« De par sa taille et la simplicité de son activation digitale, l’eSIM permettra d’augmenter la connectivité pour des objets jusque-là non connectés au réseau cellulaire »
Qu’est-ce que l’eSIM et qu’est-ce que cela change par rapport à la carte SIM ?
Christine Lemoine. Une eSIM, pour « embedded SIM », reste une carte SIM. Le client doit toujours souscrire un abonnement auprès d’un opérateur. Il bénéficie toujours des services avancés et de la portabilité du numéro. Il est joignable sur un numéro unique et les contraintes légales restent les mêmes concernant l’identité des clients.
Les changements interviennent au niveau de la distribution de la carte puisque l’eSIM est soudée à tout objet connecté, y compris à terme aux smartphones. Si l’opérateur gère toujours le réseau et donc la connectivité, il ne distribue plus lui-même la carte. Le fabricant de mobile achète le composant eSIM à un encarteur (Gemalto, G&D, Idemia ex-Oberthur).
L’opérateur doit, en parallèle, utiliser une plateforme de téléchargement de profils que ces mêmes encarteurs proposent principalement en mode « cloud ». Ces encarteurs ont bâti des usines numériques sécurisées de production et téléchargement de profils pour les opérateurs.
De par sa taille et la simplicité de son activation digitale, l’eSIM permettra d’augmenter la connectivité pour des objets jusque-là non connectés au réseau cellulaire comme les tablettes, les montres…
Comment cela se passe-t-il techniquement ?
Christine Lemoine. Le profil opérateur n’est plus inséré en usine dans une carte SIM physique avant d’être distribué, il est téléchargé à distance par le client. La configuration de la carte se fait en quelques secondes après la souscription du client. Un profil lui est envoyé via une plateforme et l’opérateur a les moyens de faire le lien entre le profil et le compte mobile du client. Le système d’information de l’opérateur récupère des informations de la plateforme comme la confirmation de la bonne installation d’un profil et sur quelle carte.
Ce dernier peut installer plusieurs « profils opérateur » sur une même carte eSIM mais un seul profil à la fois peut être actif, les autres sont désactivés. Un profil ne se copie pas, ne se transfère pas. A chaque changement de terminal, le client devra déclencher une nouvelle procédure de demande de profil.
Conséquence : l’eSIM renforce la digitalisation du parcours client avec notamment la possibilité pour lui de ne plus avoir à se déplacer en boutique et de ne plus devoir manipuler des cartes SIM physiques. Il pourra activer son terminal eSIM acheté en boutique physique Orange comme ce sera le cas pour la montre Léo de Huawei en Espagne très prochainement ou de décider de le faire ultérieurement via des outils en ligne ou via l’application.
Plusieurs constructeurs proposent déjà l’eSIM dans leurs produits. Elle n’est donc plus fournie par les opérateurs. Comment Orange se prépare à son arrivée ?
Christine Lemoine. La GSM Association (GSMA), qui regroupe à la fois des opérateurs mobiles mais aussi des industriels (une quarantaine des principaux opérateurs mobiles, des constructeurs de terminaux mais aussi des encarteurs) a su faciliter un travail collaboratif et a permis d’installer une relation de confiance entre ces parties prenantes pour permettre la définition de standards communs.
Orange s’est fortement impliqué dans ce groupe de travail pour assurer l’émergence d’un standard conforme aux besoins des opérateurs et maintenir la relation directe avec ses clients. Une solution normalisée a ainsi pu voir le jour.
Quelles ont été les étapes de cette normalisation au sein de la GSMA ?
Christine Lemoine. Le processus de standardisation a été une réussite immédiate avec la publication au bout de six mois, en décembre 2015, de la première phase de normalisation avec la rédaction d’un document définissant les interfaces et les mesures de sécurité permettant de charger à distance les profils opérateurs sur les eSIM. Il faut dire que la GSMA a pu reprendre une partie des éléments déjà définis pour le marché « machine to machine », standard lancé deux ans auparavant. Cette publication a permis la commercialisation par un certain nombre de pays de la montre Gear S2 de Samsung intégrant une « embedded SIM ».
