IoT, véhicule autonome ou encore biomimétisme, les innovations au service de la smart city de demain.
Les innovations théoriques ou en cours de test
Entre non souhaitable et indispensable, la question de la livraison du dernier kilomètre grâce aux véhicules autonomes divise
Après avoir annoncé son concept « EZ-GO », un VTC autonome pour le transport de personnes qui devrait être prêt d’ici 2022, Renault a développé l’idée « EZ-PRO ». Si elle prend forme, ce serait d’ici 2030. Ce concept a pour objectif de traiter les problématiques liées à la livraison du dernier kilomètre au client final ‒ encombrement des espaces de circulation, limitation des accès et tranches horaires de livraisons, réglementation des poids et tailles des véhicules de livraison, etc. ‒ auxquelles sont confrontés les e-commerçants et entreprises de transport. Ce dernier remplacerait les utilitaires et leurs chauffeurs, et serait utilisé et partagé par différentes entreprises afin d’optimiser son remplissage et ses déplacement. Ce véhicule mutualisé serait composé d’un « pod leader », c’est-à-dire d’un espace dédié à un concierge qui traiterait toutes les opérations administratives liées à la supervision et à la planification des livraisons et des itinéraires. La deuxième partie du véhicule serait composée de « robots-pods », des conteneurs de 12 m3 sur roues, ayant une capacité de 2 tonnes, capables de se déplacer de manière autonome vers des points de livraison.
Catherine Ramus : Si cette « idée » représente peut-être une possibilité pour les e-commerçants de mutualiser leurs frais de logistique, où se trouve la valeur ajoutée pour l’usager ? Je me demande ce que cela changera pour lui. Par ailleurs, on perd la notion de contact humain entre le livreur et le destinataire, ce qui n’est pas un objectif souhaitable.
Emmanuel Routier : Cette innovation a une réelle valeur ajoutée pour l’usager, car cela permet d’améliorer, ou au moins de stabiliser les performances de livraison. Avec l’évolution « exponentielle » de l’e-commerce, cela est indispensable. Cela offre aussi la possibilité de faire baisser les coûts de livraison habituellement facturés à l’utilisateur final. Et enfin, cela permet aussi de désengorger le trafic routier, ce qui entraîne des livraisons plus « propres » (avec moins d’émissions de carbone), et donc une meilleure qualité de vie.
La notion de contact humain est en effet perdue, mais c’est déjà le cas aujourd’hui puisque la plupart des livraisons se font durant la journée et les colis sont laissés en points relais.
Hyperloop : les futurs déplacements se feront-ils à 1 200 km/h ?
L’Hyperloop est un projet de recherche industrielle, lancé en 2013 par Elon Musk. Depuis 2016, plusieurs entreprises travaillent sur le développement de cette technologie : Hyperloop One, Transpod, et Hyperloop Transportation Technologies.
Hyperloop Transportation Technologies travaille à la construction d’un réseau de transport à très grande vitesse. Il s’agit de construire des trains à sustentation magnétique, constitués de capsules pressurisées – fabriquées avec un nouveau métal baptisé « Vibranium » (inspiré de l’univers des comics Marvel), et mesurant 32 m de long et 15 m de large –, qui pourraient transporter des passagers à la vitesse de 1 200 km/h. Il serait ainsi possible de se rendre de Paris à Toulouse en 40 min, ou à Amsterdam en 30 min. Pour y parvenir, la start-up américaine a développé une technologie de pointe utilisant un système de lévitation avec des pompes à vide, ou encore des batteries et des composites intelligents. Toulouse a été sélectionnée en 2017 pour accueillir le centre R&D européen de l’entreprise et la piste d’essai composée de tubes, qui doit permettre de tester les capsules supersoniques d’Hyperloopp TT, sont actuellement en cours d’assemblage sur le site de Francazal. La première maquette en taille réelle de la capsule, appelée « Quintero One », a été acheminée de El Puerto de Santa María en Espagne où elle a été fabriquée.
Catherine Ramus : L’utilisateur a-t-il besoin de se rendre de Paris à Toulouse en 40 min ? Cette innovation cherche à maximiser la rentabilité des moyens de transport, mais pas nécessairement à répondre aux besoins des usagers.
Emmanuel Routier : Le taux de remplissage des navettes aériennes effectuant actuellement ce parcours prouve que de nombreux voyageurs pourraient bénéficier de cette innovation. Elle permettra de profiter de la qualité de vie toulousaine tout en travaillant à Paris ; de ne plus pâtir des inconvénients liés au voyage aérien comme celui de devoir se rendre à l’aéroport (qui est toujours excentré des villes) ; de faciliter l’embarquement (bien qu’il le soit déjà pour les navettes) ; et aussi de réduire le bilan carbone des voyageurs concernés.
