Capteurs et IA veillent à la bonne santé des ponts

Les innovations en matière d’instrumentation, d’analyse de données et d’intelligence artificielle offrent un potentiel important pour la surveillance et l’entretien des infrastructures, en complément des méthodes traditionnelles d’inspections visuelles. Illustration avec les ponts.

Le maintien en bon état des ponts, points névralgiques des réseaux routiers, représente un enjeu majeur de sécurité et de disponibilité pour les usagers. La tâche est titanesque. Rien qu’en France, il existe 200.000 à 250.000 ponts routiers, dont 10% au moins (25.000) seraient “en mauvais état structurel”, selon un rapport d’information du Sénat.

Les ponts, et les ouvrages d’art en général (tunnels, barrages, etc.), sont soumis à un processus de vieillissement normal, lié aux conditions environnementales, en particulier l’action de l’eau et de l’air, et aux conditions d’usage, notamment l’intensité du trafic routier.

L’intégration de données crowdsourcées dans les plans de maintenance des ponts pourrait permettre d’augmenter la durée de vie des structures neuves de 30%.

Aujourd’hui, l’évaluation de leur état repose principalement sur l’inspection visuelle, une méthode que les experts jugent insuffisante car elle ne permet pas de détecter toutes les pathologies, ou défauts, qui apparaissent et se développent à l’intérieur de la structure. Elle est par ailleurs subjective et fastidieuse, puisqu’elle nécessite d’analyser un grand nombre de photographies à l’œil nu.

Les dernières innovations en matière d’instrumentation, d’analyse de données et d’intelligence artificielle (IA) offrent un potentiel important pour assurer la surveillance des ouvrages d’art. Elles doivent permettre de détecter et de mesurer plus facilement les défaillances, de mieux les comprendre et même d’anticiper leur évolution dans le temps afin de mieux planifier les travaux de rénovation ou de réparation. La promesse est de réduire les coûts de maintenance tout en augmentant la longévité et la disponibilité des ponts.

Predictive maintenance

Surveillance crowdsourcée

La surveillance de l’état des ponts s’appuie sur deux méthodes principales : les inspections visuelles, menées sur le terrain par des ingénieurs pour détecter d’éventuelles fissures et dégradations, et le recueil de données physiques (données d’accélération, par exemple) par des réseaux de capteurs installés sur ou à l’intérieur des ouvrages.

Cette dernière méthode, baptisée “surveillance de la santé des structures” (SHM pour Structural Health Monitoring), offre plusieurs avantages par rapport aux inspections visuelles, mais son coût encore trop élevé constitue une importante barrière à son adoption.

Une équipe de chercheurs américains espère introduire une troisième méthode de collecte de données, plus simple et moins coûteuse, tirant parti des accéléromètres présents dans nos smartphones, dans des véhicules en mouvement, pour le suivi du comportement dynamique des ponts.

“Une étude récente a montré que deux capteurs mobiles seulement produisent des informations SHM comparables à 240 capteurs statiques”, soulignent les chercheurs, qui décrivent leurs travaux dans une étude publiée en novembre 2022 dans la revue “Communications Engineering”.

Lors de tests menés sur la traversée du Golden Gate Bridge de San Francisco (États-Unis) et d’un petit pont autoroutier en Italie, ils ont recueilli des données fournies par des particuliers et des conducteurs de VTC. En parallèle, ils ont développé une méthode d’analyse leur permettant d’étudier les propriétés dynamiques des ponts, c’est-à-dire les fréquences de résonance et les modes structuraux.

L’équipe de recherche estime que l’intégration de données crowdsourcées (ou “ridesourcées”, pour les données provenant de trajets en taxi) dans les plans de maintenance des ponts pourrait permettre d’augmenter la durée de vie des structures neuves de 30 % en aidant les équipes à intervenir plus rapidement et de façon plus ciblée.

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Des rapports d’inspection plus fiables et rapides avec la vision par ordinateur

Conscient du potentiel des nouvelles technologies pour la préservation du patrimoine des ouvrages d’art, le gouvernement français a lancé l’appel à projets “Ponts connectés”, piloté par le Cerema (établissement public accompagnant l’État et les collectivités pour l’élaboration de politiques publiques d’aménagement et de transport), dans le cadre du plan France Relance. Ce dispositif a pour objectif de soutenir le développement de solutions innovantes, efficaces et économiques, pour la gestion des ponts.

Le projet SOFIA (Surveillance des Ouvrages d’art Fondée sur l’Intelligence Artificielle) mené par SOCOTEC, un groupe spécialisé dans le conseil en maîtrise des risques, en partenariat avec le CEA-List – un institut de la direction de la Recherche technologique du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), spécialisé dans les systèmes numériques intelligents – fait partie des lauréats. Il vise à doter l’inspecteur d’un outil “intelligent” de recueil et d’analyse des défauts d’ouvrages. Cet outil s’appuie sur des algorithmes de vision par ordinateur développés par le CEA-List pour détecter et caractériser automatiquement les défauts photographiés par l’inspecteur sur site.

Grâce à un apprentissage automatique effectué à partir d’une base de données de SOCOTEC (comportant 100.000 photographies extraites de 2.500 rapports d’inspection et caractérisant 250 types de défauts), le dispositif guide l’expert dans la saisie des informations et lui propose une note d’état des éléments inspectés.

D’après le CEA-List : “L’objectif final est d’améliorer le degré de fiabilité des évaluations de l’état des ouvrages d’art en produisant des rapports d’inspection plus homogènes et enrichis de l’expérience des inspections passées. L’outil proposé permettra de faciliter, fiabiliser et accélérer le travail des inspecteurs sans transformer la manière de conduire une visite d’inspection visuelle.”

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Augmenter la durée de vie des ponts grâce à la maintenance prédictive 

En exploitant le big data, l’IA permet également d’envisager la mise en place de démarches de maintenance prédictive. Cette approche consiste à prédire l’état futur d’un ouvrage en s’appuyant sur l’ensemble des informations disponibles sur celui-ci grâce à l’intégration de données hétérogènes dans une base de données. Elle permet de planifier les interventions et de hiérarchiser les actions à mener sur une installation sans attendre le franchissement d’un seuil de détérioration dangereux, et parfois sans même interrompre son exploitation.

C’est la piste explorée par VSL, société spécialisée dans la construction, la maintenance et la réparation des structures en béton précontraint et haubanées. En effet, cette filiale de Bouygues Construction évalue le potentiel de l’IA pour la maintenance des ponts, en capitalisant sur des sources de données – internes et externes – existantes : rapports d’inspection, photographies, résultats d’essais non destructifs, caractéristiques générales des ponts, bases de données nationales, etc.

Encore au stade de la recherche, le projet doit déboucher sur le développement de deux algorithmes :

  • Un premier algorithme capable d’interpréter ces données et de détecter des dégradations sur les ponts.
  • Un deuxième algorithme prédictif, capable d’évaluer le risque que présente une détérioration et de prévoir son évolution future afin d’orienter les travaux de rénovation ou de réparation.

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