreux projets en cours mettent cependant en évidence les limites auxquelles ces initiatives sont confrontées. Complexes et mettant en jeu la vie des patients, ces dispositifs doivent faire l’objet de tests rigoureux et obtenir une certification avant de pouvoir être utilisés dans les hôpitaux.
La production répond elle aussi à plusieurs exigences. La conception et la fabrication de respirateurs open source ne sont pas destinées aux simples bricoleurs, ce que souligne l’équipe de bénévoles formée au sein du MIT, à Boston, qui développe un respirateur d’urgence simple et à bas coût.
En France, le collectif citoyen composé de médecins, de scientifiques et de responsables associatifs, à l’origine du projet de respirateur MUR (Minimal Universal Respirator) développé avec le soutien de médecins réanimateurs, a entrepris la première étape du processus de certification. Le projet MakAir, un respirateur artificiel exclusivement dédié aux malades du Covid-19 conçu par le collectif Makers for Life, est lui aussi en cours de tests.
Ouvrir la science
La science ouverte consiste à ouvrir l’accès aux données de recherche et aux publications scientifiques. C’est le mantra du programme collaboratif OpenCovid19, hébergé sur la plateforme Just One Giant Lab (JOGL), un laboratoire de recherche et d’innovation basé à Paris qui rassemble scientifiques, ingénieurs, professionnels de la santé, etc., autour de la résolution de problématiques d’intérêt général grâce à l’utilisation des outils et méthodes open source. OpenCovid19 vise à développer une série de solutions open source peu onéreuses pour combattre la pandémie. Des contributeurs volontaires du monde entier mènent des projets consacrés à la détection, la prévention et le traitement de la maladie. Le premier résultat est un test de diagnostic.
De nombreux chercheurs et décideurs politiques soulignent le rôle de la science ouverte pour faire progresser la recherche sur le Covid-19. Selon eux, le partage des connaissances est essentiel pour accélérer la compréhension du virus et le développement d’un traitement et d’un vaccin. La directrice générale de l’Unesco a appelé les gouvernements à “intégrer la science ouverte dans leurs dispositifs de recherche”. La Commission européenne, elle, a mis en ligne une plateforme de données sur le coronavirus, offrant “un environnement européen et mondial, ouvert, fiable et évolutif, dans lequel les chercheurs pourront stocker et partager des ensembles de données, tels que des séquences d’ADN, des structures protidiques, des données provenant de la recherche préclinique et des essais cliniques, ainsi que des données épidémiologiques”.
Les forces du modèle open source
Ces mises en œuvre de l’intelligence collective par l’approche open source permettent d’improviser des solutions simples, efficaces et peu coûteuses dans des situations d’urgence. D’après Monsieur Bidouille, les volontaires constituent ainsi un véritable département de recherche et développement. Des contributeurs enthousiastes participent activement au développement et à l’amélioration continue des projets. Innovateurs, chercheurs et développeurs travaillent ensemble, parfois en association avec les citoyens, et partagent les ressources et les connaissances produites pour résoudre un problème commun. Cette dimension communautaire est la première force du modèle open source, contrairement au modèle propriétaire qui met en compétition.
Cette communauté mondiale sait se structurer à l’échelle locale, comme le montre l’exemple de la production des visières de protection. Les codes sources, les prototypes, les données étant ouverts, chacun peut les utiliser, les modifier et les adapter à des contraintes spécifiques. Face à la pandémie de Covid-19, virus qui ignore les frontières mais affecte les pays à différents moments et degrés, individus et organisations puisent dans des ressources mondiales, rendues disponibles par une collaboration de masse et une infrastructure technologique robuste et résiliente, pour répondre à des besoins locaux.