“YouTube est un laboratoire de création où s’invente une écriture à l’écran et se croisent de multiples traditions, de l’art vidéo au happening”
La diffusion de l’informatique dans notre vie quotidienne à partir des années 1980 puis l’arrivée du web à partir des années 1990 ont entraîné une “reconfiguration” de la création littéraire, d’après Marcello Vitali-Rosati, professeur au département des littératures de langue française de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques. Qu’est-ce qu’écrire veut dire au temps du numérique ?
Changement de modèle économique
En premier lieu, “les modèles économiques ont radicalement changé”, souligne-t-il. Conçu pour faire vivre éditeurs, diffuseurs et libraires, le système du copyright a rendu possible une infrastructure de production et de diffusion de contenus, au sein de laquelle l’auteur peut parfois jouir d’un statut professionnel. “Ce système n’est plus le seul existant, et il est même devenu minoritaire”, précise Marcello Vitali-Rosati. “Aujourd’hui, une grande partie des œuvres littéraires ne reposent plus sur le copyright. Toutes les productions qui circulent sur les plateformes sociales propriétaires vivent sur la base d’un modèle économique basé sur la publicité.”
“LittéraTube”
Parallèlement à ce changement de modèle économique, la production littéraire a trouvé avec le numérique d’autres modes de diffusion que le livre imprimé. Les écrivains contemporains utilisent les sites et les blogs personnels pour relayer leur œuvre papier et l’enrichir en mettant à disposition brouillons, manuscrits, interviews et études universitaires. Certains, comme François Bon avec son Tiers-Livre, Arnaud Maisetti, Jean-Yves Fick ou Cécile Portier rompent avec l’imprimé et proposent des créations littéraires nativement numériques.
Cette production se déploie notamment sur les forums d’écriture en ligne (“Jeunes Écrivains” ; “Le Monde de l’écriture”), les plateformes d’écriture collaborative (comme Wattpad) et les réseaux sociaux. Pour Gilles Bonnet, professeur de littérature moderne et contemporaine à l’Université Lyon 3 où il dirige le groupe Marge et auteur de Pour une poétique numérique, “YouTube est bel et bien devenu, entre mille autre choses, un réseau socio-littéraire”. Il parle de “LittéraTube” pour désigner les expériences actuelles de vidéo-écriture. Dans ce “laboratoire de création” s’invente “une écriture à l’écran” et se croisent “de multiples traditions, de l’art vidéo au happening”. La web-littérature en format vidéo produit des journaux personnels (par exemple, les vlogs d’Arnaud de la Cotte ou de Michel Brosseau), des vidéo-poèmes (Gracia Bejjani, Milène Tournier, Gwen Denieul ou Marine Riguet) et des performances comme celles de Charles Pennequin ou de Studio Doitsu.
Œuvres combinant des formats courts
Aux évolutions des pratiques et des supports s’ajoute une influence sur les formats eux-mêmes. “Nous assistons à l’émergence des formats courts, des romans-fleuves écrits par fragments ainsi que d’œuvres combinant les formes très courtes avec les formes longues”, constate Marcello Vitali-Rosati.
Comme en témoigne le succès de la série de littérature sentimentale After, rédigée sur son Iphone par l’Américaine Anna Todd, cette brièveté, marque de l’écriture sur les réseaux sociaux et les messageries, trouve son public.