Les drones aériens sont devenus un outil essentiel pour de nombreuses entreprises souhaitant inspecter une infrastructure, surveiller un site industriel ou encore établir des modélisations 3D. Mais les services de connectivité disponibles aujourd’hui posent de sérieuses contraintes opérationnelles, limitant du même coup la croissance de ce nouveau marché.
Des drones 4G/5G, mais pourquoi faire ?
Aujourd’hui, les missions de drones ne sont généralement pas intégrées dans les processus business et opérationnels du client final ayant requis ces missions. Les données collectées doivent être souvent manuellement transférées vers le SI pour être analysées, impliquant parfois un délai de plusieurs jours entre un vol de drone et la validation de son bon déroulement.
L’automatisation des missions de drones pourrait transformer les façons de travailler et apporter des gains de temps et de productivité considérables
L’automatisation des missions de drones pourrait transformer les façons de travailler et apporter des gains de temps et de productivité considérables : planification d’opérations occasionnelles ou de vols de routine, décollage sans intervention humaine depuis un vertiport, collecte des données et analyse en (quasi-) temps réel par des algorithmes d’intelligence artificielle, enfin prise de décision. Par exemple, un drone effectue une mission de surveillance dans un port et transmet des flux vidéo HD. Si une intrusion ou une anomalie est détectée, une alerte est déclenchée au centre de contrôle et un pilote reprend le drone en pilotage manuel à distance pour une levée de doute. Au besoin, une équipe de sécurité est dépêchée sur place.
D’autre part, la portée réduite des technologies utilisées aujourd’hui pour établir une liaison (directe) entre le pilote et son drone, ajoutée à l’obligation d’avoir un pilote humain à proximité immédiate du drone, ferme la porte à de nombreuses possibilités. Imaginez donc devoir inspecter plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de lignes à haute tension avec un pilote suivant son drone à moins de 300m ! L’autorisation des vols dit « BVLoS » (Beyond Visual Line of Sight, au-delà de la ligne de vue du pilote) permettrait alors de piloter un drone depuis un centre de contrôle à distance.
L’automatisation des missions et les vols BVLoS impliquent tous deux un service de connectivité de bout en bout, via une infrastructure réseau, entre le drone et le SI de l’utilisateur final et entre le drone et son pilote (potentiellement distant). Connecter les drones en 4G / 5G est donc perçu comme essentiel pour l’émergence de nouvelles opportunités de marché, mais en quoi est-ce si différent des services offerts pour d’autres secteurs d’activités, comme la santé, les transports, l’énergie ou l’industrie 4.0 ?
Une qualité de signal identique au sol comme dans l’air ?
Le lien UE-station de base pour un drone n’a que peu de similitudes avec celui d’un UE terrestre, comme les smartphones. Avant tout, l’espace aérien constitue un environnement radio nouveau. En altitude, un drone ne subit plus les atténuations dues aux arbres ou aux bâtiments, et « voit » à peu près tout, stations de bases ou smartphones, parfois jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. A l’inverse, les antennes pointent vers le sol, le réseau ayant été initialement conçu pour des usages terrestres. Suivant cette logique, certaines études théoriques, basées sur des simulations, ont prévu une connectivité en altitude très aléatoire : un drone ne serait potentiellement pas couvert par le lobe principal des antennes, mais plutôt par des lobes secondaires, ou serait servi par des stations de base très éloignées, impliquant une très forte augmentation du nombre de handovers le long de sa trajectoire. Cependant, nos premières expérimentations ont montré que, tout au contraire, les performances étaient bien meilleures en altitude et ce, sans même changer l’infrastructure au sol déjà déployée. Mais rien encore ne permet de généraliser.
