“Pour surmonter les frustrations et faire de l’impatience un moteur, il faut de la rigueur, de la persévérance, mais surtout une bonne dose de créativité.”
Le Salon de la Recherche marque une étape dans un projet : le sujet est assez mûr pour être dévoilé au grand public. Voilà comment Joachim Flocon-Cholet présente les choses pour la démonstration “Fault Diagnosis Discovery” : lorsqu’un client appelle un téléconseiller d’Orange pour une panne, le test lancé sur sa ligne collecte des informations sur le réseau, la box, etc. Un jeu de règles (“si”, “alors”…) est associé à une liste des pannes connues pour chercher des correspondances. Et si on n’arrive pas à identifier le problème ? On parle d’un DNI pour “Défaut Non Identifié”, ce qui arrive dans 25 % des tests. Ne suffirait-il pas dans ce cas de trouver de nouvelles règles ? Pas si simple. Des centaines de milliers de tests sont générés chaque jour par l’outil. Ceux-ci produisent à leur tour des millions de données. Avec tout leur savoir-faire, les experts métier d’Orange manquent d’un élément capital pour résoudre des problèmes aussi complexes : du temps, beaucoup de temps ! C’est là qu’interviennent les travaux de recherche présentés dans la démo Fault Diagnosis Discovery.
La naissance d’une vocation
Pour Joachim, qui travaillait déjà dans le machine learning (apprentissage automatique), tout se précise au moment où naît l’effervescence autour de la donnée : le Big Data. L’étudiant en master de recherche comprend vite que le domaine va devenir incontournable. Il voit aussi les opportunités de carrière : une base théorique commune pour un champ d’applications très vaste, qui touche à des secteurs aussi divers que le son, l’image, l’agriculture, la finance, et tous les domaines que l’on sait aujourd’hui révolutionnés par la donnée.
Acquis et inconnues
À l’origine du projet Fault Diagnosis Discovery, il y a une problématique très concrète, et un objet d’étude pas si commun. “En commençant à combiner des briques technologiques, à tester différents algorithmes, nous avons réalisé qu’il y avait un souci de méthode. C’est là que nous avons mis en place une méthode inspirée de ce qu’on appelle le ‘zero-shot learning’ : notre approche est d’injecter des données issues de la connaissance métier pour guider le système dans l’exploration et la découverte de pannes inconnues.” C’est cet aspect exploratoire qui a attiré Joachim à ce poste de recherche, il y a maintenant quatre ans. De nombreux projets data partent plutôt d’un cas d’usage maîtrisé : on sait ce qu’on veut et on cherche à optimiser l’algorithme en ce sens. Alors que là, on ne sait pas exactement comment arriver à la fin.
Expérimentations successives
Oubliez-les “Eurêka !”, car la recherche est une épreuve d’endurance. “Entre le moment où on a une idée qui fonctionne en théorie, et celui où on la développe, où on lance les calculs avec des données synthétiques, puis avec des données réelles, pour enfin confronter notre travail à la validation de nos pairs, il se passe plusieurs semaines. Il y a les phases d’expérimentation, où je passe beaucoup de temps à coder, et les phases de consolidation des résultats, pendant lesquelles je vais beaucoup échanger avec mes collègues. Quand on s’approche d’une publication, c’est la rédaction qui prime, et quand j’étudie un livre pour m’imprégner de nouvelles connaissances, je retrouve un isolement tout universitaire.”
Indispensables interactions
L’isolement ne dure jamais longtemps, car pour stimuler la réflexion, rien de tel que de confronter ses idées. “Ce qui manque le plus avec le confinement et le télétravail, ce sont les échanges informels : se croiser au détour du couloir, discuter d’un concept, et partir pendant deux heures à gribouiller sur des tableaux… L’interaction est la clé, dans le monde de la recherche. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a les conférences.” En entreprise, cette interaction cherche aussi la proximité avec la réalité du terrain. Joachim consolide ses avancées avec ses collègues chercheurs dans le domaine du machine learning, mais aussi avec des experts métier, spécialistes de la fibre optique par exemple. Il resserre toujours le lien entre recherche et application.
Cerveau affûté cherche problème complexe
“C’est un travail qui s’inscrit sur un temps tellement long qu’on peut parfois perdre de vue le fil rouge du projet. C’est d’autant plus vrai durant les phases où on piétine, où il faut tout changer… Dans ces moments, heureusement, on peut s’appuyer sur son équipe. Pour surmonter les frustrations, faire de l’impatience un moteur, il faut bien sûr de la rigueur, de la persévérance, mais surtout une bonne dose de créativité. On est souvent face à des problèmes qui paraissent insolubles. Il faut avoir le goût de les résoudre, construire d’innombrables scénarios dans sa tête, essayer des choses inédites ou des chemins différents.”
Voici comment d’une petite idée, d’une intuition, on arrive à une proposition nouvelle – prête à transformer durablement les systèmes de diagnostic de pannes sur le réseau, pour des gains évidents tant du côté opérationnel que de l’expérience client.