● Si la révolution technologique annoncée tarde à se produire, le graphène pourrait bousculer à tout jamais le numérique.
● D’autres nanomatériaux, comme le silicène, sont explorés par les chercheurs pour aider l’informatique à améliorer ses performances.
La puce électronique du futur est sur le point de naître avec, comme ingrédient secret, le graphène. Super-matériau révolutionnaire et objet de nombreux fantasmes, le graphène pourrait ainsi repousser les limites de la , selon laquelle la puissance des ordinateurs est censée croître de manière exponentielle. Or, depuis 2022, certains industriels, comme le dirigeant de Nvidia, considèrent que la loi de Moore ne décrit plus la réalité. Seul le graphène pourrait repousser les limites de la microélectronique, mais sa production, en laboratoire, est laborieuse. Une équipe de chercheurs a trouvé une méthode pour industrialiser la production de graphène et créé une forme modifiée de puce avec ce matériau. Un « défi technique colossal », a indiqué l’équipe composée de personnalités issues de l’institut des matériaux du Georgia Institute of Technology aux États-Unis, de l’institut Néel en France et du Centre international pour les nanoparticules et les nanosystèmes de l’université de Tianjin, en Chine.
Une conductivité 150 fois supérieure au silicium
Cette nouvelle puce en graphène pourrait révolutionner l’industrie des semi-conducteurs. Présentée dans Nature Communications en décembre 2022, la méthode étudiée ambitionne de résoudre les difficultés que pose l’adoption du graphène en remplacement du silicium dans l’industrie des semi-conducteurs. Dans un contexte d’usages toujours plus gourmands en puces et de besoins toujours plus grands et omniprésents en connectivité (télécommunications 5G, Internet des objets, IA, capteurs, etc.), les capacités du silicium atteignent leurs limites. En outre, ce matériau disperse très mal la chaleur générée par le courant électrique, ce qui explique que les appareils, en premier lieu les ordinateurs, chauffent.
Isolé pour la première fois en 2004, le graphène est un nanomatériau dit bidimensionnel (2D) composé de six atomes de carbone et de l’épaisseur d’un atome. Sa conductivité électrique est 150 fois supérieure à celle du silicium. En d’autres termes, il s’agit d’une révolution à venir dans le monde de la microélectronique.
L’enjeu de ces matériaux bidimensionnels réside dans une nouvelle génération de transistors, ultra-réduits en dimension et ultra-rapides, selon Isabelle Berbezier.
« L’enjeu de ces matériaux bidimensionnels réside dans une nouvelle génération de transistors, ultra-réduits en dimension et ultra-rapides. Intégrer le graphène dans un transistor classique pourrait apporter à cet appareil, des propriétés remarquables, estime Isabelle Berbezier, chercheuse à l’Institut Matériaux Microélectronique Nanosciences de Provence (IM2NP), sous tutelle du CNRS, d’Aix-Marseille Université et de l’université de Toulon. Et comme on utilise déjà du carbone dans les transistors, il ne serait pas gênant d’avoir du graphène. »
Un changement de paradigme nécessaire
Le problème est que le graphène a un gros défaut. Dépourvu de ce que l’on appelle la « bande interdite » (ou « gap »), il n’est pas semi-conducteur. Impossible donc d’éteindre ou allumer alternativement un composant électronique pour faire transiter des 0 et des 1, ce qui est le propre du numérique. La fabrication du graphène est également problématique. Il existe plusieurs procédés, mais ils restent très difficiles à intégrer dans une chaîne de production industrielle. Or, pour que de nouveaux matériaux puissent remplacer le silicium des semi-conducteurs, « un changement de paradigme en électronique sera nécessaire, tout en maintenant, autant que possible, les méthodes de fabrication industrielle en vigueur », notent les chercheurs dans leur article de Nature Communications. C’est en cela que leur projet de recherche est prometteur.
Explorer d’autres nanomatériaux ?
En France, l’IM2NP vient de s’emparer du sujet, avec un projet de croissance du graphène déposé sur une couche de germanium pur, celle-ci ayant été obtenue par condensation d’une couche de silicium germanium. « Le graphène repose sur une petite couche de germanium, mais intégré sur silicium, donc directement utilisable pour l’industrie microélectronique », explique Isabelle Berbezier. Une autre tendance de la recherche consiste à se tourner vers d’autres nanomatériaux, comme le silicène. De l’épaisseur d’un atome de silicium, il peut fonctionner comme semi-conducteur en raison de sa structure moins plane que celle du graphène. En juillet 2022, le Massachusetts Institute of Technology dévoilait dans la revue Science ses travaux sur l’arséniure cubique de bore, dont la propriété notable est de pouvoir évacuer dix fois mieux la chaleur que le silicium. « Le meilleur de tous les semi-conducteurs ? », faisait mine de s’interroger le MIT. « Encore des promesses ? », serait-on tenté de répondre…
Exprimée en 1965 par l’ingénieur Gordon E. Moore, un co-fondateur d’Intel, cette « loi » prédit l’évolution de la taille et du prix des microprocesseurs. Elle postule qu’à coût égal, leur complexité double tous les ans. En 1975, Gordon E. Moore précise que c’est le nombre de transistors sur une même surface qui doit doubler tous les deux ans, jusqu’à atteindre l’échelle de tailles des atomes à une date estimée alors à 2015.