Les innovations en cours d’expérimentation
Le biomimétisme pourrait permettre d’éclairer sans électricité
La start-up française Glowee développe depuis trois ans un système de bioéclairage sans consommation d’électricité, grâce à une réaction chimique naturelle d’organismes vivants (notamment certaines lucioles ou algues) : la bioluminescence. Il s’agit, pour cette innovation, de s’inspirer du fonctionnement de la nature afin de développer un éclairage urbain sans pollution et à très faible impact environnemental. Car la lumière en ville est source de plusieurs problèmes, notamment celui de l’éclairage artificiel nocturne qui est susceptible de perturber les écosystèmes de la faune et de la flore, mais aussi la santé humaine. Aujourd’hui, la solution de Glowee est utilisée lors d’événements et comme lumière apaisante dans des espaces de relaxation. À terme, la start-up ambitionne de développer des solutions qui permettront de révolutionner l’éclairage public.
Le biomimétisme pourrait dépolluer l’air urbain
Pour répondre aux problèmes grandissants de la pollution de l’air en ville, la start-up Fermentalg, en partenariat avec Suez, a lancé une solution test de puits de carbone à Paris. Il s’agit d’exploiter le dispositif de la photosynthèse des végétaux qui fixe le gaz carbonique de l’air et le transforme en dioxygène. C’est ce qui est actuellement expérimenté depuis le début de l’année dans une colonne Morris remplie d’eau, donc de microalgues, située place Victor-et-Hélène-Basch dans le 14e arrondissement de Paris. Ce carrefour où circulent plus de 72 000 véhicules par jour est en effet fortement pollué. L’air purifié par les microalgues que contient la colonne Morris est ensuite expulsé vers l’extérieur. Ce système devrait permettre de fixer une tonne de CO2 par an, ce qui équivaut à l’absorption habituellement réalisée par cent arbres.
Catherine Ramus : Le biomimétisme est un champ d’études du design qui est très intéressant. Utiliser le fonctionnement de la nature pour trouver des solutions est exactement en adéquation avec la nécessité de réduire les consommations d’énergie et de résoudre les problèmes de pollution. Ces innovations sont réalistes, efficaces, utiles, et en plus, elles sont très économiques. Il est évident que la smart city de demain en a besoin.
Le robot voiturier du futur arrive dans les parkings publics
Stan, le voiturier développé par la start-up Stanley Robotics, a déjà presque dépassé la phase de test puisqu’il devrait sillonner dans quelques semaines les allées du parking de l’aéroport Lyon-Saint Exupéry. Il fait gagner du temps aux voyageurs cherchant une place de stationnement, et surtout, il permet d’optimiser la place disponible et donc de maximiser la rentabilité des gestionnaires de parcs de stationnement. Concrètement, le conducteur dépose son véhicule à l’entrée du parking dans un box sécurisé, Stan déploie ses bras sous la voiture, la soulève, la gare et la rapporte au box au retour de son propriétaire. La start-up affirme que son robot permet de stocker en moyenne 50 % de véhicules supplémentaires par rapport à un espace de stationnement ne bénéficiant pas de son service de robot voiturier.
Catherine Ramus : Je ne suis pas sûre que les individus accepteront de faire confiance à un robot pour s’occuper de leur voiture. Et surtout, cette optimisation marchande de l’espace s’inscrit dans un objectif de rentabilité pour les gestionnaires de parcs de stationnement, mais pas de confort pour les usagers.
Emmanuel Routier : Je vois des bénéfices évidents à cette innovation. Elle facilite le fait de se garer, car les conducteurs n’ont plus besoin de chercher une place et de manœuvrer (les places étant de plus en plus petites), et gagnent du temps à l’arrivée et au départ.
Les innovations déployées
Bientôt la fin du temps perdu à trouver des places de parking grâce au stationnement intelligent ?
La start-up espagnole Urbiotica tire profit de la technologie de l’Internet des objets (IoT) pour développer des systèmes de capteurs sans fil afin de fournir des solutions de stationnement intelligent. Une vingtaine de villes dans le monde les ont adoptés, à l’instar de Burlington au Canada. Elle a en effet déployé un système de stationnement intelligent composé de plus de 400 capteurs dans les rues et parkings du centre-ville afin de mieux comprendre le comportement des automobilistes, les heures de pointe, les temps de stationnement, les flux d’entrée et de sortie, et, à terme, d’ajuster sa politique de circulation urbaine et de proposer des outils de guidage vers des places libres aux automobilistes. La ville de Nice avait adopté la solution et installé 4 500 capteurs sur des places du centre-ville en 2014 avant de l’abandonner pour raisons financières (preuve s’il en est que le modèle est peut-être encore perfectible), mais le dispositif avait néanmoins permis de réduire le trafic lié à la recherche de places d’environ 25 %, grâce notamment au guidage vers les emplacements libres.
