Dans le cadre de ses activités de recherche sur les réseaux optiques, Orange travaille en étroite collaboration avec les partenaires industriels et académiques européens pour proposer des réseaux optiques sécurisés de grande capacité. C’était précisément la thématique du projet collaboratif européen Celtic-Plus SASER1 (SAfe and Secure European Routing), qui a reçu le prix de l’Excellence en 2016 puis en mai dernier le prix de l’Innovation Celtic.
Le projet SASER
Entre 2012 et 2015, durant trois ans et demi, plus de 60 partenaires (français, allemands, finlandais, britanniques et danois) ont collaboré au projet Celtic-Plus SASER, projet co-financé en grande partie par les gouvernements français et allemand.
Le but principal du projet SASER était d’étudier et de développer des solutions pour rendre les réseaux encore plus efficaces et mieux sécurisés. Il s’agissait notamment d’étudier des architectures, composants et systèmes sans oublier la gestion et la supervision de ces réseaux. Les applications concernaient aussi bien les réseaux mobiles que les réseaux fixes.
Au-delà des 34 démonstrations et essais terrain, le projet a produit plus de 250 publications, des brevets et aussi des contributions en normalisation. Le ministère allemand de l’éducation et de la recherche (BMBF2), indique à propos du projet SASER le 02 juin 2017, que « les retombées sociales sont énormes : des réseaux sécurisés, flexibles et fiables qui renforcent la base des communications numériques pour l’économie et la société ». Les deux prix obtenus récompensent d’une part la qualité des travaux (Celtic-Plus Excellence Award) et d’autre part les retombées économiques (Celtic-Plus Innovation Award) pour les acteurs, notamment les PME du domaine avec 9 produits développés ou améliorés.
SASER comportait 3 sous-projets et Orange participait à deux d’entre eux : SASER-Savenet et SASER-Siegfried.
La contribution d’Orange dans le projet SASER a été principalement focalisée autour de deux thématiques que sont l’augmentation du débit en transmission (plus de données transportées dans une même fibre) et l’amélioration de l’efficacité (technique et énergétique) des réseaux par l’optimisation de l’interaction entre les couches dites de transmission et la couche IP (Internet Protocol).
Les réseaux optiques
Quel que soit le type de terminal utilisé pour échanger avec notre entourage (téléphone mobile, téléphone fixe, ordinateur, …), les signaux émis/reçus, après avoir transité dans l’air ou le cuivre, passent à un moment ou à un autre dans une fibre optique. Depuis plus de 35 ans pas moins de 25 millions de kilomètres de fibres ont été déployées sur toute la surface du globe, aussi bien sur terre que dans les océans. En utilisant des équipements permettant de générer des signaux optiques, à l’aide de lasers, on peut ainsi transmettre des informations qui sont codées et qui peuvent être transportées dans les fibres optiques : on parle alors de transmission optique. Ces informations proviennent d’équipements tels que les routeurs IP par exemple, qui permettent de faire transiter des paquets de données et de les aiguiller (router) au mieux dans le réseau à l’aide de protocoles (règles) spécifiques. Par ailleurs, les quantités de données émises/reçues par chaque usager étant relativement faibles par rapport à la capacité totale que l’on peut transporter, il est utile d’ajouter des équipements dits d’agrégation qui permettent de regrouper les signaux de plusieurs usagers en un seul signal contenant beaucoup de données. Une analogie avec les réseaux routiers peut être faite entre les petites routes qui arrivent chez chaque client et où il est possible de passer à une seule voiture en roulant lentement (débit faible) et les autoroutes sur lesquelles beaucoup de voitures circulent à grande vitesse (débit élevé). Les réseaux optiques sont parfois appelés les autoroutes de l’information car ils permettent d’offrir des services de télécommunications à débits très élevés.
La transmission optique
On classe en général les réseaux de transmission en plusieurs catégories suivant leurs caractéristiques techniques et leur portée :
- on parle de réseau d’accès pour tout ce qui est proche du point de livraison du service optique au client (par exemple ≤ 20 km pour l’offre « la fibre » en France),
- de réseau métropolitain entre quelques dizaines de km et quelques centaines de km (à l’échelle d’une région) et enfin
- de réseau « cœur » pour les longues distances.
Selon qu’il s’agisse de réseaux terrestres où les portées vont jusqu’à 3 000 ou 4 000 km (en Europe ou États-Unis) ou de réseaux sous-marins (jusqu’à 10 000 km), les technologies employées sont adaptées aux distances à parcourir.
Dans un contexte où le trafic double tous les deux ans, l’opérateur doit sans cesse adapter la capacité de transport de ses réseaux de façon à faire face à cette augmentation de trafic. Or, les coûts de déploiement des réseaux sont très élevés, car ils incluent non seulement le coût des équipements mais surtout le coût des câbles de fibres optiques et du génie civil associé à cette infrastructure. Il est donc souhaitable d’utiliser ces réseaux de câbles optiques le plus longtemps possible.
