● L’efficacité des robots sociaux supposerait de moins tenter d’imiter l’humain, mais de créer des espaces de réflexivité collective. Il ne s’agit pas seulement de réfléchir ensemble, mais de s’interroger sur la manière dont le groupe pense, agit et interagit.
● Les robots sociaux pourraient être co-conçus avec leurs usagers, et ainsi permettre de cartographier leurs besoins, les connecter entre eux, et documenter leurs réalités.
Le vieillissement de la population et la croissance des maladies chroniques placent les aidants au cœur d’un système de soin tendu. Les robots sociaux – des robots qui tiennent compagnie et soutiennent les humains – pourraient incarner une solution potentielle pour accompagner les aidants. C’est ce que laisse entendre une étude menée par des chercheurs de l’Université de Cambridge, qui explore comment des interactions avec un robot comme Pepper peuvent atténuer la détresse des aidants. On apprend que ces derniers, après dix sessions avec un robot social, déclarent une amélioration de leur humeur, une réduction de leur sentiment de solitude, et une meilleure acceptation de leur rôle. Ces résultats reposent toutefois sur une conception individualiste du care : le robot est présenté comme un outil pour aider chaque aidant à mieux « gérer » son stress, mais « il n’existe aucune remise en question des conditions structurelles de leur isolement », déplore Céline Borelle, sociologue chez Orange. La chercheuse pointe du doigt une approche techno-solutionniste qui occulte la dimension politique du problème : « La question fondamentale de savoir pourquoi les aidants manquent de soutien moral et matériel et se retrouvent dans une telle situation d’isolement est invisibilisée. »
Plutôt que de chercher à imiter l’humain, les robots pourraient être des catalyseurs de réflexivité collective, c’est-à-dire qu’il est nécessaire de s’interroger sur le mode de fonctionnement des groupes.
La question de l’anthropomorphisme
L’étude suggère que plus un robot ressemble à un humain, plus il est efficace. « Dire qu’on « s’expose » à un robot social n’est pourtant pas approprié. On transpose du vocabulaire qu’on utilise habituellement pour les interactions humaines » note Céline Borelle. Selon la chercheuse, « l’efficacité ne réside pas nécessairement dans le perfectionnement du simulacre au point de favoriser l’illusion qu’on est face à un être aussi compétent qu’un humain ». Elle rappelle les travaux de l’anthropologue Agnès Giard sur les « amours artificielles » au Japon, et comment certaines entreprises, comme la firme Gatebox qui fabrique des épouses holographiques, conçoivent des êtres volontairement incompétents en sous-exploitant de manière intentionnelle la technologie. Dans cette logique, « l’idée serait de jouer sur la distance ontologique pour ouvrir un espace d’interaction différent, où les personnes peuvent expérimenter, tenter autre chose », note Céline Borelle. En d’autres termes, plutôt que de chercher à imiter l’humain, les robots pourraient être des catalyseurs de réflexivité collective. Par exemple, un robot, au lieu de répondre comme un thérapeute, pourrait poser des questions ouvertes sur l’expérience du care, puis agréger ces récits anonymement pour les partager avec d’autres aidants ou des décideurs publics. Il deviendrait alors un médiateur entre l’individuel et le collectif, transformant des souffrances privées en revendications publiques.
Vers une autre conception des robots sociaux
Si l’étude montre que les aidants s’ouvrent progressivement au robot, Céline Borelle y voit une opportunité, mais aussi une limite : « Ces outils permettent une forme de réflexivité, mais dans une logique très individualiste, dans un rapport de soi à soi-même comme avec un journal intime. » La sociologue s’interroge : « Comment penser des robots sociaux qui pourraient venir équiper des formes de réflexivité collective et remettre de l’altérité dans ce monologue intérieur ? » Cela implique a fortiori d’étudier des usages réels de robot, comment les personnes interagissent effectivement avec ces artefacts. La chercheuse rappelle le manque d’études menées en contexte « naturel » et pas uniquement expérimental. Il s’agit également d’associer les aidants ou autres usagers à la conception pour qu’ils soient co-créateurs de solutions et pour mesurer l’impact des robots sur les solidarités déjà existantes. En d’autres termes, d’appréhender si les robots sociaux renforcent les liens ou les affaiblissent. Ainsi, l’usage des robots pourrait être repensé autour du collectif : pour mieux cartographier les besoins des aidants et identifier des solutions, connecter les aidants entre eux via des plateformes sécurisées et enfin pour documenter leurs expériences.