Au cours de la deuxième phase, les opérateurs ont su proposer des parcours digitaux de bout en bout et généraliser l’eSIM aux terminaux grand public, comme par exemple, les montres connectées. C’est aussi à ce moment-là qu’Apple, qui avait lancé une version de l’eSIM non standard, l’Apple SIM, quelques mois avant, a rejoint la GSMA. Des acteurs de plus en plus nombreux, de longs débats sur certaines fonctionnalités nécessitant parfois l’intervention des juristes, des points de vue divergents selon les pays… Dix-huit mois de travail ont été nécessaires avant de passer à la troisième phase.
Cette dernière, démarrée mi-2017, est marquée par l’arrivée de Google au sein du groupe de travail de la GSMA. L’objectif est de travailler ensemble sur les fonctionnalités « Entreprise », la gestion de profil par les opérateurs (SAV) et surtout d’optimiser les parcours digitaux. En effet, l’activation de l’eSIM d’un smartphone, d’une tablette… avec un profil opérateur, pourra se faire très simplement en utilisant une application type Orange et moi, téléchargée préalablement.
Quel est l’impact de l’eSIM sur les opérateurs ?
Christine Lemoine. Outre l’arrêt de la partie logistique avec la fabrication, la livraison et le stockage des cartes, les opérateurs doivent faire évoluer et de manière structurante leur système d’information (SI) en intégrant le processus de chargement de leur profil en temps réel sur l’eSIM du client. Le SI de l’opérateur doit en plus s’interfacer avec celui des encarteurs, garant de la sécurité et de la validité des profils téléchargés.
Trois possibilités ont été imaginées pour télécharger son profil :
Premier cas : l’opérateur fournit un bon d’activation sous le format d’un QR code affiché dans une application, sur le portail ou sur un voucher que le client scanne depuis le terminal à activer. Il contient l’adresse de la plateforme de l’opérateur ainsi qu’un un code et il peut ainsi recevoir son profil.
Deuxième cas : le client peut récupérer un profil en transmettant l’EID, carte d’identité de la carte eSIM, complémentaire à l’IMEI (International Mobile Equipment Identity), qui identifie le mobile. Une connexion s’établit ensuite entre le terminal et la plateforme via un Discovery Serveur (DS). L’envoi du profil est automatique après que le client ait confirmé son accord. Ce parcours est particulièrement intéressant pour les cas où la souscription se fait en amont de l’installation du terminal et parfois par deux personnes différentes (payeur du contrat mobile / utilisateur du terminal).
Enfin, troisième cas : le client utilise l’application « Orange et moi » pour confirmer le besoin d’une connectivité sur ce terminal et reçoit directement son profil.
Pour permettre ces différents processus, Orange a dû investir dans une plateforme de gestion « SIM digitales », fournie par la société G&D. Tous les pays Orange peuvent s’y raccorder car elle a été calibrée au plus près de leurs contraintes opérationnelles et de leur business. L’Espagne par exemple, lancera la montre Huawei Léo en utilisant cette nouvelle plateforme.
Quelles sont les prochaines étapes du déploiement de l’eSIM ?
Christine Lemoine. En trois ans, les opérateurs et les industriels ont réussi à s’entendre en travaillant ensemble sur le fonctionnement de l’eSIM sur le marché des terminaux personnels (smartphone, tablette, montre, PC…) avec deux versions du standard publiées qui ont permis les premiers lancements de terminaux secondaires sur le marché. En parallèle de la troisième publication du standard, prévue cette année, l’étape suivante consistera à s’assurer que les standards communs soient bien respectés, quelles que soient les spécificités à venir des constructeurs. Livrer un profil aux clients doit être identique quel que soit le terminal.
Pour rester conforme à ces standards, il sera certainement impératif de procéder à la certification de la carte SIM mais aussi à celle du fonctionnement du terminal. Les débats sur ce sujet sont toujours en cours. Sans ces processus de certification, l’opérateur pourrait ne pas commercialiser des produits non conformes à ces standards de normalisation.
D’ici 2030, nous estimons que 100 % des terminaux seront équipés d’une eSIM. Cette généralisation sera lente car l’adoption du standard entraîne d’importantes modifications des processus internes pour la majorité des opérateurs et un renouvellement des terminaux pour les constructeurs, en commençant par les smartphones, qui sont très attendus.