Pour réussir, les apprenants ont besoin de s’entraider, donc d’échanger avec d’autres apprenants.
Résumé
La formation professionnelle connaît un mouvement de numérisation. Les entreprises y ont recours pour contenir leur budget et accélérer l’acquisition de connaissances nouvelles par leurs salariés. Mais qu’en est-il des « apprenants » ? Orange a étudié le suivi des cours en ligne par des salariés, leurs motivations et les raisons pour lesquelles ils réussissent ou abandonnent en chemin.
L’étude a porté sur un groupe de 20 apprenants, suivant un cours principalement adressé aux acteurs de la formation au sein d’Orange. Leurs motivations étaient très variées : actualiser ses connaissances, acquérir des notions, volonté d’évolution professionnelle… Seuls 10 % des apprenants sont allés jusqu’à la certification finale. Ce faible taux de « succès » est à relativiser. Certains n’avaient pas besoin du certificat final, mais voulaient simplement compléter leur connaissance du sujet ou maîtriser le vocabulaire. D’autres encore ont invoqué le temps consacré au cours, plus long que prévu, ou un agenda chargé.
L’étude fait plusieurs constats. D’abord, arrêter ne veut pas dire abandonner ! Ensuite, le numérique ne remplace pas les contacts en présentiel. Pour réussir, les apprenants ont besoin de s’entraider, donc d’échanger avec d’autres apprenants. Enfin, le dispositif d’apprentissage en ligne doit articuler des dimensions technologiques, pédagogiques et organisationnelles.
Article complet
Comment se former avec le numérique au sein d’une entreprise ?
Les efforts accrus déployés en ce moment pour la numérisation de la formation continue visent, d’une part, à contenir la croissance du budget de formation et, d’autre part, à amener les salariés à acquérir rapidement des compétences pour « innover » plus rapidement… mais, du point de vue des salariés apprenants, que signifie suivre une formation en ligne ?
À partir d’une enquête qualitative auprès des 20 apprenants qui sont allés plus ou moins loin dans le suivi du COOC (Corporate Open Online Courses) « Digital Learning », cet article se propose d’éclairer le sens de leur abandon ou de leur réussite en fonction des contextes particuliers d’activité. Ce COOC qui s’est déroulé sur six semaines au deuxième semestre 2015, s’adressait notamment aux acteurs de la formation d’Orange, mais il a intéressé aussi d’autres acteurs (communication, animation métier…).
Une longue histoire du numérique dans la formation
De l’autoformation au e-learning, en passant par les campus numériques et les espaces numériques de travail (ENT), la plupart des expérimentations se caractérisent par un taux d’abandon important. Cette question de l’abandon a fait l’objet de nombreuses études. Certaines mettent l’accent sur le rôle des enseignants, des tuteurs ou des accompagnateurs. D’autres travaux [1] soulignent le rôle de différents types de collectifs dans le maintien d’une dynamique d’échanges favorables aux apprentissages. Si le lien social importe dans l’apprentissage, c’est aussi parce qu’il favorise l’engagement dans la formation [2]. Dans le même sens, d’autres auteurs [3] soulignent non seulement l’importance des facteurs propres à l’individu (motivation, capital confiance initial) et des facteurs liés au dispositif de formation (modalités de suivi, soutien des enseignants), mais aussi le rôle des pairs dans le soutien socio-affectif.
L’approche par l’« environnement capacitant » appliquée à la formation professionnelle [4][5] montre à quel point les dimensions technologiques, pédagogiques et organisationnelles sont imbriquées, aussi bien pour les apprenants, les formateurs que les ingénieurs de formation (qui conçoivent les formations). Elle souligne que le degré de réussite d’une formation dépend de la manière dont les usages pédagogiques du numérique sont envisagés dans l’organisation plus globale du travail.
De l’importance des contextes individuels, collectifs et organisationnels dans l’apprentissage à distance
Le COOC auquel nous nous sommes intéressés était destiné aux acteurs de la formation d’Orange (formateurs, ingénieurs de formation…) et visait l’enrichissement de leur culture en matière d’usages du numérique dans le cadre de leur métier. Il comportait des supports numériques variés : contenus en ligne, liens vers des textes de référence, vidéos, quiz, forums sociaux. Pour obtenir le badge de certification à la fin du COOC, il fallait valider les six premières semaines au moyen de quiz, puis, lors de la septième semaine, rédiger un mémoire. Moins de 10 % des inscrits sont allés jusqu’à l’obtention de ce badge.