Fig : 1 Simulation d’Ericsson modélisant la couverture d’un UE à différentes altitudes [1]
Perspectives de recherche : Cette divergence des résultats appelle ainsi à collecter plus de données pour évaluer l’état réel des performances en aérien et pose bien d’autres questions. Quelles sont les configurations réseaux permettant des performances adéquates pour les drones ? Quelles sont celles nécessitant une extension de couverture cellulaire ou la mise en place de connectivité alternative (cellulaire… ou satellite) ? Que signifient, pour un drone à 120m de haut, les classifications conventionnelles d’environnement urbain, rural ou semi-urbain ? Comment adapter les modèles de propagation radio dont nous disposons ? Autant de challenges que nous commençons à investiguer à Orange Innovation.
Fig : 2 Mesures de connectivité lors du Démo Day [2], en partenariat avec AERACCESS
Des engagements particuliers pour un opérateur de réseaux mobiles ?
Parce que les flux de données d’un drone sont majoritairement uplink (du drone vers Internet), un drone est susceptible de générer plus d’interférences qu’un UE terrestre. Mais son altitude a également des répercussions sur le profil de ces interférences. Si offrir une connectivité adéquate est nécessaire pour intégrer en toute sécurité les drones dans l’espace aérien, il est également essentiel pour un opérateur de réseaux mobiles d’intégrer les drones dans l’espace terrestre, c’est-à-dire de garantir que les drones n’impacteront pas les performances des services au sol utilisant les mêmes bandes de fréquences, comme les smartphones, ou des fréquences adjacentes, comme la radioastronomie, certains services satellites (FSS-ES : fixed satellite service earth stations), les radars militaires ou les stations météo.
Dans cette optique, les autorités de régulation du spectre et organismes associés (incluant l’ANFR, l’ARCEP et l’ECC-CEPT) ont émis de nouvelles recommandations sur l’usage du spectre cellulaire en aérien. En particulier, de nouvelles limites d’émission hors-bande, différentes des limites appliquées aux UE terrestres, ont été proposées pour les drones et la notion de « no-transmit zone » a été définie, en écho aux « no-fly zones » des autorités aériennes. Il s’agit ici d’espaces aériens où l’usage certaines bandes de fréquences est limité, en fonction l’altitude des drones. Par exemple, une « no-transmit zone » est recommandée [2] autour des stations de radioastronomie pour un drone volant au-dessus de 30m de haut et utilisant la bande 700MHz. Plus d’études sont nécessaires pour la bande 3.5GHz et les décisions ECC ont été reportées. En effet, les recommandations actuelles se révèlent complexes à implémenter.
Perspectives de recherche : De telles restrictions, s’appliquant tantôt au fabricant de drone, tantôt à l’opérateur de réseaux mobiles, posent là encore de nouveaux défis pour la recherche. En effet, quels nouveaux mécanismes développer pour implémenter ces « no-transmit » zones ? Comment un opérateur de réseau peut-il suivre la position et l’altitude du drone pour connaître les bandes de fréquences interdites ? Comment assurer une gestion dynamique des ressources et sélectionner les bandes de fréquences appropriées ? Comment distinguer un drone d’un utilisateur terrestre pour appliquer de telles mesures de manière ciblée? Mais aussi, d’une manière plus générale, comment prendre en compte les drones non-coopératifs, c’est-à-dire non identifiés en tant que drones, mais pouvant impacter les UE terrestres ?
Quel rôle spécifique pour les opérateurs de réseaux dans l’écosystème drone ?
Les drones d’inspection ou de surveillance embarquent des caméras ou des capteurs pouvant générer un volume de données conséquent. Assurer la connectivité pour ces données, dite « payload », est essentiel mais cela ne représentent que la partie visible de l’iceberg !