Ainsi, alors que les équipements optiques ont une durée de vie inférieure à 10 ans, la fibre (c’est-à-dire l’infrastructure) est en place pour plusieurs dizaines d’années. C’est pourquoi il est intéressant de bénéficier d’équipements de dernières générations qui puissent fonctionner sur ces fibres et ainsi augmenter les débits transportés sans avoir à changer toutes les fibres du réseau.
C’est dans ce cadre qu’Orange Labs a réalisé, avec les partenaires du projet SASER, un essai terrain avec un record mondial de transmission, en termes de capacité transportée, sur la liaison Lyon-Marseille du réseau Orange. Un aller-retour sur 762 km a été effectué en transmettant dans une seule fibre 38,4 Tbit/s (38,4 millions de millions d’informations binaires par seconde). 38,4 Tbit/s correspondent à 600 millions de conversations téléphoniques ou encore 15,2 millions de chaines de télévision en simultanée. Ceci a été rendu possible grâce à des émetteurs/récepteurs3 et des amplificateurs optiques de nouvelle génération4 développés par des partenaires allemands et français : les sociétés Ekinops, Keopsys et des équipes Orange Labs toutes basées à Lannion. La technologie de base utilisée dans cette expérimentation, comme dans les réseaux optiques métropolitains et cœur d’Orange, est le multiplexage en longueurs d’onde (WDM : Wavelength Division Multiplexing). La technologie WDM consiste à transmettre plusieurs dizaines de signaux de longueurs d’onde (ou couleurs) différentes dans une seule fibre. La fenêtre5 de transmission des fibres utilisées actuellement sur ces réseaux (cœur et métropolitain) couvre une plage allant de 1530 à 1565 nm (milliardième de mètre). Cette bande de longueurs d’onde se situe dans l’infra-rouge et correspond à la zone dans laquelle les pertes de la fibre sont les plus faibles (0.2 dB/km, soit une réduction du niveau du signal de moitié tous les 15 km). Malgré ces faibles pertes, les signaux s’atténuent au cours de leur propagation dans la fibre et il est nécessaire de les ré-amplifier régulièrement lorsqu’ils doivent être transportés sur de grandes distances. Les amplificateurs optiques sont capables d’amplifier en même temps les dizaines de signaux optiques présents dans une fibre sans avoir recours à une transformation dans le domaine électrique.
L’amélioration de l’efficacité du réseau
Comme nous l’avons vu précédemment, le réseau utilise des équipements pour effectuer l’agrégation ou pour réaliser l’aiguillage (routeurs IP) des signaux dans les réseaux. Les matériels utilisés ont besoin de mettre en mémoire les signaux et aussi de venir lire et traiter des informations binaires pour effectuer ces opérations. Même si des études et quelques expérimentations ont été réalisées, il n’y a pas de mémoires optiques6 de capacité aussi grande que les mémoires électriques de type RAM (Random Access Memory), c’est pourquoi des étapes de conversion des signaux électriques en signaux optiques et vice-versa (on parle de conversion E-O/O-E) sont nécessaires en différents endroits du réseau.
Au-delà du coût des équipements que cela représente, la consommation de ces équipements de conversion E-O-E augmente la consommation totale des systèmes installés.
Une des 34 démonstrations de SASER, portée par Orange Labs à Lannion, était celle du prototype de réseau appelé TWIN (Time-Domain Wavelength Interleaved Networking : réseau de longueurs d’onde entrelacées dans le domaine temporel). Ce prototype a été a étudié et développé en partenariat avec l’UR1/ENSSAT7. Il permet de réaliser les fonctions d’agrégation et de routage des signaux dans le réseau tout en restant dans le domaine optique. On évite ainsi le recours aux conversions O-E-O grâce à une technique qui consiste à regrouper les paquets de signaux allant vers la même destination en « rafales » (ou bursts en anglais) comme on regroupe les wagons d’un train. Chaque destination est capable de recevoir les signaux à une certaine longueur d’onde (représenté en bleu pour le nœud C, en jaune dans le nœud D dans la figure ci-dessus). Selon la destination de chaque rafale, un laser émet une couleur ou une autre (ici représentées en bleu ou jaune). En utilisant le même principe de dispersion de la lumière que dans un prisme (qui permet de séparer la lumière blanche en ses différentes composantes fréquentielles8), les rafales optiques sont aiguillées vers leur destination sans avoir à les convertir dans le domaine électrique (et donc sans avoir à traverser les routeurs IP si ce n’est pas nécessaire). Le principe de la rafale étant d’occuper une certaine durée limitée dans le temps (quelques millionièmes de secondes), la longueur d’onde qui la porte est disponible pour transporter d’autres signaux (venant d’autres sources) en direction de la destination de cette fréquence : on agrège ainsi les signaux de chaque source vers chaque destination. Cette prouesse technologique repose sur deux éléments indispensables : un contrôleur des nœuds centralisé permettant d’éviter des collisions entre les rafales et un laser capable d’émettre des signaux à différentes longueurs d’onde et surtout de changer de longueur d’onde en un temps très court (inférieur à 100 ns : 0,1 millionième de seconde).
