L’analyse du mouvement avec l’IA promet d’aider au maintien à domicile

Avec le vieillissement des populations, le maintien à domicile des personnes âgées et/ou dépendantes devient un enjeu de santé publique majeur en France et dans le monde. Un projet de recherche s’intéresse à la conception de modèles d’intelligence artificielle capables d’évaluer à distance l’autonomie des personnes.

“Construire un système d’IA qui fournisse des indices pour l’aide à la décision, sans intrusion, ni action automatisée, nous faisons toujours avec l’humain.”

En 2050, le monde recensera 2 milliards de personnes âgées de 60 ans et plus, soit deux fois plus qu’en 2020 (source OMS). A l’heure actuelle, 40 millions d’individus sont concernés par une situation de handicap sévère. Pour les uns comme pour les autres, la question du maintien à domicile, dans un état de santé et un niveau d’autonomie satisfaisants, revêt un aspect critique et complexe.

IA et actimétrie

Les équipes de recherche d’Orange à Grenoble investiguent les multiples champs de l’e-santé depuis de nombreuses années. Elles s’ intéressent à l’actimétrie, qui se définit en synthèse comme la mesure des mouvements. Souvent associée à la réalisation d’examens du sommeil, l’actimétrie se prête à d’autres cas d’usage. Les chercheurs ont initié un projet portant sur le suivi à distance des personnes fragiles – séniors, en situation de handicap ou d’isolement. L’objectif consiste à estimer le niveau d’autonomie d’une personne via des techniques d’IA et à fournir un indicateur permettant d’informer et d’orienter les services d’e-santé vers la bonne stratégie de maintien à domicile. L’actimétrie, qui relève du domaine de la télémédecine et plus précisément de l’axe télésurveillance, s’applique dans ce cas comme une solution de suivi automatique d’informations de la personne à domicile, avec son consentement et en cohérence avec l’impératif de préservation des données personnelles.

Des données brutes comme matériau d’analyse

Parvenir à ce résultat nécessite de collecter des informations à partir de capteurs d’un terminal ou objet  porté, tel qu’une montre ou un bracelet connecté, voire un smartphone. “Les données qui sont captées à distance proviennent principalement d’accéléromètres, de gyromètres et de magnétomètres, expliquent Grégoire Lefebvre, chercheur spécialisé dans les modèles d’IA, et Paul Compagnon, ingénieur de recherche et doctorant en IA. Elles permettent de décrire et renseigner le mouvement – accélération, rotation, orientation – du dispositif porté. Nous analysons ensuite ces données brutes, avec des réseaux neuronaux et différentes techniques d’IA, afin de reconnaître des activités de la vie quotidienne. On peut ainsi ressortir des situations d’usage, dont on ne connaît pas nécessairement le sens mais qui révèlent des routines. Et si l’on constate dans le temps une perte de ces routines, on peut deviner un changement des habitudes et une potentielle dégradation de l’autonomie.” La finalité du projet consiste à la fois à essayer de comprendre ces activités routinières et de modéliser un indicateur d’aide à la décision, à partir duquel pourront être générées des alertes que le corps médical pourra utiliser.

Faire avec peu de données

L’hypothèse semble accessible dans son abord mais sa formulation cache des défis techniques majeurs, abordés à travers la mise au point d’architectures de réseaux de neurones complexes et évoluées.

Ces études doivent faire avec peu de données, tout en tendant vers une solution performante et cohérente avec les attendus de la médecine 5P – personnalisée, préventive, prédictive, participative et pertinente. Différents paradigmes d’apprentissage sont étudiés en conséquence pour les modèles d’IA. L’apprentissage supervisé consiste à étiqueter les données collectées pour savoir à quelle activité elles sont associées, et à ajuster les paramètres des modèles. Des jeux de données restreints et personnalisés sont ainsi établis, qui expliquent ce qu’est le repas, la marche, le repos, etc., (c’est à dire les activités de la vie quotidienne révélant l’autonomie d’une personne, ADL – Activity of Daily Living en anglais) pour une personne X, à partir desquelles peuvent s’entraîner les modèles. L’apprentissage semi-supervisé se concentre pour sa part sur la répétition et l’identification des routines, pour laisser de côté l’étiquetage des données. “Dans le cas supervisé, on cherche à déduire une classe d’activité, alors que nous réfléchissons en termes de similarité dans le cas semi-supervisé. Nous savons que la personne fait quelque chose, mais nous ne savons pas exactement quoi. Nous utilisons l’apprentissage de distance pour reconnaître deux séquences de données similaires sur des plages horaires communes, afin d’en déduire des habitudes, des situations récurrentes.”

Des modèles IA de pointe

Le repérage des routines permet de pallier le maigre volume d’infos disponibles et de protéger la vie privée tout en proposant un haut niveau de personnalisation. Là où le deep learning met généralement en jeu de très grosses bases de données, les réseaux neuronaux étudiés dans le cadre de ce projet ont été adaptés pour relever ce challenge.

Cette approche a nécessité la mise au point de modèles d’IA très avancés. L’un d’entre eux se fonde sur la combinaison de plusieurs stratégies, à commencer par une architecture d’auto-encodeur, capable d’encoder de longues séquences de données pour définir des représentations compactes de l’information. Ces représentations sont ensuite utilisées par un réseau de neurones siamois produisant une mesure de similarité entre elles. Enfin, des modèles d’attention sont aussi mis en œuvre pour  focaliser l’architecture neuronale sur certaines parties des séquences d’entrée plus caractéristiques, plus pertinentes et plus structurantes. On parvient ainsi à un indicateur de similarité des routines performant.

Dans son principe et sa finalité, la solution poursuit toujours la même logique : “Nous ne cherchons pas à construire un système qui décide. Nous voulons fournir des indices pour l’aide à la décision. Il n’y a ni intrusion, ni action automatisée, nous faisons toujours avec l’humain.”

Des perspectives à moyen terme

Trois brevets – sur la détection des changements d’habitudes, l’estimation des activités de routine et la reconnaissance des modes de transport – ont été publiés dans le cadre du projet, ainsi que trois publications. A l’avenir, les travaux de recherche se projettent vers de nouveaux enjeux. La localisation dans l’habitat, à partir des mêmes capteurs, est l’un d’entre eux et vise à mieux comprendre le parcours de vie des personnes. La reconnaissance des émotions à domicile, pour mieux catégoriser les activités et événements, en est un autre et est abordé en lien avec l’institut MIAI Grenoble Alpes.

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