Au milieu des transformations numériques, l’entreprise questionne ses modèles d’organisation et de management. De nouveaux buzz émergent. Sont-ils la panacée ? Quel modèle permettra à l’entreprise de tirer au mieux parti de ses talents ?
Quelques a priori sur la transformation numérique
La transformation numérique s’accompagne dans l’entreprise de nouvelles tendances sur ses modes d’organisation, de fonctionnement, de management. Mais gardons-nous de conclusions hâtives qui masqueraient la complexité de la réalité des rapports professionnels.
Pour entrer d’emblée dans quelques exemples, penons le cas du mode de travail collaboratif. C’est sans doute l’apport le plus emblématique de la digitalisation. Avec les nouvelles possibilités ouvertes par les réseaux sociaux et outils collaboratifs et le besoin crucial d’agilité des entreprises, la collaboration est devenue une sorte de mot d’ordre, en particulier pour favoriser l’innovation et l’émergence de nouvelles idées. Cependant, il est reconnu que la majorité des idées disruptives naissent lors de moments de réflexion solitaire, et que le caractère chronophage des réseaux sociaux s’accorde mal avec l’efficacité professionnelle.
Pour rester sur cette thématique de l’échange et de la collaboration, n’est-ce pas elle qui justifie, au moins en partie, la multiplication de bureaux ouverts sans cloison ni même paravent, favorisant ainsi la communication entre employés ? Or les bureaux ouverts multi-employés sont souvent ceux où il est impératif de ne pas parler pour ne pas gêner l’ensemble des occupants.
Autre exemple, concernant les générations Y : celles-ci sont très généralement considérées comme ayant une approche disruptive du travail à la fois plus agile et plus moderne, par rapport aux générations plus âgées, ceci grâce à leur maitrise des outils digitaux. Or certaines études montrent également que les différentes générations n’ont jamais été aussi proches dans leur rapport au travail.
Ces quelques exemples mettent en exergue la complexité qui se cache derrière ces différentes notions, et donc la difficulté d’en tirer des applications pratiques dans l’entreprise, ce qui explique un certain nombre d’échecs de transformation, de mise en place de réseaux sociaux d’entreprise ou de nouveaux espaces de travail pour ne citer qu’eux.
Vers un modèle démocratique en entreprise
Les différentes transformations de l’entreprise n’en finissent pas de remettre en cause les modes d’organisation et de management issues du taylorisme car vus comme trop hiérarchiques et rigides. En ce sens, la transformation digitale ne fait pas exception. Néanmoins, depuis Taylor, les processus d’individualisation ont fait leur chemin pour prendre davantage en compte les aspirations des salariés, du « lean management » de Toyota dans les années 1960 au management par les objectifs individualisés de Drucker. Enfin, dans les années 90, a commencé à apparaître une certaine dé-hiérarchisation avec quelques expériences de management à 360°. Aujourd’hui, avec le phénomène des réseaux sociaux et de leurs communautés qui nivellent les organisations pyramidales, nous voyons une tendance à aller un cran plus loin jusqu’à un modèle de type démocratique en entreprise, où la gouvernance n’est plus l’apanage des managers, mais est davantage répartie au sein de l’entreprise.
Ce mouvement connaît une certaine médiatisation, relayé par différentes entreprises qui ont effectué des transformations assez radicales dans leurs organisations et dans leur mode de management. C’est le cas de la société FAVI qui affiche des résultats exceptionnels en ayant supprimé les managers, de SOL en Finlande avec une expérience similaire avec un management basé sur la confiance et sans contrôle, de la société Happy qui met en avant le bien-être de ses employés, allant jusqu’à leur donner le choix de leurs managers, rejoint dans ce mouvement par une vingtaine d’entreprises. On peut également citer Zappos, pour en rester avec ceux qui font le buzz sur internet, ou le groupe Poult qui lie la croissance de ses résultats avec la responsabilisation des équipes, la suppression des comités de direction, et la mise en place de collectifs tournants pour les décisions stratégiques.
« Holacratie », de quoi parlons-nous ?
Ce modèle, qui a été théorisé sous le nom d’holacratie par Brian Robertson entre 2001 et 2010, et repris pas différentes personnalités, dont BM Chiquet en France, est un système de gouvernance qui repose sur une organisation en petites structures autorégulées qui sont à la fois interdépendantes et disposant du maximum d’autonomie. Si ce système vise donc à distribuer le pouvoir au sein de l’entreprise, il est doté de règles strictes de fonctionnement, notamment en termes de prise de décision et de coordination, assurant à chacun une certaine contribution dans la gouvernance collective, allant jusqu’à réguler la prise de parole pour éviter les phénomènes d’ascendance par les plus communicants.
