Évaluer, avec la réalité virtuelle, l’expérience utilisateur en contexte
Orange, à l’instar de différents acteurs du domaine du test consommateur [1], s’intéresse à la réalité virtuelle comme outil de simulation de contexte pour une évaluation de l’expérience utilisateur [2] combinant à la fois validité interne (fiabilité et reproductibilité des résultats) et validité écologique (capacité à étendre les résultats au-delà du laboratoire). Par sa capacité à simuler des environnements proches de la réalité, la grande liberté de création et de personnalisation qu’elle offre, ainsi que son aspect compact et mobile, cette technologique pourrait représenter une alternative intéressante pour évaluer au mieux l’expérience utilisateur, en plongeant les testeurs dans des conditions réelles d’utilisation. En effet, le contexte d’usage d’un service impacte l’expérience utilisateur qui en découle [3], mais ses différentes composantes (physiques, temporelles, sociales, etc. [4]) sont difficiles à intégrer dans un protocole de laboratoire. Des tests in situ, c’est-à-dire réalisés dans le contexte réel d’utilisation du produit ou du service, permettent d’obtenir des résultats davantage représentatifs des usages réels et des ressentis associés, au détriment de la validité interne, en plus d’être coûteux et plus difficiles à mettre en place. Les limites des approches laboratoire et in situ expliqueraient une difficulté à prédire le succès d’un produit [5]. Une première étude [6] dans laquelle étaient comparées des évaluations réalisées en laboratoire, en réalité virtuelle et dans le domicile des participants, a montré que la réalité virtuelle n’introduisait pas de biais majeur. Cependant, aucune manipulation n’était nécessaire dans l’environnement virtuel : les participants testaient les fonctionnalités de l’assistant Djingo via une interaction vocale. Or une grande partie des services testés impliquent une interaction via une interface graphique activée manuellement, soit de façon directe (écran tactile) soit de façon indirecte via un dispositif (souris, télécommande), ou une manipulation d’objets (Livebox, câbles, notice, par exemple). La réalisation de ces tests en environnement virtuel soulève alors la question suivante : faut-il simuler la manipulation de façon entièrement virtuelle (représentation des objets dans l’environnement et suivi des mains par exemple) ou faut-il proposer des solutions techniques permettant de maintenir la dimension tactile de l’expérience utilisateur pour une interaction la plus naturelle possible ? Afin de répondre à ces questions de recherche, une première étude a été réalisée et porte sur le cas de la télécommande, objet nécessaire à l’interaction avec le service TV d’Orange.
Tests utilisateurs en réalité virtuelle pour évaluer les interfaces du service TV d’Orange
Le Centre de Tests Clients de Rennes mène régulièrement des campagnes de tests utilisateurs pour évaluer les interfaces du service TV d’Orange. Afin de tester le service dans des conditions représentatives de l’usage quotidien de nos clients, ces tests pourraient être réalisés en environnement 3D pour faire varier le contexte de visualisation (taille téléviseur, distance, contexte jour/nuit) ou pour simuler des événements comme des problèmes réseau. Cette voie est explorée chez Orange Innovation pour différents services et différentes solutions d’interaction en Réalité Virtuelle. Des tests utilisateurs d’interface TV ont récemment été réalisés avec dix clients du service de TV d’Orange immergés dans un salon virtuel, dans le but de comparer différentes solutions techniques permettant l’interaction avec le service TV. Pour chaque solution, le participant était invité à réaliser des tâches simples telles que changer de chaîne, accéder au programme en direct, voir les informations détaillées du programme en direct, visualiser un contenu en Replay, etc. A la fin de chaque session, le participant évaluait son expérience via un questionnaire de présence [7] composé d’une vingtaine de questions permettant de sonder les ressentis en termes de possibilité d’agir, de réalisme, de possibilité d’examiner, de qualité d’interface, de performance et d’haptique.
Quelles solutions techniques pour une télécommande en réalité virtuelle ?
L’interaction avec la TV d’Orange en réalité virtuelle requiert l’accès au flux TV au sein de l’environnement virtuel et la possibilité d’interagir avec une télécommande pour commander le flux TV. L’accès au flux TV a été réalisé en intégrant un navigateur internet au sein de l’environnement virtuel. Quant à l’interaction avec une télécommande, trois solutions techniques ont été testées, elles sont décrites ci-dessous avec les retours utilisateurs obtenus lors des tests. Ces solutions sont intégrées dans un outil de tests utilisateurs en réalité virtuelle appelé ImmersiveTestU, fonctionnant en réseau et permettant à l’expérimentateur de visualiser sur PC différentes vues 3D du test en cours.
- Télécommande virtuelle avec suivi des mains
La première solution (capture 1) consiste à afficher une télécommande virtuelle dans l’environnement et à utiliser la technologie de suivi des mains des casques Meta [8] : l’utilisateur interagit comme il le ferait avec un digicode en utilisant son index pour appuyer sur les boutons, avec des retours visuels et sonores associés à la sélection et/ou à l’appui du bouton. Cette solution n’offre aucun retour haptique.