Comme vous l’avez compris, le domaine du transport optique est en pleine évolution et la course à l’augmentation de capacité et à la flexibilité est indispensable pour satisfaire aux demandes croissantes générées par les applications aussi bien des réseaux mobiles que des réseaux Internet. Dans ce contexte, l’adage « l’union fait la force » est vraiment d’actualité. Comment mobiliser les ressources humaines et financières à la hauteur des enjeux d’une économie mondialisée et ultra-concurrentielle et ainsi satisfaire les ambitions d’une Europe en compétition avec les autres grands acteurs (USA, Chine) du monde des télécom ? C’est tout l’intérêt de la recherche collaborative et coopérative : nouer des partenariats avec des industriels et des institutions académiques de façon à proposer et démontrer des solutions innovantes pour les réseaux de télécommunications de demain. Cette union a bien porté ses fruits au travers du projet SASER, dont les résultats alimentent et alimenteront encore longtemps les études pour les réseaux du futur.
Ces résultats sont le fruit d’une collaboration fructueuse entre nos partenaires du projet et les salariés, doctorants et post doctorants des Orange Labs à Lannion (Ramon Aparicio-Pardo, Bernard Arzur, Jean-Luc Barbey, Christophe Betoule, Edoardo Bonetto, Christian Dourthe, Paulette Gavignet, Thierry Guillossou, Esther Le Rouzic, Djamel Ouled Amar, Erwan Pincemin, Bruno Raguenes, Lida Sadeghioon, Mengdi Song, Gilles Thouenon, Ahmed Triki).
En savoir plus :
- 1- Les liens vers SASER, SASER-Siegfried, SASER-Savenet
- 2- BMBF : Bundesministerium für Bildung und Forschung, article SASER Celtic Award
- 3- Les émetteurs/récepteurs de nouvelle génération implémentés dans l’essai terrain du projet SASER utilisaient la détection cohérente (qui permet d’avoir accès à l’amplitude et à la phase des données optiques et à en corriger les imperfections grâce à des algorithmes de traitement du signal avancés) et des modulations QAM (Quadrature Amplitude Modulation) d’ordre élevé (32-QAM et 64-QAM), permettant d’atteindre l’efficacité spectrale record de 8 bit/s/Hz.
- 4- Les amplificateurs optiques de nouvelle génération implémentés dans l’essai terrain du projet SASER utilisaient une technologie hybride associant l’amplification à fibre dopée Erbium et l’amplification Raman. Les amplificateurs à fibre dopée Erbium sont localisés (ils sont disposés périodiquement à des endroits précis le long du lien) alors que l’amplification Raman est distribuée dans la fibre de ligne elle-même. Par une optimisation des gains (localisé et distribué), on arrive à améliorer de manière significative le rapport signal à bruit en réception et à utiliser des modulations à forte efficacité spectrale telle que la 64-QAM.
- 5- Fenêtre de transmission : lorsqu’un signal se propage dans une fibre optique, il perd de la puissance et l’affaiblissement qu’il subit dépend de la longueur d’onde. Les longueurs d’onde où l’affaiblissement est minimal correspondent aux fenêtres de transmission. Les fibres optiques ont par exemple des pertes très faibles autour de 1550 nm, c’est pourquoi les transmissions optiques longue distance sont effectuées dans cette plage de longueurs d’onde de 35 nm environ (1530 à 1565 nm) appelée bande C. Des transmissions peuvent aussi être effectuées dans d’autres bandes (ou fenêtres). On distingue les bandes O à U.
- 6- Mémoires électriques et mémoires optiques : les mémoires de type RAM servent à stocker des informations binaires auxquelles on peut accéder rapidement (lecture/écriture). Dans le domaine électrique, elles sont de grande capacité (de l’ordre de plusieurs Gigabits (milliards de bits)) pour un ordinateur. Dans le domaine optique il est très difficile de réaliser des mémoires, les meilleurs résultats ont été obtenus par NTT (Nippon Telegraph and Telephone Corp.) en 2014 avec une mémoire optique de type RAM de l’ordre de 100 bits.
- 7- UR1/ENSSAT (Université de Rennes I/Ecole Nationale Supérieure des Sciences Appliquées et de Technologie) Lannion.