La composition de l’air ambiant est un enjeu sanitaire et climatique. Les restrictions de déplacement sanitaires ont remis au premier plan en particulier la question de la qualité de l’air intérieur. Les nouvelles technologies peuvent apporter quelques réponses aux questions soulevées par ce problème de santé publique.
Le grand public connaît les appareils connectés permettant de mesurer la qualité de l’air de leur domicile, comme la station météo de Netatmo ou les moniteurs de Temtop et d’Airthings (Wave Plus). Outre le niveau de dioxyde de carbone, ils peuvent analyser les particules fines et les produits chimiques en suspension dans l’air. La start-up IQAir, qui propose une déclinaison professionnelle de ce type d’appareil (AirVisual Enterprise), explique les gains de bien-être au travail et de productivité qui peuvent résulter du contrôle de la qualité de l’air : “Il a été démontré que la mauvaise ventilation (niveaux élevés de CO2) altère les capacités cognitives et la prise de décision, et peut provoquer des maux de tête et de la fatigue, explique l’entreprise sur son site.”
Ces outils de mesure peuvent être couplés à des purificateurs d’air professionnels (par exemple de NatéoSanté, JVD ou Pureaéro), qui ont pour objectif de lutter contre les particules polluantes, les allergènes, les bactéries et les virus.
Le capteur Flow de Plume Labs se propose, lui, de mesurer la qualité de l’air extérieur et, en fonction du niveau ambiant d’exposition à la pollution, de recommander en temps réel le meilleur itinéraire ou les endroits où l’air est le plus pur. Par un système de crowdsourcing semblable à des applications de mobilité comme Waze, ce type de capteur collecte et consolide les données de contributeurs volontaires. Plume Labs cartographie ainsi la pollution atmosphérique à travers le globe.
Les smart cities en première ligne
A l’échelle d’une métropole ou d’une communauté de communes, la mesure de qualité de l’air peut être un des bénéfices de la smart city, avec une dimension de temps réel.
La ville d’Angers régulera la circulation urbaine à partir de l’analyse en temps réel de la qualité de l’air et du trafic.
En extérieur, Air Pays de la Loire et la société d’aménagement Samoa ont lancé, début mai 2022, une expérimentation sur l’île de Nantes prévue pour durer cinq mois. Un panneau connecté dédié aux automobilistes diffuse en direct l’indice de la qualité de l’air – de bon à extrêmement mauvais – et propose des alternatives pour utiliser différemment la voiture ou changer de moyen de transport. Un autre panneau s’adresse, lui, aux cyclistes. En fonction de la qualité de l’air, il suggère l’un ou l’autre des trois itinéraires possibles.
Présenté comme une première mondiale, le projet “5G Green Mobilité” de la ville d’Angers doit, comme l’explique l’agence API, lui permettre de réguler la circulation en zone urbaine grâce à l’analyse en temps réel de la qualité de l’air et du trafic.
Doté d’un budget de 4,8 millions d’euros, dont plus de la moitié vient de subventions de l’Etat dans le cadre du programme France Relance, ce chantier associe la startup toulousaine Waltr, l’opérateur télécom Alsatis et le groupe nantais Lacroix, spécialiste en internet des objets (IoT).
Le dispositif proposé fait appel à “des caméras spectrales qui détectent et évaluent les pollutions de l’air en haute résolution et d’un réseau de microcellules 5G privé qui collecte des données telles que le taux d’émissions de gaz à effet de serre ou encore les variables météorologiques”. L’infrastructure IoT recense, elle, “les données émanant du trafic, les pics de fréquentation, et le type de signalisation mis en place pour proposer une micro-régulation en temps réel du trafic routier”.
La mise en place du réseau 5G privé pour la smart city angevine est prévue pour le premier semestre 2022. Suivra, cet été, l’intégration des premiers capteurs de mesure de la pollution. La plateforme devrait être opérationnelle d’ici fin 2023.
Protocoles et interopérabilité
Les micro-capteurs connectés utilisés par les citoyens, les villes ou les entreprises présentent un inconvénient. Faute de protocoles communs, ils n’offrent pas le même format de données qui permettrait de transformer ces dernières, de les agréger et de rendre ces appareils interopérables.