Les motivations pour suivre le COOC
Nous avons classé ces motivations en cinq catégories comme le résume le tableau ci-après.
Une partie des apprenants interviewés se sont inscrits à cette formation, essentiellement pour actualiser leurs connaissances en matière d’utilisation du numérique dans le cadre de leur fonction ou de leur métier. C’est tout particulièrement le cas pour les formateurs et les ingénieurs pédagogiques qui cherchent à se faire une idée de nouveaux outils mobilisables dans leur activité.
D’autres apprenants ont voulu suivre cette formation pour trouver des informations complémentaires, sur des points précis relatifs aux usages du numérique dans une visée pédagogique. Ils assimilent ce temps à un « temps passé en bibliothèque ». Ainsi, pour ces deux catégories d’apprenants, le fait de ne pas valider les sept modules ne correspond pas à un abandon : au contraire, ils manifestent leur volonté d’être acteurs de leurs parcours de formation et de leurs apprentissages, exactement dans l’esprit des MOOC et de ce COOC.
Pour une autre fraction des apprenants, le suivi de cette formation correspond à leur volonté d’acquérir des compétences pour assumer de nouvelles missions, en tant que formateur, mais aussi en tant que responsable de communication.
Certains salariés, notamment de jeunes apprentis, voient dans le suivi de cette formation un moyen de s’intégrer dans un collectif de travail, en apprenant ainsi le vocabulaire et les notions indispensables.
D’autres encore ont décidé de suivre cette formation, précisément parce qu’elle est certifiante et qu’ils pensent pouvoir valoriser cette certification, plus tard, lors d’un entretien de recrutement, voire d’une évolution de carrière. Il s’agit des jeunes apprentis ou de stagiaires, désireux de profiter des opportunités que l’entreprise leur offre pour acquérir des compétences pointues. Le contraste est alors frappant avec le point de vue des salariés plus expérimentés, bien moins convaincus de la valeur d’échange de cette certification en termes de carrière.
Indépendamment de tout enjeu de certification ou de carrière, la perspective de suivre cette formation entièrement à distance et de façon asynchrone constitue une opportunité pour ceux qui sont beaucoup en déplacement pour dispenser des cours en présentiel, ou bien encore, pour ceux dont les tâches d’animation se sont intensifiées. Pour eux, le suivi de ce COOC, hors temps de travail, s’avère le seul moyen pour se tenir au courant des évolutions liées à la digitalisation de l’animation/formation.
Enfin, certains apprenants s’inscrivent à cette formation pour des raisons non professionnelles. C’est le cas des salariés avec des enfants rencontrant des problèmes d’apprentissage, qui cherchent dans le COOC de nouvelles informations pour les aider à dépasser ces difficultés.
Organisation du temps de suivi du COOC
Le temps nécessaire pour réaliser les différentes tâches demandées pour valider chaque module explique aussi le taux d’abandon. Les personnes interviewées ont déclaré avoir consacré au COOC plus de temps (4H en moyenne) que celui initialement prévu par les concepteurs (2H). Le suivi du COOC se heurte aussi à la plus ou moins grande latitude dont disposent les apprenants pour organiser leur temps. Plusieurs apprenants ont réservé des plages dans leur agenda, mais ils ont dû, le plus souvent, les déplacer, voire y renoncer. Certains ont sacrifié une partie de leur temps libre, d’autres ont progressivement pris un tel retard qu’ils ont dû abandonner.
Parmi les professionnels de l’animation (communicants, animateurs de réseau…), éloignés donc de la formation, le suivi de ce dispositif a été parfois perçu par leurs pairs comme du « loisir ». Le « contrôle par les pairs » peut donc s’avérer un frein au suivi du COOC..
La diversité des parcours, des expériences, des fonctions exercées et des contextes organisationnels se traduit par une grande dispersion du temps alloué pour suivre, voire valider les différents modules, un plus ou moins grand empiètement des activités de travail sur l’espace privé et d’inégales capacités à respecter le rythme d’avancement proposé par le COOC.
Toutefois, une partie des salariés, pourtant aussi soumis à des contraintes temporelles, sont parvenus à surmonter ces difficultés et à valider la sixième, voire la septième semaine. Ceci s’explique, selon nous, par la capacité des individus à disposer de soutien auprès d’au moins un autre apprenant. Cela dépend aussi, dans une large mesure, de la possibilité d’échanger en présentiel,, l’essentiel étant qu’ils se soient rencontrés avant le début du COOC.
