Pourquoi les télécoms s’intéressent au calcul quantique
À mesure que les réseaux deviennent plus interconnectés, critiques et dynamiques, les limites de l’informatique classique se font sentir : les opérateurs doivent prendre des décisions en temps réel dans des contextes de plus en plus complexes. Des modèles dits d’optimisation combinatoire permettent de calculer les meilleures décisions et actions réseaux de manière automatisée grâce à des calculs effectués par ordinateurs. Le coût en temps et en énergie de ces calculs deviendrait cependant vite insoutenable si l’on continuait à traiter les problèmes uniquement avec des approches classiques.
C’est ici que l’informatique quantique entre en jeu [voir les ouvrages « Introduction à l’informatique quantique », tomes 1 et tome 2, pour plus de détails – https://perso.isima.fr/~lacomme/site3/livres.html]. Alors que l’informatique classique est limitée à explorer les scénarios un par un, l’informatique quantique permet quant à elle d’explorer un grand nombre de scénarios simultanément. Des gains substantiels en performance et consommation d’énergie sont donc attendus dans des domaines clés comme l’optimisation combinatoire appliquée aux opérations réseaux.
L’informatique quantique permettra de franchir des limites calculatoires jusque-là inatteignables avec l’informatique classique dans les réseaux télécom, avec un impact fort sur l’expérience client et l’environnement.
L’avenir des télécommunications passera donc probablement par le recours à l’informatique quantique pour gérer dynamiquement les réseaux, améliorer leur performance, et réduire leur consommation d’énergie.
Optimiser les réseaux grâce au calcul quantique
Parmi les problèmes d’optimisation particulièrement étudiés en télécom il y a l’optimisation de la résilience, du routage ou de l’orchestration des services dans les réseaux. Les modèles les plus adaptés pour les résoudre sont ceux de la « recherche opérationnelle », discipline qui a pour objet d’étude les problèmes de décision/optimisation complexes. Les défis sont de taille : il s’agit d’identifier les sources potentielles de pannes critiques, ou de déterminer à la fois un placement de fonctions de calcul réseau en les déployant sur des ressources cloud et un routage des flux de trafic issus de ces services de manière à optimiser des critères de qualité de service comme la latence par exemple. Ces problèmes, de nature combinatoire, sont résolus par des algorithmes qui, exécutés sur des ordinateurs classiques, nécessitent énormément de ressources calcul, un temps de résolution long, et, par conséquent, une consommation d’énergie importante. Les résultats des chercheurs d’Orange qui travaillent sur le sujet, montrent qu’il est possible de diminuer drastiquement ces temps de calculs et de consommation d’énergie, tout en améliorant la qualité des services, en alliant l’informatique quantique aux approches classiques. On parle de « modèle hybride » du fait qu’une partie du processus est classique et l’autre partie est quantique.). Ainsi, on peut aujourd’hui envisager le développement de nouvelles approches et algorithmes de gestion des réseaux dynamiques, fiables, fournissant des solutions de qualité tout en réduisant les besoins en puissance de calcul, et l’impact carbone de l’opérateur.
Ces approches pourront être adaptées à la résolution de nombreux autres problèmes d’optimisation. Ainsi la recherche en calcul quantique d’Orange permettra à terme de maitriser et développer de nouvelles approches d’optimisation dans plusieurs domaines de la Tech.
Gestion proactive des pannes : le calcul quantique au service de la résilience réseau
Dans le domaine de la résilience, la détection de nœuds critiques dans un réseau est incontournable pour décider de la meilleure répartition des ressources pour une gestion proactive des pannes.
Les algorithmes quantiques permettent ici de déterminer en temps réduit l’ensemble des nœuds qui, s’ils tombaient en panne simultanément, créeraient une altération visible de certains services. Si la probabilité de l’altération dépasse un certain seuil, les équipes techniques interviennent alors sur les nœuds en question pour renforcer leur résistance aux pannes.
