De la création à l’estimation des œuvres, en passant par la reproduction, l’IA s’immisce dans de nombreuses activités liées à l’art.
- À l’image de Midjourney ou de Stable Diffusion, le nombre d’outils d’IA générative qui facilitent les processus de création artistique se multiplie, insufflant une nouvelle manière de concevoir.
- Qu’il s’agisse de contenus écrits, photographiques, artistiques ou même musicaux, l’IA est en passe de devenir un instrument essentiel dans l’aide à la création artistique, parfois même couplée à la computer vision et à la robotique.
- L’intelligence artificielle a des vertus artistiques qui vont d’ailleurs au-delà de la création, puisqu’elle se révèle pertinente pour faciliter la restauration ou la reconstruction d’œuvres parfois disparues ou détruites depuis des siècles.
En avril 2023, l’artiste allemand Boris Eldagsen produit une onde de choc dans l’univers de la photographie. Le lauréat du célèbre Sony World Photography Award décide de décliner son prix pour une raison inédite : son œuvre, qui représente deux femmes en noir et blanc dans une ambiance des années 1940 n’est pas un cliché, mais une image conçue par une intelligence artificielle générative. « J’ai voulu faire un test, pour voir si le monde de la photographie était prêt à gérer l’intrusion de l’IA dans les concours internationaux, et visiblement ce n’est pas le cas », a-t-il alors expliqué. Si cet événement a stupéfait la communauté artistique, il en dit long sur les capacités techniques de l’IA dans la création artistique. Car de fait, l’art n’échappe pas au raz-de-marée de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, les algorithmes sont susceptibles d’écrire des poèmes, de composer de la musique ou encore de peindre des tableaux à l’aide de robots.
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Obtenir un résultat percutant et en phase avec ses attentes peut prendre des heures, mais le processus créatif n’est évidemment pas le même.
Une autre approche de la créativité
Depuis que les projecteurs se sont tournés vers l’IA générative, grâce notamment à la percée de ChatGPT, les outils d’IA générative dédiés à la création artistique gagnent en popularité, à l’image de Stable Diffusion, Midjourney, Dall-E 2 ou encore d’Adobe Firefly. Concevoir une image à partir d’un procédé informatique ne se fait cependant pas en un claquement de doigts : obtenir un résultat percutant et en phase avec ses attentes peut prendre des heures, mais le processus créatif n’est évidemment pas le même. « Il n’y a plus de séparation entre l’idée et l’exécution », expliquent Nir Eisikovits, professeur de philosophie et directeur du Centre d’éthique appliquée (UMass Boston), et Alec Stubbs, docteur en philosophie (UMass Boston) dans un article dans The Conversation. Néanmoins, les artistes 2.0 ont désormais davantage d’espace pour se concentrer sur leurs concepts artistiques, les messages qu’ils souhaitent transmettre, plutôt que sur les difficultés techniques ou les contraintes temporelles.
En 2018, trois Français du collectif Obvious ont créé une peinture représentant le portrait d’un homme du XVIIIe siècle. Réalisée par un algorithme, cette œuvre est issue de l’identification des traits communs au sein de 15 000 portraits des XIVe et XXe siècles. Une peinture vendue aux enchères chez Christie’s à New York pour la bagatelle de 432 500 dollars !
Autres exemples, les peintures de Google issues des technologies de deep learning et de la diversité visuelle du monde puisées sur Internet. Citons aussi l’expérience The Next Rembrandt, conduite en 2016 par Microsoft, consistant à entraîner une machine à peindre comme le maître hollandais.
Encore plus surprenant, la Carnegie Mellon University a publié les résultats d’une expérience multidisciplinaire dans laquelle FRIDA, un bras robotisé sur lequel est fixé un pinceau, recourt à l’intelligence artificielle pour collaborer avec les humains dans la réalisation d’œuvres d’art. « Les utilisateurs peuvent commander FRIDA en entrant un texte, en soumettant d’autres œuvres d’art pour inspirer un style, ou en téléchargeant une photographie en lui demandant d’en peindre une représentation. L’équipe expérimente également d’autres entrées, notamment audio », explique-t-on sur le blog de l’Université.
IA, récits et création musicale
Pour la poésie, l’IA a utilisé plus de 10 000 manuscrits non publiés et le programme a appris à rédiger de courts paragraphes en partant de citations réelles. En matière de scénario, la Century Fox et IBM ont conçu Morgan en employant un algorithme nourri par une centaine de bandes-annonces de films d’horreur. La machine n’a cependant pas tout fait : elle a simplement sélectionné des extraits du film méritant, selon elle, de figurer dans un trailer, et c’est un ingénieur d’IBM qui a ensuite effectué le montage. Autre exemple, l’algorithme Benjamin, développé par le réalisateur Oscar Sharp et le chercheur Ross Goodwin et alimenté par des dizaines de scénarios de films et de séries de science-fiction, a créé le film Sunspring.
Autre terrain de jeu de l’IA : la musique. En mai 2023, Google s’est fait remarquer avec Music ML, une application qui crée de la musique à partir de commandes écrites, ou prompts, comme « musique de méditation inspiration rock ». Il est également possible de cloner artificiellement une voix d’artiste à partir d’enregistrements, ce qui reste un sujet controversé dans l’industrie musicale. DJ Fresh a lancé, en juillet 2023, l’outil Voice-Swap, qui permet d’échanger les voix des artistes, tout en assurant une juste rémunération aux artistes dont la voix a été copiée.
De nombreuses start-up produisent des programmes informatiques capables de fabriquer des musiques, voire d’aller plus loin dans la conception multimédia. Anciennement baptisé Muzeek, MatchTune a développé une place de marché musicale basée sur l’IA permettant de synchroniser des vidéos avec des musiques libres de droits. De son côté, Sony Computer Science Laboratory (CSL) a conçu l’algorithme Flow Machines, qui a composé une musique « s’inspirant » des Beatles des années 1960, soit en « digérant » 1 300 partitions tirées des morceaux des Beatles et de groupes proches, afin de transposer ce « style » en calculs et de mieux le copier. Citons aussi le dernier album de Taryn Southern, I am AI, intégralement composé grâce à une IA.
Restaurer des œuvres d’art grâce à l’IA
L’IA peut être aussi utilisée dans la restauration des œuvres endommagées. À partir d’un fragment, les réseaux neuronaux captent le style de l’artiste et reproduisent les éléments manquants de manière vraisemblable. La captation de données sur les œuvres d’art existantes couplée à l’IA permet d’appréhender les œuvres dans leur moindre détail, parfois invisibles pour l’homme. En 2021, le deep learning a permis de rendre les couleurs à un tableau de Picasso dissimulé sous une autre toile du maître, Le nu solitaire accroupi. Couplée à l’intelligence artificielle et à la robotique, l’IA peut également aider à restaurer des œuvres historiques datant de plusieurs siècles, comme ce fut le cas à Pompéi où le projet européen RePair (« Reconstructing the Past Artificial Intelligence and Robotics »), vise à entraîner des robots à reconstituer des fresques à partir de morceaux brisés.
Indissociable de l’expertise de l’homme, l’usage de l’intelligence artificielle dans la création artistique n’en est qu’à ses prémices. Et si aujourd’hui l’IA ne peut revendiquer de droit d’auteur, elle offre de nouvelles perspectives aux artistes en quête d’inspiration.
En savoir plus :
The folly of making art with text-to-image generative AI (en anglais)