Les ports de commerce sont des organisations complexes, composées de nombreux métiers et industriels qui travaillent ensemble : logistique, armateur, gestionnaire de terminaux, industries lourdes, etc. Les écosystèmes portuaires connaissent des enjeux de réindustrialisation, face aux nouveaux défis de la logistique et de l’énergie, mais aussi du passage aux économies dites « vertes », « bleues » ou « circulaires ». Le modèle économique des grands ports doit en effet s’affranchir d’un système centré sur les énergies fossiles, avec en particulier le transport et le raffinage du pétrole, pour aller vers la production d’énergies renouvelables. Le développement de l’activité logistique doit quant à elle s’inscrire dans les objectifs internationaux sur le changement climatique, la pollution de l’air, de l’eau, des terres, ainsi que de la préservation de la biodiversité. Autant de perspectives qui ont été au cœur du projet européen PIXEL (Port IoT for Environmental Leverage) dont Orange est l’un des acteurs majeurs, et qui avait pour vocation de fournir des outils numériques pour mesurer et comparer l’impact environnemental des ports de commerces.
Mesurer la performance environnementale des ports de commerce
Le projet de recherche PIXEL a réuni entre 2018 et 2021 une quinzaine de partenaires européens, dont quatre acteurs français, parmi lesquels Orange est le seul opérateur – aux côtés du Grand port maritime de Bordeaux, du laboratoire de recherche Créocéan et du Centre aquitain des technologies de l’information et électroniques (CATIE). PIXEL a permis de définir des outils et algorithmes pour évaluer et prédire l’impact environnemental des ports de commerces, dans le but de permettre aux ports d’évaluer les différentes composantes de leurs impacts environnementaux et d’identifier leurs axes d’amélioration. Pour cela le projet a collecté et traité des données issues des systèmes d’information (arrivée et départ des bateaux, type de cargaison, volume de marchandise, analyse de l’eau, consommation électrique), de capteurs IoT (qualité de l’air, pollution sonore et lumineuse, comptage des véhicules aux portes), et de sources de données externes (caractéristique des bateaux, météo atmosphérique). L’une des difficultés du projet venait de la grande hétérogénéité des données, tant du point de vue technique : format, solution de collecte, volume (quelques milliers par an pour les mouvements de navire, plusieurs millions d’enregistrement pour les remontées IoT des différents capteurs environnementaux), que de la gouvernance de ces différentes sources (administration portuaire, opérateur portuaire, ville).
Des indicateurs et des outils précieux
Les deux principaux indicateurs construits par PIXEL sont le Port Environmental Index (PEI) et le Port Activity Scenario (PAS). Le PEI montre en temps réel la performance environnementale du port. Il s’avère un bon instrument de comparaison des ports. Le PAS vise à construire un jumeau numérique de la chaîne de traitement des marchandises et mesure les coûts environnementaux associés.
L’utilisation de composants open source Fiware a permis de mettre en place des solutions de collecte de données hétérogènes. Fiware standardise en effet la représentation des données et contribue à la généricité et à la réutilisation des algorithmes de traitements.
La donnée au cœur de la performance environnementale des ports de commerces
Le projet PIXEL a été déployé et testé sur 4 ports de commerce (Bordeaux, Thessaloniki, Piraeus et Monfalcone), afin de s’assurer de la réplicabilité de la solution et qu’il était possible de l’adapter à faible coût a différents environnements en ajustant les collecteurs de données pour réutiliser les algorithmes.
Les résultats de PIXEL ont confirmé l’intérêt des jumeaux numériques, partageables entre les parties prenantes du port. Le projet a également mis en évidence que le problème de collecte et de partage des données n’est pas seulement technique. Les acteurs sont souvent frileux à l’idée d’abandonner le contrôle de leurs données et d’en partager la valeur avec d’autres acteurs. L’utilisation de jumeaux numériques distribués, couplée à une approche edge computing, peut aider à lever ce verrou. L’edge computing rapproche en effet le traitement des données de leur lieu de production. Il permet également de renforcer la cybersécurité. Autrement dit, l’architecture distribuée offre une meilleure maîtrise de la circulation de la donnée. L’utilisation des jumeaux numériques facilites la résilience des solutions en proposant une couche d’abstraction entre les composants, agnostique des choix technologiques de chaque acteur.
Les travaux menés sur le PAS (Port Activity Scenario) et le jumeau numérique permettent d’envisager d’autres cas d’application comme par exemple l’amélioration opérationnelle de la collaboration des différents acteurs des chaînes logistiques portuaires.
De manière très concrète, en capitalisant sur le projet PIXEL, un premier cas d’usage sur la gestion des déchets a été implémentée dans le cadre d’un autre projet avec les acteurs de la place industrialo-portuaire du Havre.
Vers des plateformes de données d’écosystème ou territoriales
Les enjeux environnementaux concernent/intéressent aujourd’hui tous les acteurs économiques de l’activité portuaire. L’utilisation des données est un levier important pour adresser ces enjeux, mais la réponse doit être appréhendée de manière systémique afin de maximiser les bénéfices. Pour cela il est essentiel de casser les silos de la connaissance, car chaque entité dispose, souvent sans le savoir, de données capitales pour les autres. La mise en commun et la circulation des données au sein de l’écosystème portuaire permet d’en tirer plus de valeur individuelle et collective. Définir les contours d’une plateforme territoriale de données est une première étape vers une proposition de valeur pour un observatoire environnemental.
Des enjeux techniques, de gouvernance et de souveraineté
Au-delà de la performance environnementale, ce décloisonnement des données porte la promesse d’une approche multi-services.
Pour cela il faut définir et outiller les règles et modalités de gouvernance permettant de partager en toute confiance les données au sein de « communs numériques ».
Parmi les autres attentes majeures, l’interopérabilité, l’ouverture, la neutralité, la cybersécurité et la souveraineté peuvent être citées. L’interopérabilité technique et l’ouverture, avec l’utilisation des standards, autorisent le partage de données ayant des natures, des formats et des origines très variées au sein d’un écosystème large. La neutralité de la solution par rapport à la chaîne de valeur des acteurs portuaires qui vont partager ces données est clé. La cybersécurité est un enjeu croissant -pour garantir un niveau de maitrise et de confiance élevé dans la circulation des données. La souveraineté numérique est une préoccupation grandissante des acteurs économiques, elle se situe à de nombreux niveaux : législatif, infrastructure d’hébergement, logiciels, transport et circulation des données.
Le jour d’après
Le COVID-19 a fortement perturbé l’activité portuaire et par conséquence l’expérimentation menée par PIXEL. Malgré cela le projet a permis de mettre en évidence plusieurs problèmes et pistes de solutions.
Avec les problèmes énergétiques et climatiques, l’outil PEI (Port Environmental Index) a démontré toute son efficacité pour identifier les sources d’amélioration. Depuis la fin du projet plusieurs ports ont exprimé leur intérêt pour sa mise en œuvre.
Les difficultés du partage de données entre différents acteurs et les problématiques de consentement associées sont plus que jamais d’actualité.
La proposition de jumeaux numériques distribuées et les outils associés comme IDSA (International Data Spaces Certification) apparaissent comme des voies à explorer/étudier pour adresser ces sujets et fournir des solutions tant économiques qu’environnementales pour fédérer les écosystèmes qui commencent à émerger et libérer ainsi tout leur potentiel.