“Tout le monde maintenant a un téléphone et nous pourrions très bien imaginer ces téléphones comme de potentiels relais pour les données des objets connectés !”
Il est 18h, je pars du travail à vélo. Ma montre connectée, grâce aux coordonnées GPS, prévient la maison de mon arrivée imminente. Tiens, je reçois un message de mon frigo : “pense à aller acheter du beurre et des œufs !”. Petit détour par Monoprix et me voilà arrivée. Alerte rouge provenant du cartable de mon fils : Oscar n’est toujours pas rentré après son entrainement de rugby. Je consulte sa position en temps réel grâce à son vélo connecté: il est en route, avec un peu de retard ! Ça, c’est mon quotidien, grâce à tous ces objets connectés embarqués partout ! Qu’est-ce que je ferais sans eux et sans leur fonctionnement ultra optimisé pour consommer un minimum d’énergie ? Parce que, allez recharger une batterie implantée dans un vélo… En parlant de batterie, il y en a une que je peux recharger à volonté, c’est celle de mon téléphone portable. Tout le monde, maintenant, a un téléphone, et nous pourrions très bien imaginer ces téléphones comme de potentiels relais pour les données des objets connectés !
Comment ? Grâce à la technologie Device-to-Device (D2D) qui permet à 2 équipements de communiquer entre eux, sans passer par l’antenne-relais (également appelée station de base). Cette technologie existe déjà pour le réseau 4G et a été développée au départ pour les autorités de sécurité publique (police, pompiers, ambulances) et leur permettre de remplacer leur vieux système de communication TETRA (pour Terrestrial Trunked Radio), comparable au système de communication entre talkie-walkies. Les spécificités techniques de la technologie D2D 4G ne permettent cependant pas de l’utiliser telle quelle pour un réseau d’objets connectés contraints en coût et en consommation d’énergie : les protocoles mis en jeu sont trop complexes et énergivores pour être implémentés dans un équipement IoT. C’est pourquoi la Recherche d’Orange s’est penchée sur le développement d’un mécanisme D2D dédié aux réseaux cellulaires d’objets connectés et mettant à profit le nombre considérable de téléphones portables : il s’agit ici de tirer parti de la communication rendue possible entre un objet connecté et un téléphone portable. Ce dernier peut alors servir de relais et transférer le message de l’objet connecté à la station de base. On parle alors de mécanisme de relayage D2D.
Deux scénarios d’intérêt pour le relayage D2D
Figure 1 : Deux scénarios de relayage D2D
Deux scenarios de relayage peuvent être envisagés, celui qui servira à relayer les données d’un objet connecté (appelé MTD pour Machine Type Device sur la Figure 1) situé dans une zone mal couverte (scénario 1) et celui qui servira tout simplement à transmettre ces données car l’objet n’est pas connecté à la station de base (scenario 2). Dans le premier scénario, l’intérêt principal du relayage D2D est de réduire la consommation d’énergie et de permettre à l’équipement de durer plus longtemps sur batterie. En effet, plus un équipement est loin de la station de base et plus il devra parler fort et longtemps pour être entendu et donc consommera de l’énergie. Avec le relayage, c’est comme si on rapprochait la station de base et on diminue de fait l’énergie consommée pendant la transmission de données. Dans le deuxième scenario, on parvient à connecter un objet qui, au départ, ne l’était pas !
Cela peut paraitre simple, mais ça ne l’est pas tant que ça, surtout quand la contrainte “faible complexité et faible coût” de l’équipement communicant rentre en jeu.
On peut distinguer deux phases dans un schéma de relayage D2D : une phase de découverte des voisins qui constituent de potentiels relais et une phase de communication. L’objectif est bien évidemment de réduire la consommation d’énergie dans les deux phases. Le protocole permettant de découvrir les relais potentiels se doit alors d’être le plus simple possible et le moins coûteux en énergie.
Un protocole de découverte des relais potentiels simple à implémenter et peu coûteux en énergie pour l’équipement communicant
Pour répondre à ce défi, nous avons tiré parti d’un protocole existant et nous l’avons adapté à nos besoins. Ce protocole s’appelle RTS/CTS pour Ready-To-Send/Clear-To-Send. Notre protocole adapté de RTS/CTS est illustré Figure 2. L’objet connecté délimite une zone de recherche. Cette zone doit être un compromis entre une grande zone de recherche où il y aurait trop de relais potentiels qui nous feraient perdre un temps fou et surtout gaspiller de la batterie pour trouver le bon, et une petite zone où, là par contre, les chances de trouver un relais vont être très faibles. Sur notre exemple Figure 2, cinq téléphones peuvent servir de relais dans la zone de recherche de l’objet connecté.
La phase de découverte des voisins et de sélection d’un relais se déroule de la façon suivante.