Les retours utilisateurs montrent un net désavantage de cette solution. En effet, plusieurs participants ont rapporté des difficultés avec cette solution perçue comme étant trop sensible au moindre mouvement. De ce fait, un détournement de l’attention vers la manipulation de la télécommande elle-même a été rapporté au détriment des tâches de navigation dans le service TV. Des participants ont également dit être gênés par le fait de ne pas pouvoir utiliser leur pouce virtuel pour enfoncer les touches, comme ils le font sur leur télécommande chez eux. Ainsi, l’interaction est perçue comme étant difficile et peu naturelle.
- Télécommande virtuelle avec contrôleur
La deuxième solution (capture 2) est semblable à la première mais l’interaction avec la télécommande virtuelle est réalisée en tenant un contrôleur dans la main. L’utilisateur interagit avec un « pointeur/laser » virtuel qui a pour origine le contrôleur et qui permet de sélectionner les boutons avec lesquels l’utilisateur souhaite interagir. Les retours visuels et sonores de la précédente solution sont complétés d’un retour haptique (vibration).
Cette solution avec contrôleur, a priori également peu réaliste, a pourtant été évaluée comme étant naturelle et préférée à la solution avec suivi des mains, probablement en raison du fait qu’elle était clairement assumée comme un dispositif propre à la réalité virtuelle mais permettant une interaction efficace. Par ailleurs, le fait de tenir un objet en main avec un retour haptique a semble-t-il été apprécié et permis une meilleure projection dans une situation de manipulation de télécommande. Néanmoins, les résultats montrent que la manipulation du contrôleur requiert des ressources attentionnelles au détriment de la tâche principale.
- Télécommande réelle et incrustation vidéo
La troisième solution permet à l’utilisateur de tenir une vraie télécommande dans la main (capture 3). Une webcam fixée sur le casque de réalité virtuelle permet l’incrustation du flux vidéo de la webcam. L’utilisation d’un fond vert permet de détourer le flux vidéo pour ne garder que la main et la télécommande. Cette solution offre l’avantage d’avoir le même ressenti haptique que dans une interaction normale avec la TV d’Orange.
Cette solution a été appréciée, car perçue comme une solution à la fois naturelle, n’interférant pas avec la tâche d’interaction, et ce malgré les défauts techniques rencontrés : fonction autofocus très sensible de la webcam générant du flou, manque de réactivité lié à des pbs de communication entre la télécommande et le PC. C’est donc une solution prometteuse qui permettrait d’imaginer diverses manipulations d’objets réels en environnement virtuel.
Poursuite des travaux
Cette étude confirme l’intérêt de la réalité virtuelle comme alternative pour évaluer au mieux l’expérience utilisateur, en plongeant des testeurs dans des conditions plus réalistes d’utilisation. Ces premiers résultats soulignent néanmoins la nécessité de garantir, dans l’environnement virtuel, une interaction non seulement efficace mais également naturelle. Une quatrième solution est en cours d’exploration avec une représentation virtuelle de l’objet réel manipulé. Cette approche permettrait de combiner qualité visuelle de l’environnement 3D (légèrement dégradée avec l’incrustation de flux vidéo) et naturel de l’interaction via sa dimension haptique (maintien en main de l’objet physique, en cohérence avec sa représentation dans le monde virtuel). Cette solution passe par le développement d’une télécommande spécifique, présentant les mêmes boutons que la télécommande d’Orange mais offrant également une information de « toucher » grâce à des capteurs capacitifs.
L’amélioration de l’outil de tests utilisateurs ImmersiveTestU porte sur l’intégration des fonctionnalités disponibles sur certains casques, comme le eye tracking permettant de déterminer quels objets sont fixés par l’utilisateur (et avec quelle durée). Par ailleurs, ImmersiveTestU est également utilisé dans le cadre d’une thèse sur les effets de contexte dont l’objectif est d’approfondir la connaissance sur le sujet : parmi toutes les composantes – physiques, temporelles, sociales, etc. – du contexte, quelles sont celles qui influencent significativement l’expérience utilisateur ? Quels outils et méthodes peuvent être proposés pour les prendre en compte ? La réalité virtuelle se présente comme une piste intéressante, mais pour quelles composantes ?
Sources :
[1] Gouton, M.-A., Dacremont, C., Trystram, G., & Blumenthal, D. (2021). Validation of food
visual attribute perception in virtual reality. Food Quality and Preference, 87, 104016. https://doi.org/10.1016/j.foodqual.2020.104016
[2] ISO 9241-210 : Ergonomics of human-system interaction—Part 210 : Human-centred design for interactive systems. (2019).
[3] Reiter, U., Brunnström, K., Moor, K. D., Larabi, M.-C., Pereira, M., Pinheiro, A., You, J., & Zgank, A. (2014). Factors Influencing Quality of Experience. Quality of Experience, 55 72. Springer, 2014.
[4] Jumisko-Pyykkö, S., & Vainio, T. (2010). Framing the Context of Use for Mobile HCI. International Journal of Mobile Human Computer Interaction, 2, 1 28.
[5] Bangcuyo, R. G., Smith, K. J., Zumach, J. L., Pierce, A. M., Guttman, G. A., & Simons, C. T. (2015). The use of immersive technologies to improve consumer testing: The role of ecological validity, context and engagement in evaluating coffee. Food Quality and Preference, 41, 84–95.
[7] Witmer, B.G. & Singer. M.J. (1998). Measuring presence in virtual environments: A presence questionnaire. Presence: Teleoperators and Virtual Environments, 7(3), 225-240