C’est là que le recuit simulé quantique (quantum annealing) entre en jeu. Ce type de calcul quantique est inspiré d’un procédé existant déjà en calcul classique et déjà maîtrisé par les équipes d’Orange Research. Il repose sur la recherche du minimum global d’une fonction de coût (comme en calcul classique), mais en exploitant en plus des phénomènes quantiques comme le tunneling (la capacité à faire évoluer une fonction de coût à énergie constante), ce qui permet d’obtenir de meilleures performances. Contrairement aux algorithmes classiques, qui risquent de rester bloqués dans des minima locaux, le recuit quantique peut franchir ces barrières et identifier plus rapidement des solutions optimales.
Ce type d’approche permet d’explorer efficacement des milliards de configurations réseau et d’identifier, en un temps réduit, les scénarios de configuration ou de migration les plus performants en fonction de critères comme la latence, la résilience ou le coût.
Les premiers résultats d’Orange Research sur le sujet montrent une amélioration significative de la robustesse des stratégies de défense dynamique contre les pannes [https://roadef2025.org/wp-content/uploads/2025/02/ROADEF2025_resumes.pdf, page 22 du pdf]. Les résultats fournis par le modèle hybride montrent en effet que l’on peut diminuer de moitié le risque de perte de service sur une partie du réseau en cas de panne simultanée de plusieurs nœuds.
Vers des jumeaux numériques augmentés
Autre piste prometteuse : les jumeaux numériques quantiques. Les simulations sont typiquement effectuées aujourd’hui grâce à des jumeaux numériques. En simulant des réseaux entiers via des environnements numériques couplés à des algorithmes quantiques, on peut explorer des scénarios complexes tout en intégrant l’incertitude, les imprévus ou les comportements non déterministes. Cela ouvre la voie à des capacités de prédiction renforcées et à de meilleurs outils d’aide à la décision, en particulier dans les environnements partiellement observables.
Des algorithmes quantiques comme l’algorithme de Grover pourraient être utilisés efficacement et avec un avantage très discriminant par rapport aux approches classiques seules pour trouver des solutions optimales dans des espaces exponentiellement grands qui ne sont explorables que par simulation. Un tel avantage ne pourra cependant s’observer qu’avec un nombre de qubits suffisamment important, probablement plusieurs centaines voire milliers de qubits dit « logiques », c’est-à-dire de qubits directement utilisables pour les calculs. Ceci est loin d’être le cas pour l’instant (on ne dispose que de quelques dizaines de qubits logiques au mieux). Certains acteurs, en particulier français, se démarquent cependant déjà dans la course à la technologie quantique (Pasqal, Quandela, Alice&Bob), dans un contexte où l’Europe ambitionne de devenir la « vallée quantique » du monde (déclaration commune sur les technologies quantiques signée par onze États membres de l’UE dont la France).
Un tour d’horizon des technologies quantiques en superconduction (capables de faire tourner Grover nativement) est disponible ici : https://link.springer.com/content/pdf/10.1140/epja/s10050-023-01006-7.pdf
Classique + quantique : une alliance stratégique
Plutôt que de remplacer complètement l’existant, l’informatique quantique s’inscrit dans une logique hybride. En la combinant avec les meilleurs algorithmes classiques de type recherche opérationnelle (comme avec la technologie proposée par D-Wave par exemple, via une méthode de recherche locale), ou d’intelligence artificielle (comme proposé par Quandela par exemple, avec une méthode de descente) on peut accélérer l’exploration d’options et la convergence vers des solutions optimales.
Les cas d’usage visés ? Des systèmes autonomes intelligents pour gérer les réseaux, comme les orchestrateurs réseau.
Un investissement stratégique pour Orange
Orange mobilise activement ses équipes de recherche pour explorer ces opportunités. En 2025 un projet de recherche portant sur le calcul quantique a été lancé, incluant notamment une thèse CIFRE.