Les robots connectés de plein champ soulagent les agriculteurs

Oz, Dino et Ted, trois robots experts en désherbage, sont destinés à faciliter la vie des agriculteurs tout en accélérant la transition écologique dans les campagnes. Naïo Technologies, start-up française pionnière de l’AgTech, a mis au point ces machines autonomes et connectées.

“Grâce à l’apprentissage profond, le robot est capable de reconnaître et ‘détourer’ une salade pour adapter le passage de son outil de désherbage.”

Depuis des millénaires, les révolutions agricoles ont des effets décisifs sur la vie et le bien-être des sociétés humaines. Une lente amélioration des connaissances, outils et techniques, et de rares ruptures technologiques, ont permis de nourrir des populations plus nombreuses : mise au point de la charrue vers le 1er millénaire avant J.-C., essor des moulins à vent vers l’an mille de notre ère, techniques de la révolution agricole britannique à partir du 17e siècle et, au 20e siècle, mécanisation des travaux avec le tracteur, couplée à un bond en avant des sciences agronomiques (chimie des engrais, génétique). Les progrès actuels de l’informatique, de l’électronique et des réseaux permettent d’entrevoir une nouvelle révolution agricole à moyen terme.

Une révolution née dans les Landes

Après le “robot des villes”, quasi-incontournable dans les usines, voici son cousin, le robot des champs. Telle est, en tout cas, la fable – ou la success story – narrée par Naïo Technologies. Cette entreprise française est pionnière dans le secteur des robots agricoles. Plus de 200 de ses machines sont aujourd’hui en service autour du monde : en France, au Danemark, en Espagne, au Japon, aux États-Unis. A l’origine de cette aventure, il y a la Fête de l’Asperge de Pontonx sur l’Adour, organisée chaque année dans les Landes. En 2010, deux gastronomes, par ailleurs ingénieurs en robotique, y font connaissance par hasard avec un producteur qui leur explique les problématiques liées à son métier : c’est le déclic. Après des mois de tests et de multiples prototypes, ils mettent au point en 2013 la première version du robot Oz, un petit engin autonome pour le désherbage des parcelles maraîchères. Viennent ensuite le robot “enjambeur” Dino, spécialement conçu pour les cultures légumières de plein champ en planche ou à plat (salades, carottes, oignons), et plus récemment Ted pour le travail dans les vignes.

Un concentré de technologies

La société conçoit, programme, prototype et assemble elle-même ses robots. Si le design des machines varie pour s’adapter aux différents types de culture, leur principe reste le même : un véhicule à batteries électriques totalement autonome, suffisamment robuste pour opérer en extérieur par tous les temps, portant un outil pour le binage, et équipé avec caméra, détecteur lidar, capteur de sécurité et “bumper” pour s’arrêter en cas d’obstacle. Avant la mise en service du robot des clients, leurs parcelles sont cartographiées directement avec le robot, par arpentage, en important des cartes existantes, directement sur le semoir, ou bien par drone. La machine travaille ensuite seule, sans surveillance, grâce à un guidage par GPS NRTK (variante “réseau” de la technologie RTK) à la précision centimétrique.

Joan Andreu, Directeur de la R&D de Naïo explique ce concentré de technologie : “Nos automates ne sont pas encore capables d’une prise de décision en tant que telle, mais ils sont actifs dans les champs. Grâce à des algorithmes d’apprentissage profond, le robot sait lui-même ‘détourer’ la salade ou le cep de vigne, et adapter l’usage de son outil aux bosses et trous du terrain, invisibles sur la cartographie.”

Éliminer la pénibilité du désherbage

Cette autonomie constitue le plus grand atout du robot de plein champ. “Nous n’avons pas vocation à réinventer le tracteur, ni à remplacer les agriculteurs, prévient Joan Andreu. Nos robots répondent à des besoins concrets qui n’étaient pas satisfaits auparavant. Ils ont avant tout pour but de libérer les cultivateurs des tâches de désherbage, qui sont parmi les plus chronophages et physiquement pénibles dans les exploitations.” D’après la société, l’amélioration des conditions de travail et les gains de temps rendent l’investissement initial rapidement rentable, et les agriculteurs qui ont opté pour ce type de machine les plébiscitent.

Cette nouvelle forme de robotique offre aussi une solution dans les régions en manque de main d’œuvre qualifiée : selon Joan Andreu, “on oublie parfois que les travaux agricoles sont très techniques, et demandent des compétences pointues. Or il y a des endroits où, en plus de la complexité propre à la gestion de la saisonnalité des charges de travail, les exploitants peuvent avoir du mal à recruter, par exemple, un chauffeur maîtrisant la conduite d’un tracteur dans les vignes.”

