« Plus qu’une concurrence entre opérateurs et constructeurs, l’e-SIM permet de développer un véritable cercle vertueux. »
Qu’est-ce que l’e-SIM ? Qu’apporte-t-elle de plus que la carte SIM traditionnelle ? Modifie-t-elle la relation client-opérateur ? Que nous dit-elle des usages mobiles du futur ? A l’occasion du Mobile World Congress, où il est intervenu à ce sujet, Philippe Lucas, Directeur Stratégie, Architecture et Standardisation et Directeur du programme e-SIM au sein de la Division Innovation, Marketing et Technologies d’Orange, a répondu à nos questions.
Qu’est-ce qu’une e-SIM ? En quoi est-elle différente d’une carte SIM traditionnelle ?
Philippe Lucas : Dit très simplement, l’embedded SIM ou e-SIM est une évolution de la carte SIM. Il s’agit bien d’une carte SIM, soudée directement au terminal lors de son assemblage, et donc désormais indissociable du terminal qui l’abrite qu’il soit téléphone, montre, tablette, ordinateur ou objet connecté. Les données de cette e-SIM sont maintenant configurables via un serveur distant.
Qu’est-ce que cela change pour l’utilisateur ? Et pour le constructeur ?
Philippe Lucas : Précédemment, la carte SIM était un élément visible, que le client obtenait auprès de son opérateur en allant en point de vente ou en la recevant par courrier. Cela prenait un certain temps, quand bien même le client avait souscrit à une offre en ligne en quelques minutes. Désormais, ce « temps d’attente » n’a plus lieu d’être, car le constructeur l’intègre directement dans le terminal. Lorsqu’il initialise son nouvel appareil, l’utilisateur doit tout simplement télécharger son profil numérique de sa carte SIM auprès de son opérateur via un accès internet, par exemple wifi.
Coté constructeur, l’e-SIM permet plusieurs types d’améliorations. Comme la carte est soudée, l’étanchéité du terminal est accrue, tant vis-à-vis des liquides que de la poussière. La taille de l’e-SIM est beaucoup plus petite qu’une SIM traditionnelle, sans en changer ses caractéristiques. Il y a donc plus de place disponible, que ce soit pour une batterie supplémentaire ou pour de nouvelles fonctionnalités. Ce qui est au bénéfice de l’utilisateur.
Aujourd’hui, plusieurs constructeurs proposent déjà l’e-SIM dans leurs produits, Samsung, Huawei ou Apple par exemple pour certains modèles de montres connectées.
Quid des opérateurs ? Le constructeur n’intervient-il pas d’une certaine manière en intermédiation entre l’opérateur et le client ?
Philippe Lucas : C’est un discours que l’on a pu entendre, en effet. Cette crainte persistante semble s’estomper au fur et à mesure de l’introduction de l’e-SIM dans l’industrie. Les opérateurs, dont Orange, vont conserver la relation directe avec leurs clients en transformant progressivement les parcours qui finalement ne font que se digitaliser de bout en bout avec l’arrivée de l’e-SIM.
Si on prend un peu de recul, les constructeurs sont là pour améliorer autant que possible leurs produits ou OS pour correspondre aux besoins des clients et que ces derniers leur restent fidèles. Ils cherchent à faciliter la connexion à leur terminaux ce qui leur permettra d’offrir des services à valeur ajoutée sur leurs produits. Concernant la connexion aux réseaux mobiles, les opérateurs restent les acteurs pour l’instant incontournables, je ne crois pas à un revirement soudain de cette approche. Nous devons rester néanmoins vigilants, Orange est l’un des opérateurs les plus actifs sur ce sujet.
Les opérateurs eux se différencient par des expertises spécifiques, la qualité de leur réseau, la connaissance de leurs clients, la richesse de leurs offres et l’expérience particulière qu’ils souhaitent leur apporter… Je pense très sincèrement que nous pouvons et que nous devons transformer ces craintes en opportunités.
C’est-à-dire ?
Philippe Lucas : Au-delà d’accélérer l’activation des terminaux sans aller en point de vente, l’e-SIM porte également de nombreux cas d’usages dans le secteur des objets connectés, qui est en plein essor. Si l’on se projette dans les années à venir, il est clair que le smartphone ne sera plus le seul équipement possédant un forfait de communications. On pense bien sûr aux montres connectées, mais aussi aux caméras de surveillance personnelle ou à d’autres terminaux connectés mobiles ou sans fil, que ce soit dans les domaines de la maison intelligente ou de la santé par exemple. On parle ici d’usages grand public, mais on peut aussi imaginer des usages à l’échelle des entreprises ou de collectivités comme les villes (smart cities par exemple).
Aujourd’hui, l’introduction d’une carte SIM dans les objets connectés en limite le développement. Parcours complexe pour le client, hésitation de ce dernier à connecter de plus en plus d’objets avec des SIM physiques extractibles. Avec l’e-SIM, votre abonnement principal devient en quelque sorte un « pivot » sur lequel vous pouvez ajouter ou supprimer à votre guise de la connectivité en fonction de votre utilisation d’objets connectés, le tout de manière 100 % digitalisée. Les offres des opérateurs évoluent pour favoriser cette multiplication d’objets derrière un même forfait. L’opérateur accroit son rôle de partenaire de confiance dans cette évolution.
Plus qu’une concurrence entre opérateurs et constructeurs, c’est donc plutôt un cercle vertueux qui se développe ! Car qui dit simplification des parcours des utilisateurs dit augmentation du nombre d’objets utilisés. En d’autres termes, l’e-SIM vient accompagner et accélérer le développement de l’Internet des Objets.
Ce cercle vertueux a-t-il été rendu possible par des discussions entre opérateurs et constructeurs ? Les e-SIM que nous retrouvons aujourd’hui sur le marché sont-elles le fruit d’un standard commun ?
Philippe Lucas : Les e-SIM que vous pouvez avoir dans les montres aujourd’hui sont le fruit de plusieurs années de discussions entre opérateurs et constructeurs. Tout est parti d’un constat : nous savions tous qu’il fallait une solution grand public et normalisée pour que cette innovation puisse bénéficier à tous.
C’est tout le sens de la GSM Association, qui nous a permis de co-réaliser ce standard ensemble. Ces travaux au sein de la GSMA ont permis d’aligner les opérateurs et les industriels afin de développer une solution normalisée et à installer une relation de confiance. Je n’irais pas jusqu’à dire que cela a été facile, mais il y avait une véritable volonté de toutes les parties prenantes de collaborer à l’élaboration de ce standard. On peut affirmer que le résultat est à la hauteur des attentes de chacun et du travail fourni !