Dans d’autres cas, le sentiment de décrochage vient d’un manque de sens du suivi de ce COOC par rapport à l’activité des apprenants ou leur parcours professionnel (ex. déficit de reconnaissance de la certification proposée en fin de formation, absence de lien avec des réseaux transverses d’animation métier qui permettraient une déclinaison plus opérationnelle des connaissances dispensées).
L’échange en présentiel, un remède contre l’abandon ?
Tout d’abord, on peut affirmer qu’une partie de ceux qui se sont arrêtés en cours de formation n’ont pas abandonné : ils étaient à la recherche de compléments d’informations et ne souhaitaient pas obtenir de certification. Qu’ils en aient ou non retiré des connaissances, leur but n’était pas d’achever le cursus.
Par ailleurs, ceux qui ont obtenu leur certification, soit avaient eu, préalablement, l’occasion de travailler avec au moins l’un des apprenants (même à distance), soit ont fait connaissance avec d’autres apprenants au démarrage du suivi du COOC et ont échangé avec un pair (par téléphone ou en face-à-face) dans le cadre d’un soutien mutuel. Comme nous l’ont indiqué plusieurs interviewés, la possibilité de trouver du soutien auprès d’un pair dépend largement de la confiance que l’on peut lui accorder. Selon eux, montrer que l’on n’a pas tout compris, en demandant du soutien, c’est s’exposer à un jugement, prendre le risque de s’avouer en défaut de connaissance, ce qui, dans un contexte de compétition interindividuelle, n’est pas sans conséquence.
A contrario, une partie des abandons peut s’expliquer par le fait que les apprenants ne connaissaient aucun collègue sur lequel s’appuyer, en toute confiance, pour demander de l’aide.
L’utilisation des outils numériques mis à leur disposition n’a pas pu compenser l’absence initiale de contacts en présentiel (pour ceux qui ne se connaissaient pas et qui n’ont pas pu participer au séminaire de lancement).
Conclusion
Ces résultats rappellent à quel point les dimensions technologiques, pédagogiques (équilibres entre apprentissages/échanges en présentiel et à distance), mais aussi organisationnelles (reconnaissance de l’utilité du suivi du COOC, soutien des managers en allouant le temps nécessaire à ce suivi et mise en application des connaissances proposées par le COOC, etc.), sont imbriquées. L’éloge du tout à distance entre en tension avec les contraintes organisationnelles, notamment temporelles, dans lesquelles évoluent les salariés. Le fait que des apprenants n’arrivent pas jusqu’à la fin du COOC constitue l’une des manifestations du décalage entre volonté d’accélérer l’efficacité des formations et contextes organisationnels de travail.
L’étude fine de l’abandon ou, plus exactement, de ce qui s’apparente à un abandon, permet également de mettre en évidence la diversité des postures des salariés vis-à-vis des opportunités offertes par les dispositifs de type COOC. Pour une partie d’entre eux, la structure modulaire, le rythme asynchrone et les contenus numériques constituent autant d’opportunités pour accéder à des informations jugées utiles pour leur activité ou leur projet professionnel.
La portée des résultats de cette étude est très large. Elle concerne l’ensemble des dispositifs numériques pour la formation en entreprise : concevoir un tel dispositif revient à penser finement l’articulation entre ses dimensions technologiques, pédagogiques et organisationnelles.
En savoir plus :
MOOC (Massive Online Open Course) : cours en ligne ouverts à tous
COOC (Corporate Online Open Course) : cours en ligne dispensés par une entreprise auprès de ses salariés
SPOC (Small Private Online Course) : cours en ligne dispensés en cercle restreint (nombre d’accès volontairement limité)
[1] Metzger J.-L., « De L’importance des collectifs dans la formation en ligne », Formation emploi, n° 90, 2005.
[2] Molinari G., Poellhuber B., Heutte J., Lavoué E., Sutter Widmer D., Caron P.-A., « L’engagement et la persistance dans les dispositifs de formation en ligne : regards croisés », Distance et Médiation des Savoirs, n°13, 2016.
[3] Dussarps C., « L’abandon en formation à distance – Analyse socioaffective et motivationnelle », Distance et Médiation des Savoirs n°10, 2015.
[4] Boboc A., Metzger J.-L., « La formation professionnelle à distance à la lumière des organisations capacitantes », Distance et Médiation des Savoirs, n°14, 2016.
[5] Boboc A., « Un environnement capacitant pour accompagner la transformation numérique de la formation professionnelle », Interview pour le blog de la plateforme Solerni, juin 2016.
partie 1
partie 2