Le MTD envoie un message RR (Request-for-Relay) qui est un message d’annonce destiné à tous les téléphones présents dans la zone de recherche (message de broadcast). Ensuite, il attend une réponse des candidats au relayage. Les téléphones (appelés UEs) ayant reçu le message répondent en envoyant un message RC (Relay-Candidate) dans une fenêtre de temps choisie au hasard parmi W fenêtres disponibles. Plus on est proche du MTD et plus on a de chances de répondre dans les premières fenêtres de temps : autant choisir un relais pas trop éloigné ! Si deux UEs choisissent la même fenêtre de temps, il y a collision et les messages RC ne sont pas reçus par le MTD (c’est ce qui arrive dans notre exemple pour les UEs 2 et 4). Le seul à être reçu, toujours dans notre exemple, c’est l’UE 5 dans la fenêtre de temps n°3. Le MTD envoie alors à tous les autres UEs un message de retour ou “Feedback” en mode “broadcast” pour informer l’UE 5 qu’il a été sélectionné, et pour signifier aux autres UEs qu’un relais a été trouvé et que la phase de découverte peut s’arrêter. Les données sont alors envoyées par le MTD en mode D2D à l’UE sélectionné, qui lui-même relayera les données à la station de base avec sa connexion 4G.
Figure 2 : Protocole de découverte des relais potentiels
Les paramètres importants à régler pour optimiser la consommation d’énergie sont le rayon de la zone de recherche d’un relais, le nombre de fenêtres de temps W disponibles et, pour finir, là où l’on met le curseur pour décider des pourcentages de chance des différents UEs d’envoyer leur message RC dans les premières fenêtres de temps.
Une efficacité prouvée pour les objets connectés en mauvaise couverture réseau
Un premier résultat obtenu en considérant que tous les UEs ont les mêmes chances d’émettre dans toutes les fenêtres de temps, qu’importe leur distance, est illustré Figure 3. On peut voir qu’il devient intéressant d’utiliser le mode D2D en termes de consommation d’énergie à partir du moment où les données à envoyer sont assez conséquentes et où le MTD est éloigné de la station de base et donc dans des conditions de connexion qui ne sont pas idéales. C’est la zone, dans la Figure 3, où la courbe rouge passe au-dessus de la courbe verte.
La prochaine étape sera de faire cette comparaison de consommation d’énergie en favorisant effectivement les UEs les plus proches de l’objet connecté.
Figure 3 : Comparaison de la consommation d’énergie (en mJ) en mode D2D et en mode transmission directe pour différentes distances (en m) entre l’objet connecté et la station de base et différentes tailles de messages à envoyer en octets (bytes en anglais)
Ce relayage a bien évidemment un coût énergétique pour les mobiles qui serviront de relais. Nous avons pu évaluer de manière quantitative ce coût dans la phase de découverte où il est de l’ordre de 0,5 mJ. Si on lui rajoute le coût énergétique pour transmettre un petit message de quelques centaines d’octets au maximum, le coût total d’un relayage, de l’ordre de quelques mJ, est négligeable en comparaison de l’usage classique d’un smartphone de l’ordre de plusieurs centaines de Joules, par exemple, pour un streaming vidéo.
Pour finir, d’importantes questions, auxquelles cet article n’entend pas forcément répondre, peuvent se poser, mais de nombreux chercheurs y travaillent. La question de la sécurité d’un tel mécanisme se pose bien évidemment ou comment garantir aux messages circulant d’un équipement à un autre un niveau de sécurité équivalent à celui qui est assuré pour les réseaux cellulaires. Une question importante aussi est celle de l’incitation ou comment s’assurer de la participation des utilisateurs de mobiles au relayage.
Pour aller plus loin, de nombreux travaux sont actuellement en cours dans le cadre du 3GPP, l’organisme de standardisation en charge de produire les spécificités techniques des différentes générations de réseaux cellulaires. L’objectif principal est de pouvoir bénéficier de cette technologie de communication d’équipement à équipement dans le futur réseau 5G, pour tout un panel de cas d’usages, allant de la communication entre 2 véhicules jusqu’aux applications pour l’Industrie du futur. Les challenges sont réels puisque le Sidelink (l’autre nom de la technologie D2D) 5G devra à la fois être peu consommateur en énergie, très réactif et fiable, et surtout rendre possible ce panel d’applications très large, dont le relayage D2D fait partie.
Pour terminer, imaginez un équipement communicant implanté durablement dans un cartable, dans un vélo, dans une valise et non pas juste glissé dans une poche ou simplement accroché sous une selle : le relayage D2D rend possible des scénarios où il n’est pas nécessaire de recharger la batterie pendant toute la durée de vie de l’objet.
En savoir plus
Orange a contribué, dans le cadre des travaux menés sur le relayage D2D pour le réseau 5G version Internet des Objets, au projet collaboratif ONE5G : https://one5g.eu/
Les résultats des travaux présentés dans cet article ont été présentés en conférence : C. Vargas Anamuro, N. Varsier, J. Schwoerer and X. Lagrange, “Energy-efficient discovery process for mMTC applications”, WMNC, September 2019, Paris
L’intégralité des travaux menés par Cesar dans le cadre de sa thèse sont détaillés dans son manuscrit disponible sur http://www.theses.fr/s201699