Santé : les algorithmes prêts à prendre des décisions à la place des médecins ?

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● En Autriche, des chercheurs ont développé un algorithme capable de prendre des décisions de traitement plus adéquates que celles des médecins.
● Ces recherches impliquent des réflexions sur la prise de décision dans la santé, les biais algorithmiques et la responsabilité des intelligences artificielles.
● Professeur en oncologie et radiothérapie et chercheur en intelligence artificielle à l’Inserm, Jean-Emmanuel Bibault décrypte ces enjeux.

L’intelligence artificielle (IA) serait désormais capable de formuler des propositions de traitement plus pertinentes que celles des médecins. C’est ce que décrit un article de recherche écrit par une douzaine de médecins et spécialistes en IA en Autriche. Cette avancée est possible grâce à l’appréhension des données portant sur l’évolution dans le temps des conditions de patients atteints de septicémie et placés en soins intensifs. Cette approche répond à de nombreux problèmes en matière de prescription de corticostéroïdes (des hormones), puisque le dosage de ces médicaments et le moment où ils sont administrés sont critiques pour la survie des patients. L’algorithme proposé intègre davantage de paramètres dans la prise de décision de traitement que le ferait un être humain, ce qui le rend plus pertinent : quand l’agent virtuel a indiqué de suspendre le traitement ou a réalisé ses propres prescriptions – souvent plus strictes que celles des médecins – le taux de mortalité a diminué. Le résultat est prometteur : l’utilisation de l’IA permet d’augmenter les chances de survie des patients. Dans l’une des études réalisées par les chercheurs, le taux de guérison a d’ailleurs augmenté de 3 points grâce à l’IA.

Pousser les algorithmes de manière sécurisée sur le terrain

Si les auteurs de cette recherche précisent que l’usage de ces technologies doit uniquement constituer un support pour le corps médical, ils reconnaissent que des questions légales restent en suspens. De fait, qui serait responsable en cas d’erreur d’une IA ? L’être humain doit-il se reposer sur l’IA ou doit-il l’ignorer ? Ces questions trouvent encore difficilement des réponses, malgré le florilège d’articles scientifiques qui décrivent chaque jour la capacité des algorithmes à être plus efficaces que des médecins. « Le problème est que la majorité des algorithmes ont démontré leur efficacité sur un ordinateur, et peu ont fait leurs preuves sur le terrain, souligne Jean-Emmanuel Bibault, professeur en cancérologie et chercheur en intelligence artificielle. Aujourd’hui, le défi est de réfléchir à des méthodes qui vont permettre de faire sortir les algorithmes des ordinateurs et de les valider, afin qu’ils rentrent dans la vie quotidienne des patients. »

Les algorithmes doivent être validés de manière sérieuse et rigoureuse, car si on ne le fait pas, on risque de développer des biais.

Dans la MIT Technology Review, le professeur Assaad Sayah, directeur général de Cambridge Health Alliance, a alerté sur le fait qu’il est encore difficile de prédire les conséquences de l’IA dans la santé, notamment parce que de nombreux résultats sont inappropriés pour des sous-populations. « Le risque est de vouloir brûler des étapes et cela exposerait les patients à des risques inutiles », précise Jean-Emmanuel Bibault. La profession est, selon lui, prise entre deux feux : « Les algorithmes doivent être validés de manière sérieuse et rigoureuse. Cela prend beaucoup de temps, mais si on ne le fait pas, on risque de développer des biais. » Le groupe d’experts dont il fait partie est donc signataire d’un article dans Nature Medicine qui propose une ligne directrice, baptisée DECIDE-AI et relative aux éléments qui doivent être rapportés dans les études cliniques de stade précoce des systèmes de décision basés sur l’IA dans la santé. L’idée est d’instaurer une méthodologie stricte quant aux études cliniques et au développement des systèmes d’aide à la décision pilotés par l’IA, pour faciliter l’évaluation de ces derniers. On retrouve dans cette méthodologie une liste d’informations à fournir, telle l’identification des données utilisées comme intrants par l’IA : il est demandé aux chercheurs de décrire la manière dont les données ont été acquises, le processus nécessaire pour saisir les données d’entrée, le prétraitement appliqué et la manière dont les données manquantes ou de faible qualité ont été traitées.

Des promesses d’allégement du système de soins

« Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est très efficace pour détecter des informations sur des images de scanner ou d’IRM, ou encore réaliser des analyses de biopsie », indique le médecin. Des technologies permettent également de segmenter le contenu d’une image pour y repérer les organes, ce qui fait gagner un temps considérable. « Ces outils nécessitent encore une vérification manuelle », ajoute-t-il. Jean-Emmanuel Bibault, qui a notamment écrit « 2041 : l’Odyssée de la médecine – Comment l’intelligence artificielle bouleverse la médecine ? » (Éditions des Équateurs, 2023), est convaincu que, d’ici cinq à dix ans, les algorithmes pourront fonctionner de manière non supervisée dans la santé. « Les autorités sanitaires doivent s’y préparer, notamment parce que cela aidera à accélérer la prise en charge des patients, en particulier la prise en charge précoce, et permettra donc aux systèmes de santé de réaliser des économies. Le risque est que l’on se dise que l’on aura besoin de moins de personnel soignant, mais ce serait une grosse erreur, car l’IA contribuera surtout à améliorer la prise en charge des patients et la qualité des soins. » Quant à l’adoption de ces technologies par les médecins, Jean-Emmanuel Bibault note une véritable appétence à ce sujet : « Mon point de vue est peut-être biaisé au regard des praticiens que je fréquente, mais n’oublions pas que le devoir d’un médecin est d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour traiter un patient », conclut-il. Moyens qui incluront certainement, d’ici quelques années, l’intelligence artificielle.

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