- Le travail des professionnels du design artistique des jeux vidéo change considérablement avec l’intelligence artificielle. Les outils d’IA dite générative leur offrent un nouvel espace pour concevoir plus rapidement des contenus sans devoir maîtriser leur aspect technique, grâce à l’usage de prompts.
- Des chercheurs utilisent des technologies IA pour générer automatiquement des terrains, des personnages et même des textures, accélérant considérablement le processus de conception.
- Les technologies d’IA générative font leurs premiers pas dans les studios de jeux vidéo et impacteront l’industrie sur le long terme.
Traduction automatique, joueurs personnalisables à l’infini, scénarios adaptatifs, design voire développements complets des jeux vidéo : l’intelligence artificielle a le potentiel de transformer radicalement l’industrie des jeux vidéo. Les utilisateurs de Club Koala (Play for Fun) et d’autres jeux peuvent désormais personnaliser leurs mondes virtuels grâce à l’IA générative et plus précisément les modèles de diffusion. Les joueurs y génèrent ainsi la musique comme les personnages non-joueurs (PNJ, ou NPC). L’éditeur du jeu explique que les « PNJ fonctionnent de manière autonome, s’adaptant au comportement des joueurs, offrant des quêtes personnalisées et contribuant à des récits complexes ». Ce qui est nouveau dans le domaine, c’est la génération de scénario uniques : « En incorporant un aspect attrayant, le pan-dialogue, l’analyse de texte et une arborescence de comportement NPC IA, le jeu génère un scénario unique, reflétant la créativité individuelle des joueurs. »
Rogerio Tavares, docteur en informatique à l’Institut Polytechnique de Bragance (Portugal), précise que « Les jeux vidéo ont toujours utilisé des IA [ici utilisée dans une acception plus large que celle utilisée habituellement de nos jours NDLR] pour effectuer des calculs. Par exemple, dans Pac-Man, l’IA était utilisée pour générer les mouvements des monstres. Aujourd’hui, les modèles sont plus avancés et peuvent réagir aux actions des joueurs. C’est similaire à une partie d’échecs où l’IA calcule de nombreuses probabilités, voire prédit les actions du joueur ». Le chercheur a notamment publié un article intitulé « Review and analysis of research on Video Games and Artificial Intelligence: a look back and a step forward » dans la revue Procedia Computer Science, dans lequel il recense toutes les méthodes d’IA utilisées dans la conception de jeux vidéo.
Certaines techniques permettent aux artistes de modifier des prompts, mais pas nécessairement d’en avoir un contrôle précis.
Le Deep Learning au service de mondes ouverts
Pour l’heure, des studios comme Ubisoft s’appuient sur des travaux comme ceux d’Éric Guérin, docteur en informatique spécialisé en synthèse d’image et maître de conférences à l’INSA Lyon. Il explique que « quand on crée un monde ouvert de plusieurs dizaines de km², on doit être précis à 50 cm près. Cela représente une quantité énorme de données, d’où la nécessité de proposer des algorithmes capables d’aider les artistes dans la conception ». Pour lui, il est important de concevoir des outils qui laissent un contrôle important aux artistes dans la conception des jeux. « S’ils ne peuvent plus être artistes, ils n’ont plus d’existence, or, certaines techniques qui existent aujourd’hui leur permettent de modifier des , mais pas nécessairement d’avoir un contrôle précis. » Et tout ne repose pas essentiellement sur l’IA générative : « Il y a des outils issus du deep learning, et donc qui exploitent des données, mais il y a d’autres technologies qui existent depuis longtemps et qui se basent uniquement sur des algorithmes. »
Générer de la végétation automatiquement
Spécialiste de la conception de mondes virtuels, Éric Guérin travaille sur des technologies qui permettent de générer des terrains automatiquement en laissant la possibilité au concepteur d’indiquer où seront les rivières, falaises et lignes de crête. « C’est un modèle de diffusion 2D qui permet à l’artiste de choisir les caractéristiques d’un environnement et de les déplacer. » Pour concevoir un tel outil, un entraînement est nécessaire : « On prend un terrain existant, par exemple tiré de bases de données de cartes de l’IGN ou de la Nasa, et on va tenter de les annoter automatiquement, ce qui permet ensuite de générer de nouveaux terrains. » Il est également possible de générer de la végétation grâce à des conditional Generative Adversarial Networks (cGANS) (une méthode d’entraînement précise) : « On va déterminer si les zones sont denses ou peu denses en végétation grâce à de l’annotation automatique. Le but est ainsi de permettre au designer de générer des hauteurs de canopée, et d’associer également un algorithme qui permet de planter des arbres qui respectent la hauteur. »
…et des personnages en quelques clics
Au Portugal, Rogerio Tavares explique utiliser Stable Diffusion, un outil d’IA générative qui permet de créer des images, pour concevoir des personnages de jeu. « J’ai entraîné Stable Diffusion à dessiner comme moi pour produire des vues supplémentaires des personnages. J’ai conçu le premier personnage et si, en temps normal, il me faudrait une journée pour créer une vue supplémentaire, le processus est désormais bien plus rapide. » Mais pour la modélisation 3D, le design demande une expertise plus poussée. Le chercheur utilise un outil open source nommé Blender qui intègre désormais des plug-ins qui utilisent l’IA. « Ils permettent de générer facilement une texture sur un personnage tandis qu’avant je devais soit la créer, soit en trouver une sur Internet. » En combinant des techniques de génération d’environnements, de personnages et de scénarios avec l’expertise artistique, les designers et artistes à l’origine de la conception graphique de jeux vidéo trouvent désormais des outils facilitant et accélérant leur travail. Ils disposent ainsi d’un champ artistique plus vaste sans pour autant maîtriser l’apprentissage automatique sur le bout des doigts.
Un prompt désigne une instruction informatique, notamment une instruction envoyée à un outil d’intelligence artificielle spécialisée dans la génération de contenu (intelligence artificielle générative). Il peut s’agir de texte, d’image ou de musique.