“Les micro-capteurs connectés ne sont pas encore suffisamment matures au niveau métrologique pour qu’ils soient utilisés pour la surveillance réglementaire, juge Pierre Pernot, directeur de la communication d’Airparif, l’organisme agréé par les pouvoirs publics pour la surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France. Les résultats sur la qualité de l’air ne doivent pas dépendre de l’appareil.”
A contrario, Airparif et les autres associations agréées utilisent les mêmes règles de collecte, de stockage et d’agrégation des données. “Bien que nous utilisions des capteurs multimarques, nous mesurons de la même façon la qualité de l’air à Dunkerque ou à Paris.”
Airparif dispose d’environ 70 stations de mesure, dont plus d’une cinquantaine de stations permanentes. Véritables mini laboratoires statiques, elles permettent de mesurer en continu un grand nombre de polluants. Cette analyse automatique n’est toutefois pas possible pour certains d’entre eux comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Le recueil se fait par filtre ou tube à diffusion pour une analyse a posteriori en laboratoire.
Dans le cas du recueil automatique, les données remontent au siège d’Airparif via une liaison ADSL. “Il n’y a pas d’enjeux de volume et de dimension temps réel qui nécessiterait le recours à la 5G, estime Pierre Pernot. S’il fallait comparer instantanément des données avec des flux de circulation importants, cela ferait sens.”
La collecte se fait toutes les heures sauf lors des pics de pollution où la fréquence est le quart d’heure. Les données sont stockées et mises en base. Avant de les étudier, l’association s’assure qu’elles sont valides. “Une opération technique sur une station pourrait, par exemple, fausser la mesure.” Airparif utilise XR, le logiciel d’acquisition, de traitement et de reporting des données environnementales édité par Envea.
Un challenge de micro-capteurs
En débit de leur manque d’interopérabilité, les micros-capteurs connectés constituent, aux yeux de Pierre Pernot, un outil de sensibilisation du grand public sur les enjeux en cours. “Cela réduit la distance entre le citoyen et les acteurs publics.”
La donne pourrait aussi évoluer favorablement. L’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) ont créé, en 2020, l’association CIE (Certification instrumentation pour l’environnement) afin d’établir une certification Air Quality Sensor des systèmes capteurs pour la mesure de la qualité de l’air extérieur. Une norme est également en cours d’élaboration au niveau européen.
En attendant, Airparif mène un travail de veille et d’intégration technique des solutions du marché. Via sa cellule Airlab Solutions, l’association organise tous les deux ans un challenge de micro-capteurs. Elle teste les dispositifs des fabricants en conditions réelles et rend publics les résultats en mettant en avant les avantages et limites de chaque modèle. La prochaine édition de ce comparateur aura lieu en 2023, en France et en Thaïlande.
La restitution en question
Au-delà du sujet de l’interopérabilité, le traitement des données issues des micro-capteurs pose deux questions. A la différence des stations permanentes ou semi-permanentes, ces capteurs sont de plus en plus mobiles. “Il faut donc géolocaliser les données, travailler sur des trajectoires et utiliser des systèmes de correction”, précise Pierre Pernot. Quid, par ailleurs, de l’empreinte carbone relative à la collecte et au stockage des données si le nombre d’objets connectés de mesure est appelé à augmenter de façon exponentielle ?
Enfin, dernier élément à prendre en compte : la restitution des données. Depuis 2018, Airparif propose en open data les données produites à destination des acteurs économiques et des data scientists. Pour qu’elles soient compréhensibles du grand public, elles doivent, en revanche, être mises en forme et contextualisées (seuils réglementaires, valeurs limites, historique).
Ainsi mises en perspectives, ces données peuvent alors relayées par les médias et les collectivités locales à travers notamment les panneaux d’affichage. Sur son site Internet, Airparif propose une carte de la pollution en Île-de-France offrant une résolution de l’ordre de 10 mètres à Paris, de 25 mètres sur les départements de la petite couronne et de 50 mètres en grande couronne.
En France, à l’échelon national, l’Ineris met en ligne, avec Geod’air, une carte interactive pour suivre en temps réel l’évolution de différents polluants (ozone, monoxyde de carbone, dioxyde d’azote, particules en suspension, dioxyde de soufre). Autre site de l’Ineris, Prev’Air établit, lui, des prévisions.