• Un nouvel « hiver de l’IA », bien que perçu comme un frein, pourrait encourager le développement d’IA plus responsables et plus éthiques.
• L’IA bouleverse le travail jusque dans les services juridiques : l’AI Act redéfinit le rôle des juristes et des DPO (délégués à la protection des données) qui doivent accompagner les équipes techniques.
Pourquoi proposez-vous, dans L’IA du mythe à la réalité, d’apporter davantage de nuance sur ce sujet au cœur de l’actualité ?
On manque de réflexion sur l’IA et peu de livres traitent des problèmes que l’IA peut soulever. À force de se projeter dans un futur dystopique, on oublie les défis actuels. L’IA est une technologie incroyable, mais un enthousiasme excessif peut masquer certaines problématiques, comme la non-représentation de certaines cultures ou l’impact écologique de l’IA. Je ne suis pas anti-technologie, mais nous ne nous questionnons pas assez sur la pertinence de l’IA. Il est essentiel de n’utiliser l’IA que là où cela est réellement nécessaire.
L’un des avantages de l’IA est qu’elle permet de réduire certaines tâches fastidieuses, sans pour autant remplacer les métiers
Redoutez-vous un nouvel « hiver de l’IA », une période qui renvoie à des gels des financements dédiés à la recherche en intelligence artificielle ?
L’IA est un sujet de recherche depuis 1956, et son développement a connu des hauts et des bas, les bas étant communément appelés « hiver de l’IA ». Face à l’engouement ou aux craintes de remplacement de certaines professions, certaines avancées ont par le passé été stoppées nettes, de peur de voir l’IA avoir un impact social négatif. Il est possible que l’on entre dans un nouvel hiver de l’IA, mais ce serait dommage. En revanche, ce type de pause pourrait nous pousser à développer uniquement des IA responsables.
Vous estimez que l’AI Act a déjà un impact dans les entreprises…
En ce moment j’observe qu’avec la nouvelle réglementation européenne, l’AI Act, on voit émerger des juristes spécialisés en IA. Certains vont intégrer cette compétence pour élargir leur champ d’expertise, mais il est probable que ce rôle devienne un métier à part entière. On parle de textes complexes à appliquer et les équipes techniques nécessitent un accompagnement juridique pour naviguer à travers ces réglementations. En outre, les DPO sont des personnes intègres, mais les entreprises doivent également trouver un modèle économique qui soit conforme à ces règles. Par exemple, lors de la création d’une nouvelle fonctionnalité, la question de la plus-value doit se poser en termes de conformité légale. En fin de compte, ces textes visent à apporter plus de transparence et, à long terme, tout le monde en bénéficiera.
Quel est le principal apport de l’IA dans notre rapport au travail ?
L’un des avantages de l’IA est qu’elle permet de réduire certaines tâches fastidieuses, sans pour autant remplacer les métiers. Dans le développement, par exemple, l’IA peut générer du code, mais celui-ci doit toujours être vérifié et supervisé. Dans la rédaction, des outils comme Antidote offrent des suggestions de reformulation. Bien que ces outils nécessitent encore une validation humaine, ils apportent un soulagement pour certaines formes d’écriture. L’IA a cependant un impact sur certaines professions créatives. J’ai déjà observé des personnes abandonner leur métier à cause de l’IA, notamment chez les traducteurs. J’ai également constaté des impacts similaires chez les illustrateurs. Dans l’industrie du livre, par exemple, on voit de plus en plus de couvertures générées par l’IA. Je pense qu’il s’agit d’une tendance à court terme. Ces créations sont souvent de mauvaise qualité et, à l’avenir, nous nous appuierons probablement davantage sur la collaboration avec l’IA que sur le remplacement total par elle.
Quelles sont les limites des études qui alertent sur la fin du travail ?
Les études scientifiques sur l’impact de l’IA sur le travail se concentrent souvent sur un nombre limité de métiers, souvent des professions très codifiées comme les traducteurs, les secrétaires, les ouvriers, etc., et généralisent leurs conclusions. Or chaque métier est unique. Par exemple, si vous demandez à différents coiffeurs en quoi consiste leur métier, vous obtiendrez probablement des réponses variées. Il est donc difficile de standardiser un métier pour en étudier correctement la possible automatisation. Néanmoins, certaines tâches, et non des métiers entiers, seront probablement prises en charge par l’IA.
Data Privacy Officer, en français délégué à la protection des données. Il est chargé de mettre en œuvre la conformité au règlement européen sur la protection des données (source : Cnil).