Catherine Ramus : Cette innovation place l’humain au cœur du service proposé. Il permet au conducteur d’être autonome, de comprendre et de connaître son environnement, et sur cette base, de pouvoir décider par lui-même. En cela, cette innovation est très positive en termes d’usage, il faut l’encourager.
Le smart lighting ou comment faire des économies grâce à l’IoT
Citeos, marque de Vinci Energies, a développé des solutions pour permettre aux villes de s’adapter aux usages des habitants pour faire des économies en matière d’éclairage public. Grâce à des lampadaires connectés et un système automatisé via des capteurs de présence, l’éclairage se déclenche en fonction de la détection de véhicules et de piétons, et est renforcé aux endroits à faible visibilité. La start-up est pionnière en matière d’équipements urbains – capteurs, détecteurs, caméras – capables de communiquer avec leur environnement et d’en optimiser le fonctionnement. Ils permettent de fluidifier la circulation ou encore de faciliter le stationnement. À Chartres, l’installation de 17 luminaires intelligents a entraîné une réduction de la consommation d’électricité de 65 %. Et à Bakio en Espagne, 1 400 lampadaires connectés ont permis de réaliser 82 % d’économie d’énergie. Citeos travaille aussi à développer des technologies embarquées qui permettront d’informer les usagers en temps réel via des panneaux d’information.
Catherine Ramus : En utilisant l’existant (les lampadaires) et en l’optimisant, on permet de réaliser de réels progrès en matière d’éclairage public et d’économies d’énergie. Le smart lighting devrait faire partie de toutes les politiques d’éclairage public. Et pour y parvenir, il faudrait faciliter, c’est-à-dire rendre économiquement accessible, la mise en réseau de tous les équipements afin de généraliser cette pratique à toutes les villes.
L’IoT pourrait permettre d’automatiser la gestion des déchets
Avec l’augmentation de la population urbaine se développent de nouvelles problématiques de la gestion des déchets. Il s’agit en effet de réduire les émissions de gaz à effet de serre provoquées par les camions de collecte, de limiter les engorgements qu’ils créent lors de leur passage, et aussi d’éviter les problèmes d’insalubrité. De nombreuses initiatives ont vu le jour pour y répondre. Aux États-Unis, plusieurs villes (Philadelphie, San Diego, Los Angeles, New York ou Chicago) utilisent Bigbelly, un bac de collecte connecté à un cloud, fonctionnant à l’énergie solaire et envoyant aux entreprises en charge de la collecte des informations sur le remplissage. En France, des villes comme Tours, Orléans, Chinon et Colombes utilisent Sigrenea, qui équipe les conteneurs de sondes de télémesure, ou offre la possibilité aux citoyens de signaler des déchets présents hors du bac afin d’optimiser la collecte et éviter les débordements. Selon la start-up, ce système permet de faire baisser de 15 à 30 % le coût de la collecte de déchets. D’autres PME françaises ont lancé des solutions similaires, telles que Cybeel ou Green Creative.
Catherine Ramus : La mise en réseau des objets permet d’expliciter les états des matériels publics, ici les bacs de collecte de déchets. C’est extrêmement utile pour optimiser la gestion des déchets des villes. Cela favorise une meilleure qualité de vie des usagers.
Catherine Ramus : Pour conclure, on peut catégoriser les innovations pour les smart cities en deux catégories. Celles qui ont pour objectif la rentabilisation et la performance. Souvent, ces innovations utilisent la technologie de la robotisation et transforment l’humain en objet. C’est-à-dire qu’elles le privent de son libre arbitre et le dépossèdent de certaines responsabilités. Cela entraîne aussi parfois une déshumanisation des rapports humains, et ce n’est pas l’idée que je me fais de la smart city de demain. Et il y a celles qui sont au service de l’humain. C’est celles-ci qui doivent être encouragées et développées. Car elles permettent aux individus de mieux vivre ensemble, en harmonie, et de collaborer à un monde meilleur. C’est de cette manière que l’on peut imaginer un monde optimiste, dont chacun se sent responsable
1 – Banque Mondiale, Développement urbain, vue d’ensemble, 03/2018