Pour cela, Orange a conçu une architecture globale en tenant compte de la sécurité et confidentialité des données, de la gestion de la qualité de service et des flux de trafic, dans un contexte de multi réseaux d’accès et multi constructeurs automobiles… même en cas de passages de frontières.
Jérôme Colombain : On va donc parler de voitures autonomes. Les expérimentations se multiplient un peu partout dans le monde, qu’il s’agisse de véhicules individuels, de navettes collectives ou même de petits robots de livraison. Ces véhicules, pour être totalement autonomes avec un maximum de sécurité, en réalité, ils ont besoin d’être connectés. Connectés pour communiquer avec l’infrastructure routière et aussi avec les autres véhicules, pour échanger des informations, par exemple, sur les conditions de circulation.
C’est ainsi que les véhicules autonomes ou même semi-autonomes utiliseront notamment la 5G. On en parle donc tout de suite avec Roxane Adle, qui est directrice de domaine de recherche Sustainable Digital Society chez Orange. Et d’abord, on va repartir du début. Roxane, qu’est-ce qu’on entend exactement par voiture autonome ?
Roxane Adle-Aiguier : Alors une voiture autonome : on a différents niveaux. Il y a le niveau de 1 à 5, de l’assistance au parking, à la possibilité de lâcher les mains du volant sur l’autoroute, jusqu’aux navettes entièrement automatisées qui existent aujourd’hui sur le plateau de Saclay par exemple, ou dans certains aéroports. Nous, aujourd’hui, on travaille sur l’ensemble de ces problématiques en visant à terme, une véritable voiture autonome : celle des sciences-fictions, comme vous voyez dans les films ou dans les livres.
JC : Il y a une question que les gens se posent souvent. Mais pourquoi, au fond, une voiture autonome ? Quel intérêt ? En plus, il y a des gens qui aiment bien conduire !
RA : Alors oui, effectivement, il y a des gens qui aiment bien conduire.
JC : L’intérêt c’est la sécurité ?
RA : Il y a trois intérêts. Vous avez raison, il y a la sécurité : on espère avoir zéro décès sur la route à l’échéance 2050. C’est une des raisons. Deuxième raison, ce que tout le monde met en avant, c’est de profiter de ce temps libre de la conduite pour faire autre chose, que ça soit du loisir ou du travail ; ou ce qu’on a envie de faire, autre que de conduire. Et troisièmement, c’est justement de fréquenter d’autres personnes et converser tranquillement sans faire attention à la route.
JC : On sera comme dans le train, mais dans sa voiture.
RA : Exactement.
JC : Dites-moi Roxanne Adle, pourquoi la 5G dans les véhicules autonomes ?
RA : Alors aujourd’hui, comme je l’ai dit, plutôt des navettes d’ailleurs, autonomes, complètement autonomes (c’est à dire qui n’ont pas de chauffeurs ; ils ont un opérateur qui est dedans pour les cas d’urgence, mais qui n’ont pas de conducteurs) existent. Elles ne vont pas plus vite que 30 km/h, d’ailleurs c’est la loi. Les réseaux, ce qu’ils peuvent apporter à ces voitures, c’est qu’ils augmentent la capacité qu’ont aujourd’hui ces voitures semi-autonomes, avec des capteurs et des Lidar, de détecter des obstacles ou des dangers qui ne sont pas visibles, à priori par le chauffeur ou par les capteurs de la voiture.
JC : Mais de quelle manière alors ?
RA : Ce qui se passe, c’est que justement, c’est une discussion entre les voitures connectées et leur environnement, d’autres voitures connectées ou d’autres objets connectés et non connectés. Quand vous avez, par exemple, une voiture qui passe à côté d’un obstacle, elle peut envoyer une signalisation vers toutes les voitures autour qui sont sur le même chemin, en disant « attention, une voiture est arrêtée sur la route ou un embouteillage », de façon à ce que les autres voitures recevant cette alerte, avant même d’arriver en visibilité de l’obstacle, puissent commencer à ralentir et détecter éventuellement des obstacles ou une collision ou un embouteillage.
JC : C’est ce qu’on appelle la communication « vehicule to vehicule ».
RA : Voilà, c’est la communication « vehicule to vehicule » exactement.
JC : Et pour ça, c’est la 5G, la seule solution ?
RA : Alors non, on a commencé nos travaux depuis douze ans sur ce sujet. On a commencé avec la 4G. C’est vrai que la 5G nous permet d’avoir des fonctionnalités supplémentaires, c’est à dire de réserver, par exemple, des slices de réseaux particulières : basse latence et haut débit ; pour les voitures, de façon à ce que si quelqu’un, par exemple, dans la voiture est en train de regarder un film derrière – un enfant – et utilise le réseau, ces différentes fonctionnalités urgentes et non urgentes soient séparées l’une de l’autre.
JC : Et c’est le gros avantage de la 5G.
RA : Exactement. Et qu’il peut réserver, en fait, une tranche de réseau spécifiquement pour la conduite et permettre aux voitures de rouler de manière efficace et sûre.
JC : Alors c’est plein de promesses la voiture autonome. Mais il y a de nombreuses questions qui se posent et notamment concernant cette histoire de communication. Comment est-ce que ça va se passer lorsqu’une voiture autonome franchira une frontière européenne et qu’il y aura donc un changement d’opérateur ? C’est ce qu’expérimente actuellement les opérateurs européens dans le cadre d’un projet qui s’appelle 5G CroCo. Roxane, on est d’accord, rien à voir avec les crocodiles ?