Présenté en général comme un moyen de s’adapter au besoin d’agilité des entreprises afin de supprimer la bureaucratie, ce modèle paraît en effet surtout s’attacher à combattre les luttes de pouvoir au sein des entreprises en mettant chacun sur le même pied dans des structures autonomes. Il cherche par ses méthodes de coordination à éviter les lenteurs de décisions et le gaspillage d’énergie dû aux querelles internes, aux affrontements des ego, aux silos et aux postures de management.
Il est amusant de noter par ailleurs que se développe un type d’entreprises, qui sans se référer à ce genre de modèle, adopte néanmoins une organisation étrangement similaire : ce sont des communautés de petites entreprises, émanant parfois mais pas nécessairement du modèle communautaire du web 2 0, basées sur de petites structures autonomes, à taille humaine permettant l’échange avec l’ensemble des employés, et qui se rejoignent dans un ensemble communautaire plus large pour des effets d’échelles. Cela préfigure-t-il une grande tendance de demain ?
Tirer parti de tous les talents
On voit que cette évolution des modèles d’organisation cherche surtout à combattre certains travers des grandes organisations actuelles, où même avec des structures qui se veulent agiles et déformables, on a du mal à éviter les lourdeurs de gouvernance, qui font qu’à la fois la mécanique décisionnelle semble grippée et que la majeure partie des employés ne se sentent pas impliqués dans cette gouvernance. Pourtant, on s’est éloigné du modèle rigide d’organisation taylorienne, on a accordé moins d’importance au contrôle, on a individualisé les objectifs, on les a rendus plus ou moins négociables. Néanmoins la vision du manager reste celle du décideur et meneur d’hommes, à laquelle est venu se greffer en supplément la nécessité de savoir écouter, conseiller. En effet on sait que la première attente des employés vis-à-vis de leur manager est qu’il les accompagne en tant que coach. C’est donc une difficile équation pour le manager, en particulier le manager de 1er niveau, qui doit cumuler différents rôles : responsable du bon déroulement de l’activité, coordinateur, animateur d’équipe, coach de chaque employé, décideur, voire visionnaire, sans oublier communicant, une aptitude jugée particulièrement nécessaire dans notre société de communication.
Face à cette multitude de compétences à mettre en œuvre, tirer parti de tous les talents, c’est d’abord ne pas tout demander à un seul individu mais répartir la charge au sein de l’équipe en fonction des compétences individuelles. C’est ce qui est fait lorsque le manager s’entoure par exemple d’experts ou de chefs de projet qui portent les décisions techniques. Néanmoins, ce sont quand même généralement les compétences de meneur et de communicant qui ouvrent le plus d’accès aux fonctions de gouvernance : c’est souvent celui qui montre son autorité, son volontarisme, et sa capacité à savoir se mettre en scène qui s’imposera. Les incitations au « self-branding » ne prouvent-elles pas que se mettre en scène est devenu une sorte de passage obligé ?
Mais ce choix est une solution de facilité qui aboutit à un modèle de management finalement assez peu diversifié et réducteur à plusieurs titres. D’abord, si les aptitudes d’écoute, de coaching, de team building sont systématiquement celles qui ne sont pas les plus valorisées, cela crée une dichotomie avec les attentes des employés, et induit leur non-implication. Ensuite, en mettant l’accent sur l’autorité et le goût du pouvoir, cela donne les ingrédients pour favoriser les silos et les dysfonctionnements des instances de décisions. Enfin et surtout cela ne tire pas partie de tous les talents de l’entreprise. Les forces les plus déterminantes de l’entreprise peuvent aussi être les faiseurs, les créateurs, les opérationnels, tous ceux qui sur leurs différents métiers peuvent avoir des idées, des méthodes, des réflexions disruptives ou simplement terriblement efficaces. Ils n’ont peut-être pas manière la plus impressionnante de l’exprimer ou de l’imposer, mais l’entreprise a néanmoins intérêt à leur donner des rênes. De même que les prestations orales de Camus ou de Modiano ont peu d’importance devant leurs œuvres, importe-t-il qu’un visionnaire de l’évolution du SI, par exemple, soit nécessairement un formidable orateur ? Effectivement d’autres compétences sont nécessaires pour gouverner l’entité chargée d’une telle évolution. Mais ne suffit-il pas de compléter de manière adéquate l’équipe dirigeante ? Bien-sûr cela demande alors un vrai travail RH pour compléter les compétences et organiser les équipes en conséquence. Néanmoins le choix de mettre en avant des compétences variées n’est-il pas extrêmement important pour dynamiser l’entreprise ? N’est pas cela aussi la diversité ?