La langue des signes française lève l’ancre avec Signs@Work

Armor Cup 2023: Signs@Work
Un équipage associant entendants et sourds-signeurs a récemment participé à l’Armor Cup. À cette occasion, les équipiers ont utilisé Signs@Work, un dictionnaire professionnel collaboratif en langue des signes française.

Lors d’une régate, la capacité à bien manœuvrer ensemble, la réactivité et l’aptitude à prendre les bonnes décisions au bon moment font la force d’un équipage. Chaque erreur, chaque hésitation, chaque incompréhension se paye au prix fort. Pour autant, l’esprit de corps peut faire des miracles… Un équipage composé de cinq entendants et de trois sourds-signants a ainsi pris part à l’Armor Cup, une compétition de voile qui rassemble chaque année des salariés du groupe Orange. Organisé en baie de Quiberon, du 16 au 18 juin 2023, le challenge nautique a vu se confronter pas moins de 37 bateaux, dont le Signs@Work, du nom du dictionnaire professionnel collaboratif en langue des signes française (L.S.F.) développé par Orange. Grâce à cette application, les huit équipiers ont pu communiquer afin d’effectuer toutes les manœuvres. « J’ai participé à l’Armor Cup pour au moins deux raisons : c’est un moyen de mettre en pratique Signs@Work, en l’occurrence dans le monde de la voile, mais aussi parce que c’était une aventure sportive et humaine, un défi à relever, confie Nicolas Courte, ingénieur logiciel et développeur principal de l’application iOS Signs@Work. Nous n’avons pas gagné la course, ce qui est secondaire pour nous. Même si nous étions aussi motivés par l’esprit de compétition, et que nous avions envie de gagner cette régate… Nous avons gagné au moins ceci : nous, les équipiers entendants et sourds-signants, avons réussi à communiquer avec les autres membres d’équipage par gestes, ce qui est vraiment innovant. »

Signs@Work

Signs@Work est un dictionnaire participatif. Les utilisateurs, en l’occurrence les salariés d’Orange, peuvent déposer de nouveaux signes sur la plate-forme.

Dictionnaire participatif

Développé afin de faciliter les échanges avec les salariés sourds-signants du groupe Orange, et ainsi encourager leur inclusion lors des réunions et des échanges professionnels, Signs@Work est un dispositif unique en son genre. « La L.S.F. est une langue très riche. Mais pour les termes techniques, comme « gateway », « cloud », « IA », « firewall », « 5G », ou encore « Whatsapp », il faut passer par des néologismes, un peu comme avec le franglais », explique Denis Chêne, chercheur en interaction homme-machine et responsable du programme de recherche Innovation Accessibilité Salariés chez Orange. « Signs@Work est un dictionnaire participatif. Les utilisateurs, en l’occurrence les salariés d’Orange, peuvent déposer de nouveaux signes sur la plate-forme. S’ensuivent des votes, des propositions de variantes… » Autre différence avec un lexique L.S.F. classique : les nouveaux signes sont capturés sous forme de vidéo, soit avec la webcam d’un PC, soit avec la caméra d’un smartphone. Le partage des signes métiers entre utilisateurs s’en trouve facilité. Déposé en Open Source dans le cadre d’Open Source Accessibility initiative (OSAi), Signs@Work a par ailleurs remporté un prix dans la catégorie Inclusion lors des trophées Cas d’Or Digital Responsable 2021.

Vocabulaire spécifique

Du fait de sa conception itérative, Signs@Work évolue au fur et à mesure de l’usage qui en est fait. Originellement conçu pour recenser les termes métiers liés aux télécoms et au digital, le dictionnaire pourrait être utilisé dans d’autres domaines très spécifiques, comme celui du monde nautique, dont le vocabulaire parfois spécifique ne connaissait pas de traduction en LSF. « Quand on manœuvre sur un bateau, encore plus en situation de course, on ne peut pas se tromper. La coordination est essentielle ; tout doit être au millimètre. Il fallait donc inventer, puis améliorer des signes spécifiques, en fonction de l’expérience vécue, précise Denis Chêne. Nous avions stocké pas mal de vocabulaire nautique avant la régate de l’Armor Cup – par exemple : le signe pour désigner la bôme, la longue pièce située en bas de la grand-voile et rattachée au mât. Elle se signe à deux mains. Or, sur le bateau, dans certaines situations on a besoin de ses deux mains. Il a donc fallu repenser le signe à une seule main, l’index servant à désigner le mât et le pouce la bôme. » Autre exemple : border ou larguer les écoutes, qui servent à tendre les voiles. En théorie, les deux signes sont presque identiques – un mouvement du poing fermé vers l’avant ou vers l’arrière. Mais en pratique, sur le bateau, il a très vite fallu trouver une alternative, car il était impossible de les différencier. Pour larguer, on termine donc le geste la main ouverte, tandis que pour border, on finit le poing serré. Tous ces nouveaux signes seront prochainement transmis à la Fédération française de voile, qui ne dispose pas à l’heure actuelle de lexique en L.S.F..
Signs@Work

Extraits de Signs@Work

Cet exemple illustre bien l’approche de conception participative menée au sein du Programme Innovation Accessibilité Salariés. Concevoir un service, une interface, ne se fait pas en deux phases immuables de spécification puis de développement technique. Comme il est impossible d’anticiper complètement l’utilisabilité, il est de fait crucial de toujours considérer l’usage tout au long de la conception. Et lorsque les utilisateurs cibles contribuent de surcroît à la mise en œuvre du service, alors seulement est-on assuré de la réelle utilisabilité de celui-ci. Les avancées technologiques ne s’accomplissent qu’à travers l’usage, sans cela elles restent longtemps des briques techniques réservées aux spécialistes.

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