• Une équipe de scientifiques de l’Université de Birmingham a développé des méthodes innovantes, dont un outil de machine learning transparent, pour étudier ces dynamiques complexes.
• Leurs résultats révèlent des impacts insoupçonnés et ouvrent la voie à une meilleure gestion des écosystèmes.
Les écosystèmes d’eau douce, en particulier les lacs, sont soumis à des pressions croissantes dues aux activités humaines, telles que la pollution chimique et les changements d’utilisation des terres. « Ces perturbations affectent la biodiversité aquatique. Cependant, comprendre les mécanismes précis qui sous-tendent ces changements reste un défi complexe », explique Dr Niamh Eastwood, chercheuse au Centre de recherche sur l’environnement et la justice de l’Université de Birmingham, au Royaume-Uni. Avec une équipe de chercheurs et à partir d’échantillons de l’Agence de l’environnement du Royaume-Uni, elle a utilisé des méthodes innovantes basées sur l’ADN environnemental (ADNe) et l’intelligence artificielle (IA) pour étudier ces dynamiques. Leur objectif ? Surveiller les changements de biodiversité, identifier les facteurs responsables et, à l’avenir, prédire les impacts futurs afin d’éclairer les décisions politiques.
Cette approche offre une vision plus complète et objective de la biodiversité, en identifiant des milliers d’espèces à partir d’échantillons d’eau ou de sédiments
Une approche novatrice : ADNe et IA
Traditionnellement, la biodiversité est quantifiée par des observations directes au microscope, bien que cela signifie que seules les espèces qui laissent des traces visibles peuvent être détectées. L’ADN permet de quantifier non seulement la présence ou absence, mais aussi l’abondance relative de communautés entières, et pas seulement des espèces qui laissent des traces. « Cette approche offre une vision plus complète et objective de la biodiversité, en identifiant des milliers d’espèces à partir d’échantillons d’eau ou de sédiments », souligne Luisa Orsini, professeure de biologie et spécialiste des systèmes évolutifs. Analyser l’ensemble de ces données demande des outils puissants inexistants à ce jour.
En collaboration avec Jiarui Zhou, professeur adjoint en bio-informatique environnementale du Centre de recherche sur l’environnement et la justice de l’Université de Birmingham, l’équipe a développé un modèle d’apprentissage automatique capable de traiter des données multimodales, c’est-à-dire combinant des informations biologiques, environnementales et chimiques. « Contrairement aux modèles d’IA traditionnels, souvent considérés comme des ‘boîtes noires’, ce modèle est conçu pour être interprétable, permettant aux chercheurs de comprendre quels facteurs influencent réellement la biodiversité », précise Jiarui Zhou.
La méthode avec IA multimodale révèle des effets secondaires insoupçonnés
« L’étude a identifié 43 facteurs environnementaux associés à des changements dans la biodiversité des lacs. Parmi les découvertes les plus marquantes figurent les impacts non ciblés des produits phytosanitaires, tels que les insecticides et les fongicides », note Niamh Eastwood. Ces substances, bien que conçues pour cibler des organismes spécifiques, affectent également des groupes biologiques non visés, révélant ainsi des effets secondaires insoupçonnés. Luisa Orsini explique : « Par exemple, certains produits chimiques, aujourd’hui interdits au Royaume-Uni et dans l’Union européenne, ont montré des impacts négatifs persistants sur les communautés aquatiques, soulignant la nécessité de réglementations plus strictes et de meilleures évaluations des risques. » Un autre aspect frappant de cette recherche est sa capacité à valider des observations historiques : les chercheurs ont trouvé des corrélations entre les données issues de leur modèle et des décisions politiques prises après la collecte des échantillons. Par exemple, certains produits chimiques identifiés comme nocifs dans l’étude ont ensuite été interdits, confirmant la pertinence de leur approche basée sur les données.
Vers une prédiction des impacts futurs
L’un des objectifs ultimes de cette recherche est de développer des « jumeaux numériques » des écosystèmes lacustres. Ces modèles pourraient permettre de simuler l’introduction de nouveaux polluants ou de changements dans l’utilisation des terres, et de prédire leurs impacts sur la biodiversité. Cette capacité prédictive pourrait aider les régulateurs à intervenir avant que des dommages irréversibles ne surviennent. En anticipant les effets d’un nouveau pesticide, il serait possible d’ajuster son utilisation pour minimiser les risques pour l’environnement.
Bien que cette étude se concentre sur les lacs, les chercheurs soulignent que leur approche est transposable à d’autres écosystèmes, tels que les océans ou les forêts. La clé réside dans la collecte de données uniformes et de haute qualité, ainsi que dans la collaboration entre biologistes, informaticiens et décideurs politiques. « En intégrant des données provenant de différentes régions et périodes, il serait possible de créer des modèles encore plus robustes et généralisables », conclut Niamh Eastwood.
Sources :
Unveiling Landscape-Level Drivers of Freshwater Biodiversity Dynamics (en anglais)