RA : 5GCroCo, ça veut dire « 5G Crossboarder Cooperative ». On a commencé par « SCOOP », « 5GCar », qui avaient pour objectif de concevoir l’architecture globale en tenant compte de la sécurité, la confidentialité des données, de la gestion de qualité de service et des flux de trafic, dans un contexte multi réseaux d’accès et multi constructeurs automobiles. Puisque, comme vous le savez, une voiture autonome, on ne peut pas imaginer que quand elle traverse une frontière, ou quand on change de voiture, il faut que, à chaque fois, on ait la même qualité de service de la voiture autonome, sur la durée de la conduite.
JC : Oui, bien sûr.
RA : Tous ces projets ont pour but de justement garantir cette conduite sans couture, si l’on peut dire ainsi. Et le projet 5GCroCo, en fait, c’est la phase d’expérimentation sur une route réelle, c’est à dire qu’avec 5GCar, on a expérimenté sur des circuits nos travaux et avec 5GCroCo, on va sur des routes ouvertes qui sont des routes départementales ou autoroutes, dans un contexte multi opérateurs et multi constructeurs de voitures, pour être sûrs que nos travaux conviennent à tous ces enjeux de changement de contexte dans la traversée.
JC : Et comment est-ce que vous faites ? Est-ce que c’est facile ? Comment est-ce que vous arrivez à faire une espèce d’interopérabilité réseau comme ça ? Une interopérabilité pour voitures ?
RA : Alors l’interopérabilité aujourd’hui existe. Quand vous traversez, vous, une frontière, si vous avez fait attention, vous avez votre téléphone qui, au bout de quelques secondes, vous transmet un SMS, souvent de l’opérateur, qui a repris derrière.
JC : « Bienvenue, ça va vous coûter une fortune »
RA : Exactement.
JC : Non, maintenant, ça ne coûte plus rien. C’est bien.
RA : Exactement. Donc ça, ça existe. Ce n’est pas un sujet nouveau et ce n’est pas propre à la 5G. Ce qui est important, c’est que ce laps de temps de quelques secondes, de le ramener à quelques millisecondes. Parce qu’effectivement, on ne peut pas attendre dix ou 20 secondes, c’est long. Dans une voiture autonome, pour pouvoir garantir sa qualité de service pendant le changement d’opérateur. Donc une grande partie de nos travaux, c’est justement de travailler sur ce changement d’opérateur de manière fluide et sans couture, de manière à ce qu’on garde cette latence – ce qu’on appelle latence – en dessous de dix millisecondes, ce qui, sur plus d’une centaine de km/h, ça fait en gros une trentaine de mètres de balance de changement d’opérateur.
Quand on a une alerte d’un danger à quelques centaines de mètres, il faut que la voiture puisse directement et tout de suite réagir. Et non seulement réagir, mais comme je le disais, de prévoir et de garantir une qualité de service sur la durée de la manœuvre, il faut aussi qu’on soit capable de basculer entre la 4G et la 5G.
JC : Il n’y a pas de la 5G partout.
RA : Voilà donc nos travaux, c’est vraiment cette interopérabilité entre différents types de réseaux, parce qu’on ne peut pas demander à tous les pays d’avoir le même réseau, au même niveau, avec le même débit, etc. Ça ne va pas se déployer au même rythme, ça ne va pas se déployer au même endroit partout etc. Donc il faut que la voiture puisse aussi s’adapter à tout ce contexte-là.
JC : On comprend, il y a un vrai enjeu de sécurité. Alors, est-ce que la responsabilité de l’opérateur pourrait être engagée, au cas où il y aurait une défaillance qui conduirait à un accident ?
RA : Alors effectivement, si le réseau ne répond plus, c’est pour ça qu’on fait la qualité de service prédictif. Il envoie une notification et le conducteur reprend la main pour remettre la voiture en situation de sûreté et de conduite par le chauffeur.
JC : Mais, pardon, Roxane Adle, vous parlez d’un conducteur ? Mais il y a deux minutes, on parlait des véhicules du futur qui n’auront pas de conducteur. Donc dans ce cas-là, qu’est ce qui se passe ?
RA : Le réseau apporte des informations supplémentaires, mais vous avez toujours les capteurs qui sont là. Vous avez toujours les Lidar qui sont là pour détecter des obstacles, pour pouvoir arrêter la voiture. Et le réseau, c’est une aide supplémentaire pour augmenter la capacité de vue de plus loin, pour la voiture.
JC : On est un peu dans la redondance comme dans les avions, finalement ?
RA : Dans la redondance, dans l’anticipation aussi, des dangers. C’est à dire que les capteurs peuvent voir à une certaine distance, les Lidar aussi. Mais le réseau permet justement d’apporter des informations supplémentaires sur ce qui se passe à une distance pas forcément visible de la voiture en train d’avancer sur sa route.
JC : Donc, si on comprend bien, pour résumer et puis on va s’arrêter là, les éléments 5G dans les véhicules autonomes du futur ne sont pas, on va dire, absolument indispensables, mais ils vont apporter une couche de sécurité, de confort supplémentaire.
RA : Effectivement, ils vont apporter une couche de connaissance supplémentaire de l’environnement à un niveau plus grand, plus étendu que ce qu’apportent les capteurs et les Lidar qui sont sur les voitures.
JC : Merci beaucoup. Roxane, directrice de domaine de recherche Sustainable Digital Society chez Orange.
RA : Merci à vous.