“Global Forest Watch, actualisé au quotidien, recense les éléments du couvert forestier mondial.” “L’intelligence artificielle peut distinguer le son de la déforestation dans une zone protégée.”
Cet été, le monde entier assistait avec effroi aux milliers d’incendies qui, cette année encore, ravageaient la forêt amazonienne. Or les forêts sont des écosystèmes particuliers : ce sont des puits de carbone, c’est-à-dire qu’elles stockent le dioxyde de carbone hors de l’atmosphère ; leur destruction participe au dérèglement climatique. Pour lutter contre ce phénomène et protéger l’environnement, les gouvernements, les associations, les scientifiques et les communautés locales s’appuient de plus en plus sur les progrès de la technologie. Plus particulièrement, voici comment l’imagerie satellite, l’intelligence artificielle et les drones sont déployés dans des luttes environnementales.
L’imagerie satellite : des yeux dans le ciel
Combinée avec d’autres sources d’information (données recueillies sur le terrain, photographies aériennes, etc.), l’imagerie satellite permet d’analyser l’évolution des forêts, de détecter les changements survenus dans une zone particulière et sur une période donnée, et, “in fine”, de déterminer le taux de déforestation mondial. Elle permet également d’évaluer la biomasse (la matière vivante présente dans un milieu naturel) et éventuellement d’identifier des espèces invasives ou de révéler l’impact de certaines activités humaines.
Global Forest Watch (GFW) permet d’accéder gratuitement à des informations en quasi-temps réel sur la situation des forêts. C’est l’un des outils les plus complets, précis et actualisés de suivi du couvert forestier mondial.
GFW compile des données de différents partenaires : la NASA fournit les images satellitaires ; Google met à disposition ses solutions de cartographie, de cloud et d’apprentissage automatique ; l’université du Maryland développe des algorithmes pour déterminer la diminution du couvert forestier. Les utilisateurs, enfin, peuvent contribuer à la plateforme en fournissant des données complémentaires, en participant aux blogs et discussions de groupe et en intervenant dans l’évaluation et la validation des observations satellitaires.
GFW a démontré plusieurs fois son utilité. La plateforme a par exemple fourni données et analyses lors de la crise de la brume sèche en Asie du Sud-Est en 2015, permettant aux autorités indonésiennes d’identifier les entreprises responsables d’incendies ayant provoqué cette pollution de l’air. Des firmes multinationales l’utilisent pour contrôler leur chaîne d’approvisionnement (de meubles ou de produits alimentaires) et s’assurer qu’elle répond à leur engagement “zéro déforestation”.
GFW est utilisé dans le cadre d’initiatives locales (par exemple de cartographie participative) et a des applications spécifiques, comme GFW Fires pour surveiller et lutter contre les feux de forêt.
L’imagerie satellite n’est pas seulement utilisée pour surveiller les forêts. Elle contribue aussi à la sauvegarde des espèces animales. Par exemple, la télédétection par satellite fournit d’importantes données sur la faune, tandis que les systèmes de localisation GPS permettent de suivre différentes espèces. Elle est également utilisée pour la gestion des ressources naturelles, l’aménagement durable des territoires, etc.
L’IA à l’écoute de la forêt et de ses habitants
La déforestation illégale possède son propre bruit, surtout dans une zone protégée : celui des tronçonneuses et des véhicules tout-terrain non autorisés se frayant un passage dans la végétation. Couvert par les sons de la forêt, ce bruit passe parfois inaperçu. Or, l’intelligence artificielle peut distinguer dans une piste audio le son d’un abattage en cours. Elle rejoint la panoplie des techniques que des autorités locales et des peuples indigènes peuvent déployer contre la déforestation.
Fondé par l’ingénieur américain Topher White, Rainforest Connection donne des oreilles à la forêt tropicale grâce à de vieux téléphones portables recyclés. Installé sur les arbres, le dispositif RFCx est composé d’un mobile équipé de microphones qui captent les sons ambiants jusqu’à 1 km à la ronde. Un système de panneaux solaires, fabriqué lui aussi à partir de matériaux recyclés, alimente l’appareil.
Même principe chez Outland Analytics, qui a développé un périphérique utilisant des algorithmes de reconnaissance audio – formés avec des centaines d’heures d’enregistrements de terrain et des données publiques – pour détecter les signes avant-coureurs d’une déforestation. Un seul appareil peut surveiller jusqu’à 90 acres (environ 36 hectares) de forêt.
Une fois collectés, les signaux sonores sont analysés en temps réel à l’aide de TensorFlow, l’outil d’apprentissage automatique open source développé par Google. Lorsque le bruit d’un moteur est reconnu, le dispositif, connecté au réseau cellulaire, transmet une alerte à un serveur qui envoie un e-mail et un SMS aux gardes forestiers.
Par rapport à l’imagerie satellite, cette technique a l’avantage de donner aux autorités une information presque instantanée sur de vastes étendues de forêt, leur permettant de réduire leurs temps de réponse.
L’IA peut aussi servir à protéger les animaux menacés, dans les forêts et les autres écosystèmes, en contribuant à la lutte contre le braconnage ou à la classification biologique. Le système de Topher White est par exemple utilisé pour “reconnaître des modèles d’activité liés au braconnage”. Parmi les projets AI for Earth de Microsoft, Wild Me vise à stimuler la recherche sur les animaux sauvages grâce à la vision par ordinateur.
Des drones semeurs
Plusieurs projets de reboisement ambitieux sont en cours à travers le monde. Mais planter des millions d’arbres à la main est une opération pour le moins laborieuse. Plusieurs entreprises ont donc développé, pour semer des paquets de graines, des drones présentant certains avantages (rapidité, coût) sur les méthodes traditionnelles. L’usage de l’apprentissage automatique permet d’évaluer les conditions du sol, identifier les sites de plantation appropriés, surveiller la croissance des plantes, etc., en privilégiant les espèces natives. La start-up BioCarbon Engineering, par exemple, collabore avec la Worldview International Foundation, une organisation à but non lucratif basée au Myanmar (ex-Birmanie), sur un projet pilote de restauration de forêts de mangroves dégradées.
Les drones survolent d’abord la zone concernée pour la cartographier, recueillant des données pouvant être combinées avec des données satellitaires et analysées pour déterminer les meilleurs emplacements pour planter les graines. Ils lancent ensuite des capsules biodégradables, remplies de graines germées et d’éléments nutritifs. En théorie, dix drones pilotés par deux opérateurs permettraient de semer 400 000 graines d’arbres par jour. La Worldview International Foundation, qui travaille également avec des agriculteurs indiens pour restaurer les forêts en montagne, souhaite utiliser ces mêmes drones dans ces zones, après avoir prouvé que la technique peut fonctionner à plus grande échelle au Myanmar.
La start-up américaine DroneSeed, qui opère dans l’ouest des États-Unis, s’intéresse quant à elle plus particulièrement aux projets de plantation d’arbres après un incendie à l’aide d’essaims de drones équipés de caméras multispectrales, d’un lidar* haut de gamme, de réservoirs et de mécanismes de dispersion. Les drones parcourent et cartographient la zone brûlée, permettent l’identification des endroits où les arbres poussent le mieux et déploient des paquets de semences et d’éléments nutritifs.
Meilleure gestion des ressources naturelles, suivi du couvert forestier et des espèces vivantes grâce à l’imagerie satellite ; surveillance du déboisement illégal et protection des animaux grâce à l’apprentissage automatique ; reforestation par les drones… Les nouvelles technologies offrent des possibilités inédites pour contribuer à la préservation de nos écosystèmes.
* Alternative au radar utilisant la lumière réfléchie d’un laser.