En effet, la démocratisation rapide des drones et la multiplication des demandes pour des vols BVLoS ont conduit les autorités aériennes à réfléchir à de nouvelles règlementations, devant progressivement entrer en vigueur dès 2023. Chaque drone dépassant un certain poids et/ou présentant des risques opérationnels (par exemple, survolant une zone peuplée) devra transmettre de façon continue tout un ensemble de données de vol, dites « non-payload », incluant son identification, sa position, sa télémétrie, etc., vers son pilote (humain ou machine, distant ou non) et vers une plateforme de gestion numérique du trafic aérien. Un tel système de gestion, nommé U-Space, permettra notamment à plusieurs opérateurs de drones de partager le même espace aérien en toute sécurité.
Ainsi, même un drone de livraison complètement autonome, avec une trajectoire préprogrammée, devra bénéficier d’un certain niveau de connectivité pendant son vol. Ces données « non-payload » représentent généralement un très faible débit, de l’ordre du kilobit par seconde (ou du mégabit par seconde si elles incluent une vidéo basse qualité pour un pilotage manuel à distance). Cependant, les contraintes de disponibilité sont fortes. Selon les conditions de vol, une déconnexion de quelques secondes ou quelques minutes peut signifier, au mieux, le déclenchement d’une procédure d’urgence (ouverture d’un parachute ou retour à la base), au pire, la perte ou le crash du drone. Certains scénarios futurs à haut risque, comme les taxis-drones, présenteront vraisemblablement des contraintes beaucoup plus fortes, pouvant aller jusqu’à l’URLLC (ultra-reliable low latency communications).
De telles missions verront très certainement l’obtention des autorisations de vol conditionnée par l’existence service de connectivité approprié pour ces données non-payload. Pour simplifier : sans une telle connectivité, le drone restera cloué au sol. Le rôle à jouer par un opérateur de réseaux mobiles va donc bien au-delà des modèles traditionnels. Les services qu’il pourra offrir constituent donc bel et bien une des clés permettant la croissance du marché des drones.
Dans cette perspective, de nombreux acteurs de l’écosystème drones ont sollicité la mise en place d’un système permettant de minimiser les risques de déconnexion. Un tel système aurait pour but de prédire la couverture perçue par un drone au moment de la planification de son vol et de la quantifier en temps réel pendant sa mission. Les premières réalisations se sont basées sur la simple évaluation de la qualité de signal radio (notamment via le RSRP), mais cela n’apporte que peu d’information sur la qualité d’expérience de bout en bout pour le pilotage du drone (qu’il soit manuel ou automatique) et reste décorrélé des besoins opérationnels. Que signifie donc « être couvert » pour minimiser les risques aériens ?
Perspectives de recherche : Comme nous l’avons vu plus haut, évaluer l’état réel de la qualité de service dans l’espace aérien est fondamental. Cependant, cela ne suffit pas pour aboutir à une notion de couverture qui ait un sens pratique et opérationnel pour les utilisateurs de drones et les autorités aériennes. Connecter le drone et son pilote est une chose, mais développer des services de connectivité de bout en bout supportant la gestion du trafic aérien offre des opportunités bien plus vastes. Les opérateurs disposent d’un volume considérable de données pouvant bénéficier aux dronistes et aux autorités aériennes. Par exemple, un nombre élevé d’utilisateurs connectés sur une station de base n’est-il pas aussi un indicateur d’une plus forte densité de population, et donc d’un risque accru du point de vue de l’aviation ? Il s’agit donc ici de trier, évaluer et « traduire » les indicateurs de performance réseau porteurs de valeur pour les usages de drones. Et trouver les clés de cette interprétation passe avant tout par une coopération active entre les deux écosystèmes, telco et aviation.
L’identification de ces indicateurs de performance clé, mais aussi la mise en place d’un système de prédiction et de suivi de la connectivité d’un drone le long de sa trajectoire sont déjà des défis technologiques, faisant appel à toute la puissance des algorithmes d’intelligence artificielle.