Moins d’intrants chimiques

Un dernier atout du robot agricole relève des questions environnementales. Avec l’appétence croissante des consommateurs pour les produits labellisés “bio”, et le durcissement des réglementations sur les intrants chimiques, le désherbage “à la main” devient un enjeu critique pour nombre d’exploitations. “L’impact écologique de nos robots n’est pas nul, bien sûr, mais nous travaillons ‘légers’, explique Joan Andreu. Même avec sa batterie, un enjambeur Ted ou Dino pèse beaucoup moins lourd qu’un tracteur diesel de 4 tonnes embarquant 2 tonnes de produit désherbant. Cela réduit le problème du tassement des sols et, donc, les consommations d’eau pour leur irrigation. Et cela permet de passer plus souvent dans les rangs de culture, avec plus de réactivité par rapport aux fenêtres météo.”

Cela permet un désherbage sans émissions de CO2 à l’usage, avec une consommation d’huile moindre et une maintenance plus simple. Une parcelle bien désherbée, en bonne santé, nécessitera moins de traitements : “Les premières études dont nous disposons montrent que nos robots sont deux fois plus efficaces que les procédés mécaniques traditionnels, poursuit Joan Andreu. Nous n’avons certes pas réponse à toutes les questions environnementales mais, si nous pouvons aider un agriculteur à réduire ne serait-ce que de 10% son utilisation d’intrants chimiques, ce sera déjà un énorme impact.”

Un enjeu-clé : les données

Qu’en est-il des enjeux de connectivité ? Naïo Technologies s’appuie pour le moment principalement sur la norme 4G et réfléchit au potentiel, notamment, de la 5G dans le cadre du 5G Lab d’Orange. “Nos robots, explique Joan Andreu, ont bien sûr besoin d’une bonne connexion pour fonctionner. Pour combler les déformations du GPS inhérentes à la triangulation depuis l’espace, mais aussi pour faire remonter des données – sur l’état de leurs systèmes, le niveau des batteries, etc. – et demain pour évoluer dans une logique de gestion de flotte. Nous sommes donc ouverts à toutes les innovations dans ce domaine, surtout que nos robots opèrent par définition avant dans des milieux ruraux, parfois très isolés, et souvent mal couverts par des réseaux traditionnels d’abord conçus pour le monde urbain.”

Un marché de l’AgTech à 18 Mds $ en 2025

La société se développe en continuant à améliorer ses robots et leur maintenance. Elle travaille à de nouvelles applications en collaboration étroite avec les chambres d’agriculture et de grands groupements agricoles. Elle contribue à la recherche biologique et agronomique avec des chercheurs intéressés par l’opportunité d’avoir des capteurs en permanence des les champs, pour recueillir des données sur les plantes, les sols et les climats.

Au-delà de Naïo, une filière mondiale, à la croisée de l’agriculture et des hautes technologies, est en train d’émerger et de se structurer. La start-up est à l’initiative du Forum International de la Robotique Agricole (FIRA), devenu un événement indépendant de référence, proposant des démos de robots, un colloque scientifique et des rencontres entre tous les acteurs de ce secteur prometteur. Selon l’association organisatrice du Forum, le marché pèse aujourd’hui 8 milliards de dollars et pourrait dépasser les 18 milliards en 2025. Si les robots pour la traite laitière constituent l’essentiel du parc actuel, les autres applications progressent avec déjà 492 robots en fonctionnement dans le monde pour la production végétale. L’innovation foisonne dans de nombreux domaines : tracteur autonome, outils automatisés, pulvérisation, interfaces, collaboration homme / machine, etc.

Malgré la Covid-19, l’édition 2020 du FIRA est maintenue du 8 au 10 décembre grâce à une plateforme en ligne, permettant une participation en live ou en podcast.

A lire aussi sur Hello Future

Laboratoire de robotique molle - École polytechnique fédérale de Zurich (chef de laboratoire : Robert Katzschmann (absent de la photo). De gauche à droite : Jose Greminger (étudiant en master), Pablo Paniagua (étudiant en master), Jakob Schreiner (doctorant invité), Aiste Balciunaite (doctorant), Miriam Filippi (chercheuse confirmée) et Asia Badolato (doctorante).

Vers des robots vivants ? Les prochains défis de la robotique biohybride

Découvrir
Personne dotée d'un réseau de fibres bioélectroniques sur un doigt pour la captation du double signal ECG / Crédit : Wenyu Wang et Yuan Shui

Capteurs imprimés sur la peau, surveillance des maladies : les promesses de la bioélectronique

Découvrir

Pollinisation artificielle : la robotique complète le travail des abeilles

Découvrir

Véhicules autonomes : cinq niveaux de conduite

Découvrir
Daniel Gehrig - département d’informatique de l’Université de Zurich - Nature

Véhicules intelligents : des caméras neuromorphiques 100 fois plus rapides

Découvrir
Parlons Tech, le podcast d'Hello Future, le site de la Recherche et de l'Innovation d'Orange

Parlons Tech 12 : véhicules autonomes, l’écosystème français innove

Découvrir

Modèle de recherche Warwick AgriTech : des robots pour mieux doser les herbicides

Découvrir
GettyImages-IoT-batteries-Onio

IoT : la start-up ONiO conçoit un microcontrôleur sans batterie

Découvrir