• Outre le fait que ces professionnels mettent du temps à adopter des technologies, ils ne sont pas égaux face aux innovations, qui pourraient surtout profiter à une partie d’entre eux, en zone urbaine.
• Il est donc essentiel de sensibiliser les étudiants dans ces disciplines aux enjeux de l’IA et à son fonctionnement, et de développer des outils en mettant la priorité sur l’expérience utilisateur.
Dans l’architecture comme dans l’urbanisme, aligner une vision esthétique avec des contraintes techniques et réglementaires est de tout temps l’un des plus grands défis de ces professions. Pour l’heure, rares sont les outils d’intelligence artificielle qui promettent des solutions automatisées capables de répondre à la complexité des projets, mais les professionnels en perçoivent déjà le potentiel. Néanmoins, « il y a une bonne dose de scepticisme à l’égard des outils d’IA chez les architectes », rapporte Phillip Bernstein, doyen associé et professeur adjoint à l’université d’architecture de Yale. L’ancien vice-président de l’éditeur de logiciels Autodesk rappelle à ce titre que l’adoption de la technologie dans les métiers d’architecture est souvent lente, et qu’il est encore tôt pour savoir comment l’IA va être utilisée par les architectes. « Elle peut nous aider à trouver des solutions pour améliorer les performances des bâtiments, mais les architectes ont tendance à travailler avec des ressources très limitées en termes de temps et d’argent. »
Les urbanistes ont un très faible niveau de connaissance en méthodes analytiques et en intelligence artificielle
Libérer du temps sur des tâches fastidieuses
En d’autres termes, des fonctions d’optimisation peuvent quant à elle être réalisées automatiquement, ce qui permet de libérer du temps aux professionnels. « Ce qui est important à noter est la capacité de l’IA à rationaliser les flux d’informations dans l’industrie de la construction », note Phillip Bernstein. Et d’ajouter que « les tâches de production routinières pour concevoir un bâtiment qui sont techniques et ennuyantes pourraient à l’avenir être automatisées ». Par exemple, si un hôpital à construire compte 700 portes, il faut définir pour chacune un nombre important de données. « Il faut savoir si elles s’ouvrent à gauche, à droite, si elles disposent d’un indice de résistance au feu, quel est le cadre, quel est le matériau d’encadrement, doivent-elles se verrouiller… » Idem pour le sol et le plafond qui doivent s’adapter à chaque porte. « Pour s’assurer que les choses soient bien coordonnées, il est relativement simple d’entraîner une IA pour le faire plutôt que de demander à un junior de passer sa semaine sur les portes. » À chaque problème, sa solution.
Des solutions technologiques face à des compétences hétérogènes
Certaines start-up qui éditent des solutions pour les architectes y croient. C’est le cas de cove.tool qui estime que « les détails les plus fastidieux de la conception peuvent désormais être résolus par l’IA, de la planification initiale d’un projet à la construction, en passant par le traitement des données et la gestion des installations ». Si la réalité dans la profession est encore loin de cette promesse, l’American Institute of Architects estime que 90% des cabinets d’architecture anticipent un usage croissant de l’IA au cours des trois prochaines années. « L’adoption de ces innovations sera incrémentale », estime Thomas Sanchez, enseignant en urbanisme à l’Institut polytechnique et université d’État de Virginie (Virginia Tech). Le chercheur a réalisé une étude auprès de 30.000 urbanistes et leur a demandé leur avis sur les outils d’IA. « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas forcément que les jeunes qui sont enthousiastes et les seniors qui sont réfractaires, c’est un mélange. » L’étude indique par ailleurs que les urbanistes ont un très faible niveau de connaissance en méthodes analytiques et en intelligence artificielle. Son article précise par ailleurs qu’en matière d’usage des technologies dans ces métiers, « un fossé numérique urbain-rural pourrait donc se creuser au fil du temps, ce qui aurait un impact négatif sur les activités de planification en dehors des zones urbaines ».
Priorité à la formation et à l’expérience utilisateur
L’urgence pour l’heure est de sensibiliser les jeunes professionnels. « Il faut donner à ces personnes la possibilité de réfléchir aux implications de ces outils dans la pratique, car dans trois ans, lorsqu’ils auront été disponibles depuis un an ou deux, cela fera la différence », souligne Phillip Bernstein. Co-auteur d’un livre blanc publié par l’ONU Habitat intitulé « AI & Cities: Risks, Applications and Governance », Shin Koseki, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’université de Montréal, indique qu’il faut considérer l’IA comme on a considéré l’informatique par le passé. « C’est très difficile de dire spécifiquement quel projet a bénéficié de l’informatique les 30 dernières années. » Pour lui, le succès de l’IA dépend de son intégration dans les outils métiers. « Quand un outil est bien intégré, on ne le voit plus. L’outil va juste nous aider à prévenir des problèmes et à optimiser des détails techniques comme l’enveloppe d’un bâtiment ou la configuration des espaces. » En d’autres termes, les architectes et urbanistes seraient prêts à saisir l’opportunité de l’IA, à condition de ne pas en avoir pleinement conscience.
Sources :
Machine Learning : Architecture in the age of Artificial Intelligence (Phillip Bernstein)
Sanchez, Thomas W., Hannah Shumway, Trey Gordner, and Theo C. Lim. 2022. The Prospects of Artificial Intelligence in Urban Planning. International Journal of Urban Sciences, https://doi.org/10.1080/12265934.2022.2102538