Mais un tel système est aussi un défi en termes de souveraineté numérique. Il est en effet question de données souvent stratégiques et confidentielles, comme des identifiants de drones ou de clients finaux, des plans de vols, des configurations de réseau ou sa charge au moment du vol. Évaluer si un drone bénéficiera d’une bonne couverture et donc, décider si sa mission peut être autorisée ou non, pourrait impliquer l’échange de certaines de ces données entre acteurs tierces, tantôt en partenariat, tantôt en concurrence. Plusieurs groupes de travail nationaux et internationaux, en lien avec les instances de normalisation des télécommunications et de l’aviation, ont donc été créés pour définir l’architecture générale pouvant faciliter de tels échanges. En un mot, bien plus que de l’ingénierie radio !
En bref…
Les missions de drones 4G / 5G constituent désormais une composante essentielle pour de nombreux métiers de l’industrie, de la santé, des smart cities ou de l’agriculture. Si leur automatisation et leur intégration aux autres opérations présentent des similitudes avec le développement d’autres services 4G / 5G par un opérateur de réseaux mobiles, la connectivité aérienne des drones offrent des perspectives de recherche totalement nouvelles. Il s’agit avant tout d’évaluer les performances en altitude de réseaux initialement conçus pour des usages au sol et de comprendre dans quelle mesure, et sous quelles conditions, ceux-ci peuvent intégrer ces nouveaux usages aériens. L’acquisition d’un tel savoir-faire permet alors une prise de décision éclairée sur les scénarios à cibler, sur les services à développer et, d’une manière générale, sur la stratégie à adopter pour aborder ce nouveau marché prometteur. Ne pas prendre part aux réglementations en cours, et ne pas échanger sur ce qui peut ou ne peut pas être réalisé (tant du point de vue technique que business), constitue un risque sur notre capacité à répondre à ce futur marché.
Sources :
– Xingqin Lin, Richard Wiren, Sebastian Euler, Arvi Sadam, Helka-Liina Maattanen, Siva D. Muruganathan, Shiwei Gao, Y.-P. Eric Wang, Juhani Kauppi, Zhenhua Zou, and Vijaya Yajnanarayana, « Mobile Networks Connected Drones: Field Trials, Simulations, and Design Insights », IEEE Vehicular Technology Magazine 14.3 (2019): 115-125.
– Démo Day – Hub Drones Systematics, https://www.linkedin.com/posts/hub-drones-systematic_cedif-activity-6978365077921947649-5YBz
– CEPT-ECC report 309
– https://cdn.nouma.fr/partials/www.marches-publics.gouv.fr/url/478650/DSNA%20Reglement%20Defi%20innovation%20U%20space%20V1.0.pdf
– Aerial Connectivity Joint Activity (ACJA) : cette initiative de la GSMA et GUTMA (Global Unmanned Traffic Management Association) a pour but de faciliter la coopération entre l’aviation et l’industrie de téléphonie mobile et de synchroniser les efforts de standardisation dans chacune de ces communautés pour éviter toute incompatibilité. https://www.gsma.com/iot/aerial-connectivity-joint-activity/
– GSMA Drone Interest Group – Deep Dive #1 – How cellular networks are capable to handle the UAV layer, https://www.gsma.com/iot/resources/gsma-drone-interest-group-deep-dive-1-how-cellular-networks-are-capable-to-handle-the-uav-layer/
– Projet européen 5G !Drones : https://5gdrones.eu/
– Projet européen SESAR GoF2 : https://gof2.eu/
– Hub Drones Systematic : https://systematic-paris-region.org/hubs-enjeux/hub-drones/
– Morinant : plateforme de collecte de données de qualité de signal radio
– Décision ECC et Consultation publique sur l’usage des bandes du cellulaire pour les drones: https://cept.org/ecc/tools-and-services/ecc-consultation
– Atelier des fréquences ANFR : « Drones et réseaux mobiles : enjeux fréquences et perspectives », https://landings.comm.anfr.fr/5d5158ee11ce625db951b005/Q8JZ-N4VSBOzLsMzqnwxkw/landing.html