Jusqu’où accroître la capacité des réseaux ?

Un homme et une femme à côté d'une armoire informatique
La croissance exponentielle de son trafic expose-t-elle l’Internet à un “effondrement catastrophique” (“catastrophic collapse”) ? Nonobstant les limites de capacité de la bande passante, l’innovation technologique devrait permettre de l’éviter.

Selon le rapport annuel publié par l’institut TeleGeography, la capacité totale de la bande passante internationale utilisée par les réseaux mondiaux s’élevait en 2021 à 786 Tbit/s, soit une hausse de 29 %. Ce chiffre constaté chaque année depuis quatre ans correspond à celui de la croissance du trafic Internet mondial sur la même période (hormis l’année 2020, atypique en raison des confinements généralisés).

La capacité totale de transmission devrait continuer sa marche en avant grâce à de nouveaux réseaux de câbles sous-marins et à de nouvelles technologies.

Tendanciellement, selon TeleGeography, la demande mondiale en bande passante devrait continuer à croître au cours des prochaines années, en raison de l’introduction de nouvelles technologies reposant sur l’intelligence artificielle et la réalité virtuelle, très gourmandes en bande passante.

L’offre (la bande passante) risque-t-elle d’atteindre un point de rupture face à la croissance, simultanée, de la demande (trafic Internet) ? La “prophétie” avancée en 2015 par le chercheur britannique Andrew Ellis, selon laquelle un “capacity crunch” (quand l’explosion de la consommation de données dépassera la bande passante disponible) était prévisible à l’horizon 2023, est-elle sur le point de se réaliser ?

Depuis lors, au regard de l’évolution capacitaire des réseaux, les spécialistes sont plus mesurés et plutôt rassurants sur le sujet. Comme le souligne Paul Brodsky, Senior Research Manager à l’institut TeleGeography, “si certaines dorsales de l’Internet sont aujourd’hui en phase de décommissionnement du fait de leur âge avancé, cela ne devrait pas empêcher la capacité totale de transmission internationale de continuer elle aussi sa marche en avant, que ce soit en raison de la mise en service prévue prochainement de nouveaux réseaux de câbles sous-marins à travers le globe ou de l’utilisation de nouvelles technologies d’exploitation du signal”.

Optimiser les câbles et les fibres

Pour faire face à la croissance exponentielle de la demande, la première piste pour accroître l’offre consiste à agir sur le réseau de transport d’information à longue distance d’Internet, à savoir la multitude de câbles sous-marins ou terrestres constitués de fibres optiques, véritable épine dorsale du Web. Les fibres monomodes classiques, actuellement déployées dans les réseaux de transport optiques, arrivent au maximum de leur capacité dont la limite serait autour de 75 Tbit/s par fibre.

Il est cependant possible de multiplier le nombre de câbles et donc de fibres. “Les investissements en la matière ne cessent de croître ; ils avoisinent les 2 milliards d’euros par an”, souligne Paul Brodsky, qui souligne qu’en outre, “toute la capacité des fibres déjà installées n’est pas totalement exploitée”.

Il est également possible d’augmenter la capacité de transport sur une fibre. Dans ce domaine, la recherche a déjà fait des prouesses. Grâce à la technologie du multiplexage en longueurs d’onde (WDM pour Wavelength Division Multiplexing) associée à l’utilisation de l’amplification optique, chaque longueur d’onde optique qui transportait 2,5 Gbit/s en 1990 transporte aujourd’hui 100 Gbit/s.

Nouvelles solutions à l’essai

Bien que le débit potentiel de transmissions optiques sur une fibre ne soit pas infini, les limites du transport optique peuvent encore être repoussées. L’amélioration de ses performances peut se fonder sur diverses solutions techniques : les “modulations d’ordre supérieur”, les amplificateurs Raman distribués, la parallélisation sur N fibres, le multiplexage par division spatiale, les réseaux optiques flexibles, etc. En utilisant notamment des technologies de communications numériques avancées (QAM d’ordre supérieur, filtrage de Nyquist, traitement avancé du signal numérique, codes correcteurs d’erreur, amplification optique), la recherche peut continuer d’améliorer les débits transportés, sans changer les fibres actuellement déployées ni modifier l’architecture actuelle des réseaux de transport.

Les chercheurs travaillent aussi sur de nouveaux supports optiques basés sur l’utilisation de fibres “multicœurs” et/ou “few-mode”. Les premières offrent plusieurs canaux optiques indépendants en parallèle ; les secondes permettent de faire cohabiter plusieurs flux optiques parallèles au sein de la même fibre. Ces technologies sont encore loin d’être matures.

Au-delà des fibres elles-mêmes, d’autres pistes sont à l’étude pour améliorer les performances des technologies de transport physique (fibre optique, radio), réduire la quantité d’information nécessaire pour transmettre une vidéo ou un contenu donné, ou encore optimiser l’emplacement des données en prépositionnant notamment les contenus les plus demandés au plus proche du consommateur, réduisant de ce fait le besoin de transports à longues distances.

La question de la résilience des équipements

La limite physique et technologique du réseau n’est pas le seul angle d’attaque pour répondre au défi de la croissance du trafic, selon Leonardo Linguaglossa, enseignant-chercheur à Télécom Paris au sein de l’équipe Réseaux, Mobilité et Services.

“Les marges de progression pour des connexions de qualité dépendent aussi, et sans doute d’abord, des capacités et performances des équipements que nous utilisons, dont le nombre en 2023 (29,3 milliards) sera trois fois supérieur à celui de la population mondiale. Le problème est celui de la résilience, autrement dit la capacité d’offrir une continuité de service et une résistance aux défaillances.”

Pour l’enseignant-chercheur, les incidents liés à l’essor des usages (surchauffes, pannes, incendies) et les changements de comportements avec l’explosion du télétravail notamment modifient la nature du trafic et peuvent perturber le système. Une augmentation de 61 % du nombre d’interruptions de réseau sur les réseaux des FAI et de 44 % sur ceux des fournisseurs de cloud a ainsi été observée entre février et mars 2020, selon le rapport “Internet Performance Report COVID-19 Impact Edition” de Cisco ThousandEyes.

“La miniaturisation des équipements offre une voie continuelle d’amélioration. Les TV connectées en témoignent, qui sont passées de 2 Mbit/s en SD à 15 à 18 Mbit/s en UHD. Il en est de même pour les smartphones et autres smart watches”, note Leonardo Linguaglossa, “mais tous ces équipements passent à un moment donné par les box des fournisseurs d’accès à Internet qui, elles, sont limitées techniquement. Cela crée de véritables goulots d’étranglement”.

De fait, selon le “Cisco Annual Internet Report (2018–2023) White Paper”, en 2023, seuls 27,4 % des réseaux locaux sans fil (Wireless Local Area Networks) seront équipés de Wi-Fi 6, la dernière norme de réseau sans fil.

Capacité de la bande passante, usages et équipements : c’est donc bien sur tous les fronts que la bataille doit être livrée pour éviter un éventuel “capacity crunch”.

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